Eaux préemballées : « Le Laboratoire national de santé publique ne saurait tolérer l’intolérable », selon son DG, le Pr Elie Kabre
Les marques d’eaux préemballées pullulent au Burkina Faso. Certaines sont connues et suivies par le Laboratoire national de santé publique (LNSP) ; d’autres sont sur le marché sans avoir subi les contrôles exigés, posant ainsi le problème d’une menace sanitaire pour les consommateurs. Pour en savoir plus nous avons tourné notre regard vers la structure habilitée pour cela. Entretien avec le directeur général du LNSP, le Pr Elie Kabre.
Qu’est-ce que le Laboratoire national de santé publique (LNSP) ?
Elie Kabre(EK) : LNSP est un établissement public de l’Etat. Une structure qui est sous la tutelle technique des ministères en charge de la Santé et des Finances. C’est depuis les années 1984 que l’idée d’une structure intégrant plusieurs approches de contrôle de qualité est née. Le laboratoire crée en 1999, est sur plusieurs fronts dont le contrôle de la qualité de l’eau, le contrôle des voyageurs en lien avec la covid19, le suivi médical des agents de la Caisse autonome de retraite des fonctionnaires (CARFO), le contrôle des aliments et le prélèvement de l’air de temps à autre pour analyser sa qualité.
Les structures publiques, sont souvent démunies pour faire face aux missions qui leur sont dévolues. Avez-vous les moyens de poursuivre les objectifs qui vous sont assignés ?
EK : Cela, n’a jamais été facile. C’est à nous de nous donner les moyens de pourvoir jouer les rôles qui nous sont attribués. Effectivement, les structures étatiques ont souvent des difficultés par rapport à leur mode de financement. Mais je dois dire que le laboratoire bénéficie d’une subvention de l’Etat, qui s’élève à près de 700 millions de FCFA sur un budget d’environ 3 milliards. C’est-à-dire que le gap est assuré sur fond propre du laboratoire. Parlant toujours des difficultés, il y a un dispositif qui a été mis en place pour permettre de les juguler. Nous disposons de ressources humaines, environ 200 personnes, qui couvrent toutes les fonctions dont un laboratoire a besoin. Nous avons les ressources humaines conséquemment formées, et d’autres sont identifiés selon nos moyens. Nous avons aussi des infrastructures, 6000m² de bâtis. Ces bâtiments abritent des équipements de dernière technologie pour la plupart, qui nous permettent de faire nos analyses. Je dois signaler à ce niveau que nous avons des difficultés d’approvisionnement, au regard des modalités de passation des marchés, et pour des structures qui sont assez spécifiques, ce ne sont pas des consommables classiques. Les fournisseurs se comptent sur le bout des doigts. Ils sont en effet très peu ceux qui sont capables de nous donner à temps les réactifs et les consommables que nous utilisons. Dans notre parc, aucun équipement n’est maintenu par un national. Hélas, il n’y a pratiquement personne au Burkina qui a la compétence pour cela. Nous devons toujours faire appel à des prestataires externes. Ce qui montre la difficulté à pourvoir entretenir les équipements à temps réel. Même si nous disposons d’assez de moyens pour faire fonctionner la structure, il y a quand même des difficultés liées à certains aspects qui sont importants pour la viabilité du laboratoire.
Qui sont vos partenaires dans votre travail quotidien ?
EK : Nos partenaires sont du domaine privé et du domaine public. Ce sont les importateurs, la douane, les clients avec lesquels nous avons des conventions de collaboration pour assurer le contrôle de leurs produits. Il y a aussi des producteurs locaux, certaines usines, les universités publiques et privées, des ONG, et des associations de consommateurs.
Parlant spécifiquement de l’eau préemballée ? Quel est l’état des lieux dans la production et le contrôle sur la qualité de cette denrée ?
