Société

Regards d’enfants sur la covid 19 : Quand le monde des tout-petits se rétrécit

Ils n’ont plus droit aux jeux pendant la récréation dans la cour de l’école : cache-cache, football, la corde … du fait de la pandémie à coronavirus. Ils ont un âge compris entre 3 et 13 ans et sont pour la plupart à la maison depuis le 16 mars 2020, date à laquelle le gouvernement a décidé de la fermeture des salles de classe du préscolaire au supérieur du fait de la maladie à coronavirus. Généralement peu malades de la covid 19 mais pouvant être vecteurs de la maladie, les enfants, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, aussi petits soient-ils, ont eux aussi leur notion, voire version de la pandémie qui a mis le monde entier à l’arrêt et défié le mythe des grandes puissances. Nous nous sommes intéressés à cette frange de la population dans ce reportage afin de tester leur connaissance de la maladie et découvrir son impact sur leur quotidien. C’était le mercredi 6 mai 2020.

Loïc Tiémounou, 5 ans : «Il faut porter un cache-nez et ne pas faire de bisous»

Ulrich Tiémounou, 5 ans, est au préscolaire 2e année (moyenne section) au quartier Pissy de Ouagadougou. Aperçu devant un portail, nous nous approchons de lui : «Bonjour ! Ça va ? Tes parents sont-ils là ? », lui demandons-nous. Le garçonnet, de teint clair et  plein de zèle, pénètre aussitôt dans la concession et scande : « mamy, mamy, on te cherche dehors ». La soixantaine révolue avec une démarche nonchalante, la grand-mère nous permet d’échanger avec son arrière-petit-fils.

Et la conversation s’engage entre son protégé et nous :

 – Comment t’appelles-tu ? 

 Ulrich  

Pourquoi tu n’es pas à l’école ce matin ?

–  Parce qu’il y a coronavirus 

C’est quoi le coronavirus ?

–  Une maladie qui tue. 

Comment faire pour ne pas l’attraper ?

A cette question on voit bien que la leçon est bien assimilée:

 « Il faut tousser dans le coude, se laver beaucoup les mains, ne pas saluer les gens et ne pas faire de bisous ». Sans y être invité, son cousin Delchrist Dayamba, à peine deux ans et demi, nous coupe dans notre élan : « corona c’est pas bon dêh. On tousse comme cela kôsso-kôsso » dit-il en faisant le geste de tousser dans le creux de son coude.  

Que faisais-tu dehors ?

C’est ainsi qu’Eliane Tuina et son rejeton se saluent désormais

– Je voulais que mon ami vienne, on va jouer

A en croire la grand-mère, elle échange régulièrement avec sa descendance qui l’accable de questions sur ce satané virus qui monopolise le programme des médias, notamment la télé. Un matraquage médiatique qui a eu raison même de l’insouciance des mômes au grand bonheur de la septuagénaire pleine de petites anecdotes : « Ulrich même a refusé de m’embrasser le jour de son arrivée sous prétexte qu’il y a coronavirus », nous raconte-t-elle, l’air dépassé avant d’ajouter : «Son cousin et lui passent le temps à gaspiller l’eau et mon gel hydro-alcoolique. Ils ne font que se laver les mains au savon et à appliquer le gel. Ces gamins refusent même de comprendre quand je leur dis qu’il faut l’un ou l’autre », confie-t-elle en précisant qu’elle est assaillie de questions : «Je suis accablée de questions sur cette maladie dont on parle tant dans les médias ce qui fait que je suis bien obligée de m’informer pour répondre à leurs multiples interrogations », a-t-elle signalé tout sourire en précisant qu’habituellement, à pareil moment, ses petits-fils sont en train de jouer à cache-cache avec les enfants des voisins, mais on leur a défendu tout ça.

A quelques deux kilomètres de là, précisément au quartier Zongo, une zone non lotie de Boulmiougou, des enfants, qui sous un arbre, qui au pied d’un mur, ne quittent pas  leurs parents. Devant un portail vert, Reine Ouédraogo joue à la marelle avec sa voisine sous le regard protecteur de son père. Agée de 11 ans, Reine n’hésite pas à se jeter à l’eau : «Le coronavirus, c’est une maladie qui tue». Comment faire pour ne pas l’attraper ? Lui demandons-nous. Silence radio. Après un temps d’hésitation, elle reprend son souffle avant de lâcher : «il faut se laver les mains, ne pas trop se rapprocher les uns des autres». Elle nous confie qu’elle préfère jouer à la marelle plutôt qu’au jeu de police,  car il est possible de jouer à deux à la marelle.

