Santé

Service de réanimation « Il nous arrive de sacrifier des patients aux profit d’autres », Dr Arouna Louré

L’un de ses derniers posts qui a provoqué l’émoi sur sa page facebook retraçait l’histoire d’un de ses collègues confronté à un dilemme, dû à un manque de respirateurs aux fins de réanimer des patients. Le médecin anesthésiste réanimateur au CHU de Bogodogo, Louré Arouna, puisque c’est de lui qu’il s’agit, n’hésite pas à attirer l’attention des autorités politiques. Son engagement s’est matérialisé à travers la production d’un essai politique dénommé Burkindi pour une révolution nouvelle. Rencontre avec un médecin qui prône le changement.

On doit arriver à poursuive les hôpitaux en justice pour des cas de morts par manque d’équipements, au lieu de s’en remettre tout le temps à Dieu”.

On vous sait très engagé sur les réseaux sociaux, notamment sur facebook, où vous dénoncez les dysfonctionnements de notre système sanitaire. Vous sentez vous investi d’une mission ?

Dire que je me sens investi d’une mission ce serait un peu abuser. Tous autant que nous sommes, nous sommes investis d’une mission dans une certaine mesure : le bon fonctionnement du service public de santé. En tant qu’agent, mon objectif  est d’offrir des soins de qualité mais parallèlement, il me faut un système de santé fonctionnel pour une meilleure prise en charge des patients.

Militez-vous dans un parti politique, un syndicat ou une OSC ?

Je suis engagé de manière générale si je peux m’exprimer ainsi. Je ne milite pas dans un parti politique qui a pour objet de conquérir le pouvoir d’Etat. Pour l’instant, je n’en suis pas là. Je suis membre du syndicat des médecins du Burkina (SYMED), un regroupement qui travaille à défendre les intérêts moraux et matériaux des médecins. Je considère que mon activité, mes interpellations sur les réseaux  sociaux sont une forme de militantisme. Je ne suis pas membre d’une organisation de la société civile.

Quels sont les principaux problèmes qui minent le secteur de la santé au Burkina Faso, selon vous ?

Les  textes de nos lois  ne permettent pas d’avoir un système de santé performant. Je prends l’exemple des appels d’offres qui font traîner les choses alors qu’on est confronté souvent à des cas d’urgences.

Au-delà de cela, il y a l’organisation intrinsèque de nos hôpitaux qui n’est pas fonctionnelle. Le service public est considéré comme un dépotoir au Burkina Faso. Chacun fait ce qu’il veut comme il l’entend. Nous n’avons pas ce devoir de redevabilité vis-à-vis de l’usager public.  Il nous faut des décisions fortes pour la bonne marche de nos services de santé. Cela va mettre tout le monde au pas. Le problème n’est pas la pauvreté, mais le manque d’organisation efficace.

Au niveau de Tengendogo qu’est ce qui ne va pas ?

L’hôpital de district  de Bogodogo est uniquement  beau de l’extérieur

L’hôpital du district  de Bogodogo n’a jamais été réceptionné. Dans sa conception les normes n’ont pas été respectées et on a l’impression d’être dans un hôtel. Au niveau de l’ouvrage, le R+1 particulièrement, les toilettes ne sont pas fonctionnelles parce que la plomberie a été ratée. Rien ne fonctionne et le personnel se débrouille et commence à se décourager. Récemment, une pénurie d’eau  qui a duré 4 jours a provoqué le report des interventions. Au niveau du bloc, on est handicapé par des problèmes de signalétique et  les chirurgiens s’en plaignent. Lorsqu’on fait des investissements annuels de 70 millions et que l’on se retrouve avec des dépenses de l’ordre de 100 millions, on ne sait pas où l’on va. Ce CHU est l’un des rares qui fonctionne avec  un personnel dévoué. 

Comment jugez-vous la politique sanitaire du pouvoir actuel avec les mesures de gratuité des soins pour les enfants et les femmes enceintes, le recrutement de médecins spécialistes pour les hôpitaux de province, l’équipement des CHU, etc.

Dès le lancement de cette politique nous avions prédit son échec en ce sens que quelque chose qui est gratuit et qui n’est pas bon ne sert à rien. Il faut que l’offre soit de bonne qualité pour impacter. L’objectif de la gratuité des soins c’est de réduire la morbi-mortalité  des enfants de 0 à  5 ans et des femmes enceintes. Si ce service ne peut même pas mettre à disposition un bon plateau technique pour les soins (de formes de maladies graves), c’est problématique.  Certes, cela a permis de soulager certaines familles parce que tout ce qui touche à la santé coûte cher mais les effets escomptés n’ont pas été atteints. Dans des certains hôpitaux les médicaments que cette  mesure doit offrir son inexistants. Ça été prématuré de s’engager dans cette voie car les structures ne répondent pas.

Parlant du cas spécial de la covid 19. Comment jugez-vous les mesures de riposte contre cette maladie et la prise en charge des personnes infectées ?

Dès le départ, on a senti qu’on n’était pas prêt pour gérer les cas graves au vu de ce qui se passait ailleurs. Il y a eu de la cacophonie dans la communication et  les décisions se prenaient par tâtonnement sans concertation élargie. Des décisions des politiques ont été revues par la suite. En Afrique, la pandémie n’a pas eu le  même retentissement qu’aux Etats-Unis ou en Europe. On ne sait pas pourquoi mais on rend grâce à Dieu. On n’était même pas préparer psychologiquement et on n’avait pas réfléchi à un plan de riposte correct en cas d’affluence de malades.

W . Harold Alex Kaboré

Alex.kabore@lobspaalga.com

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