EK : D’abord, permettez-moi de dire qu’en application de l’article 01 du décret N° 2003-478/PRES/PM/MS du 22 septembre 2003 modifiant le décret 99-377/PRES/PM/MS du 28 octobre 1999 portant création du Laboratoire National de Santé Publique (LNSP), est soumise au contrôle de qualité sanitaire du LNSP et avant mise à la consommation, toute eau destinée à la consommation humaine, qu’elle soit conditionnée ou non. Donc, depuis 1999, il y a un texte qui oriente et définit comment les eaux préemballées doivent être traitées et donne au LNSP la latitude d’organiser et de mettre en œuvre un programme pour s’assurer de la qualité des eaux qui sont produites. Ainsi, nous proposons aux producteurs d’eaux des protocoles pour suivre la qualité de ces eaux. Ce protocole dure une année et est renouvelable d’accord partie. Il s’agit d’un contrôle mensuel ou annuel qui porte sur des paramètres précis. Chaque année nous avons 12 contrôles qui portent sur les paramètres microbiologiques, physico-chimiques mais aussi de toxicité par rapport à des risques qui peuvent être liés à l’implantation des forages. Aujourd’hui, nous avons 82 unités qui sont en protocole avec le laboratoire. En dehors de ces 82 unités, nous recevons des demandes pour des contrôles de qualité venant de particuliers. Il faut à ce titre dire qu’il y a beaucoup de producteurs qui se font contrôlés régulièrement mais qui n’ont pas de protocole avec LNSP. Nous travaillons à ce qu’il y ait un protocole de suivi pour ces derniers. Les sanctions, quand il y en a, sont prises en collaboration avec les structures de contrôles, notamment le ministère en charge de l’Eau et celui en charge du Commerce. La réglementation oblige chaque unité de production d’eau à disposer d’un laboratoire interne, pour analyser chaque eau qui y est produite. Malheureusement, il y a très peu d’unités de production qui disposent d’un laboratoire à l’interne. Il est alors difficile de faire un contrôle sur chaque sachet d’eau. Le contrôle est fait par lot et cette partie engage les producteurs qui sont en réalité les premiers garants de la qualité de leurs produits. Le LNSP fait des prélèvements sur des échantillons d’eau produite, pour s’assurer que l’unité travaille dans les règles de l’art et que son produit répond aux normes de qualité édictées au niveau national. Le laboratoire intervient dans le processus d’implantation des forages, contrôles de forages quand la personne fait la demande. Dans ce cas nous faisons le constat des réalisations physiques de l’unité et du contrôle du produit fini. Ce processus implique plusieurs structures, notamment les ministères en charge du Commerce, de l’Eau et celui de l’Environnement.
Lobs numérique · Conformité Des Eaux
Quels sont les critères d’analyse de ces eaux par vos services ?
EK : l’article 01 du décret N° 2003-478/PRES/PM/MS du 22 septembre 2003 modifiant le décret 99-377/PRES/PM/MS du 28 octobre 1999 portant création du Laboratoire National de Santé Publique (LNSP), est soumise au contrôle de qualité sanitaire du LNSP et avant mise à la consommation, toute eau destinée à la consommation humaine, qu’elle soit conditionnée ou non. En ce qui concerne les paramètres, le contrôle de qualité sanitaire des eaux conditionnées s’effectue sur la base de la norme de potabilité des eaux en vigueur au Burkina Faso et sur la base d’un arrêté conjoint Numéro 2006/246/MS/MAHRH/MCPEA relatif l’étiquetage des eaux de boissons, définissant les normes et conditions à respecter par les eaux minérales et autre eau préemballée, destinée à être utilisée comme eau de boisson. La norme de potabilité porte sur plusieurs aspects. Il y a d’abord le contrôle de qualité microbiologique, à travers lequel nous recherchons des germes pathogènes, des microbes dans l’eau et c’est sur cet aspect qu’il peut y avoir des non-conformités si la structure n’a pas mis en place des dispositifs pour avoir une procédure standardisée, validée, afin de garantir l’absence de germes. Ensuite, il y a l’aspect de la qualité physico-chimique. Il consiste à rechercher s’il n’y a pas des minéraux, des métaux lourds dans l’eau préemballée. A ce niveau, on se préoccupe aussi de l’aspect organoleptique qui est relatif à nos sens, notamment l’odorat. Nous analysons les aspects tels que la température, qui donne une indication sur l’acidité ; la turbidité est aussi mesurée de même que les éléments minéraux. Enfin, le 3e aspect porte sur la capacité toxicologique, qui est aussi une exigence, qui fixe des seuils à ne pas dépasser, comme le cas des nitrates, des nitrites, des sulfates, des cyanures, des métaux lourds, des pesticides, qui par leur présence dans une eau, constituent une non-conformité pour cette eau.
Une enquête de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO) a révélé des conditions d’hygiène pas acceptables dans certaines usines de productions d’eau. Qu’est-ce qui est fait par vos services pour remédier à cette situation ?
EK: Avant tout protocole, le LNSP procède à une inspection. Une visite des lieux pour voir si toutes les conditions en matière d’hygiènes sont réunies avant de signer le protocole. Quand nous constatons des dérives, nous attirons l’attention du producteur. Les protocoles sont un engagement entre le LNSP et les producteurs. C’est notre rôle qui est le plus important et on ne peut transiger là-dessus. En vérité, nous aurions voulu ne pas avoir à intervenir, si tout le monde était conscient des enjeux liés à leur activité et mettait en œuvre toutes les mesures nécessaires pour assurer et garantir la qualité de l’eau. Il est impossible pour le laboratoire d’être à chaque endroit, pour prélever chaque sachet d’eau. Ce que nous faisons c’est de voir si le dispositif mis en place par les structures permet de garantir la qualité de l’eau. Quand il y a une insuffisance majeure, nous menons des actions correctives.
Suite aux investigations du CENOZO vous avez déclaré que : « Si on devait faire respecter strictement cette loi, on aura sur le marché que 4 à 5 unités de productions d’eau peut-être ». Est-ce à dire que le LNSP est dans une attitude de tolérance de l’intolérable?