Au portail suivant, une jeune dame est en train de tisser un pagne Faso danfani sous un arbre. Sa petite sœur, Prisca Kaboré, 13 ans, se distingue par la description des symptômes : «C’est une maladie qui se manifeste par la toux, le rhume, la fièvre et des difficultés respiratoires. Il faut donc se laver les mains avec du savon, porter un cache-nez », le médecin en herbe va même plus loin en relevant  que  l’inexistence d’un remède explique, selon elle, le nombre élevé de morts. Cependant cette amoureuse du saut à la corde déplore le fait qu’elle ne peut plus jouer avec ses camarades : «D’habitude, quand je n’ai pas cours, je joue à la corde mais avec le corona, les parents me l’ont interdit », confie-t-elle la mine déconfite.

A Rayongo, le message des mesures barrières est bien passé. Abdoul Rasmané Séogo, 9 ans, élève en classe de CE1, confie que le virus est très contagieux : «Le virus attrape facilement. Si on ne se lave pas les mains régulièrement, si on n’a pas un cache-nez, si on mange les aliments sans les préparer, si on touche aux animaux, le coronavirus va t’attraper. Donc, il faut se laver proprement les mains, tousser dans un mouchoir, ou dans le coude ; mettre un cache-nez, ne pas manger les aliments sans les avoir fait cuire, ne pas toucher aux animaux », nous fredonne-t-il sous forme d’un récital bien mémorisé. Sa petite sœur Meryem Assilah, 5 ans nous rejoint. Comment t’appelles-tu ? Lui demandons-nous : « comment tu t’appelles ?», rétorque-t-elle avant de révéler son identité. C’est quoi le corona ? « Coronavirus est méchant », déclare miss Séogo avant de prévenir : « On lave les mains. Il ne faut pas qu’on touche les choses sinon corona va vous gnonkam» (attraper en langue mooré).

Même s’ils connaissent l’existence de la maladie, bon nombre d’enfants ont cependant du mal à prononcer le mot « coronavirus ». Amza Kaboré 13 ans dit : «colenavirus » Eunice Sawadogo, 6 ans ne fait pas mieux qu’Amza Kaboré en répétant à souhait “coronadidis”. Fatoumata Ouattara, 3 ans, le visage à peine visible du fait de son cache-nez qui ne la quitte pas prononce : « cronavi…gus ».

Quand bien même Amza Kaboré, le footballeur, a du mal à prononcer le nom de la maladie à couronne, il est convaincu que ce sont les récalcitrants qui attrapent le mal à ce jour : « En ce temps de « colenavirus », avec ce qu’on entend à la radio et à la télé, si quelqu’un attrape la maladie à ce jour, c’est parce qu’il a refusé d’appliquer les mesures barrières. On dit de ne pas se saluer si tu t’entêtes à le faire, tu ne peux qu’attraper la maladie », affirme-t-il sans détour en ajoutant que c’est ce qui expliquerait le fait qu’il ne joue plus au football : « au foot, on est nombreux, on se frotte, on se cogne. Pour éviter le corona, moi j’y ai renoncé ».

Malgré ces temps difficiles, les enfants ne renoncent pas à leur anniversaire.

A Kologh-Naaba, Cédric Ouédraogo, 5 ans, dans un costume noir, cravate rouge, nous explique la raison de son endimanchement : « Je vais à un anniversaire ». Même s’il est conscient de l’existence de la maladie, il tient à retourner l’ascenseur à son ami : « C’est pas le coronavirus, non ? Je sais, mais à mon anniversaire, mon ami m’a fait un cadeau. Donc, quand j’irai à sa fête, je remettrai juste mon cadeau sans m’approcher des autres enfants et je repartirai, car ma tata a promis m’emmener au glacier » nous dit-il  en réajustant fièrement sa veste. Sa tante de nous confier qu’en réalité son neveu ne met plus le nez dehors par crainte d’attraper la maladie : « Il suffit de lui dire que la maladie est dehors pour que Cédric reste scotché à sa tablette à la maison. Même ses petits fours dont ils raffolent, ils n’en fait plus mention du fait de la covid 19 car convaincu que la maladie est en dehors de son lieu d’habitation ».

Rasmané Séogo et sa sœur Meryem Assylah sont unanimes à dire que la maladie est très contagieuse

Par ces temps, les parents ont fort à faire, car devant eux-mêmes se protéger puis veiller à ce que leurs progénitures respectent les gestes barrières : « j’essaie tant bien que mal de l’empêcher de sortir en promenade, mais il me signifie qu’il s’ennuie à  la maison et souhaiterait voir l’école rouvrir. Et c’est d’ailleurs mon avis car en temps normal, il n’est pas facile de  maîtriser les enfants à plus forte raison en ces temps de maladie», souligne une maman. «Pour protéger ma fille, je lui lave les mains avec du savon à chacune de ses sorties car habitant une cour commune, c’est difficile de maîtriser les enfants sur place », renchérit Eliane Tuina. Cyril Ouédraogo, lui affirme veiller au grain pour assurer la protection de ses enfants : «même si ce n’est pas évident, je m’assure toujours que les enfants se lavent les mains».

Ebou Mireille Bayala

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