EK : Merci pour cette question qui permet de revenir sur le contexte dans lequel j’ai tenu ces propos. Mes propos avaient été déplacés de leur contexte. Le LNSP ne saurait tolérer l’intolérable. Ce dont il était question, en vérité, j’invoquais la disposition liée à l’investissement de l’arrêté interministériel numéro 20150189/MICA/MEF/MS/MRSI/MARHASA/MERH/MFPTSS relatif à l’implantation et à l’exploitation d’unité de production d’eau préemballée destinée à être utilisée comme eau de boisson, notamment en son article 10, alinéa 5 qui stipule, je cite « les unités de production d’eau préemballée doivent disposer d’un laboratoire d’analyse équipé et fonctionnel ». Vous comprenez donc qu’il ne s’agit pas ici de la qualité sanitaire intrinsèque du produit, mais plutôt d’un dispositif règlement qui n’est pas respecté pour la grande majorité des unités de production. Cela ne veut pas dire que je transige sur la non-conformité des eaux. Sur la qualité de l’eau de boisson on ne peut qu’être intransigeant. Il appartient aux structures de disposer de laboratoire interne pour le contrôle de la qualité avant de commercialiser leurs eaux. Je le dis et je le répète, si cette disposition devait être respectée à la lettre et qu’on ne devait donner l’autorisation de production qu’à ceux qui ont des laboratoires, il y aurait peut-être 5 à 6 unités installées au Burkina.
Quoi qu’il en soit, on assiste à une flambée d’usines de production d’eau ne respectant pas les normes en matière d’hygiène. La santé publique ne court-elle pas un grand danger par votre tolérance coupable ?
EK : Je vois déjà que la question vous passionne au point que vous nous culpabiliser d’emblée. Cette perception est parfois partagée par bon nombre de nos concitoyens qui ne connaissent peut-être pas le dispositif national en termes de contrôle de qualité et les missions du LNSP. Comme je l’ai dit un peu plus haut, les producteurs d’eau ayant un protocole de contrôle de qualité sanitaire avec le LNSP ont peu de non-conformité liée à l’hygiène. Je reconnais avec vous qu’il y a des unités parfois clandestines qui ne sont connues du LNSP ni peut-être des autres structures de contrôle. Cela ne saurait être considéré comme une quelconque tolérance du LNSP. Je ne peux pas écarter ce risque surtout pour les unités qui ne sont pas connues du laboratoire et celles qui sont clandestines. C’est pourquoi nous publions régulièrement la liste des eaux qui sont soumises au contrôle régulier du laboratoire. Je pense avant de consommer une eau, il faut se référer à cette liste, car celles qui sont produites sous notre protocole sont présumées saines. En effet, elles font l’objet d’inspection, d’un contrôle de qualité mensuel, et soumises à une autorisation de mise sur le marché. Elles remplissent un certain nombre de conditions attestant de leur bonne qualité. C’est aussi l’occasion de rappeler que nous avons déjà communiquer sur ce sujet appelant les producteurs à faire preuve de responsabilité et de civisme en matière de production.
Vous avez parlez d’autorisation pour mettre ces eaux sur le marché. Quel type de collaboration entretenez-vous avec le ministère du Commerce dans la mise en consommation des eaux préemballées ?
EK : Avec le ministère en charge du Commerce, nous entretenons de bonnes relations depuis la création du laboratoire. Il y a une collaboration étroite avec ce département. Nous aurions voulu qu’elle soit encore plus étroite. Nous travaillons à trouver des cadres de concertations permanente pour que les structures du ministère du Commerce qui ont en charge la répression, le contrôle sur le terrain se rapprochent davantage du laboratoire. Dans cette logique, nous avons déjà eu des cadres de concertations qui nous ont permis d’échanger des informations, de vérifier la véracité de certaines autres et de certains résultats que les producteurs remettent aux agents assermentés du ministère du Commerce. Nous avons vraiment une bonne collaboration, nous travaillons à renforcer cette collaboration dans les années à venir.
Qu’est-ce que vous auriez-voulu dire sur ce sujet que nos questions ne vous ont pas permis de dire ?
Ek : Il y a beaucoup de griefs qu’on fait au LNSP, parce qu’on ne connaît pas le paysage réglementaire en matière de contrôle de qualité et aussi parce qu’on ne connaît pas les missions du LNSP. Vous savez, chaque citoyen a une idée du LNSP au point de nous donner des prérogatives que nous n’avons pas. C’est peut-être à notre niveau qu’il faut expliquer cela. Nous travaillons avec les officiers de police judiciaire (OPJ) et nous recevons pratiquement chaque jour une réquisition et ces réquisitions sont des plaintes des populations par rapport à un aliment, à telle ou telle chose qu’elles ont constatée. Quand cela arrive au laboratoire nous avons l’obligation de traiter. Ainsi, nous avons près de 100 millions d’impayées liés à ces réquisitions sur près de 5 ans. Notre efficacité est fonction de l’efficacité de nos fournisseurs. Il y a des fournisseurs qui parfois sont défaillants ou ne sont pas à mesure de nous livrer des services de bonne qualité. Cela occasionne des difficultés et impacte le rendu des résultats en termes de délai. Nous-même, nous devons être un service de qualité pour offrir un service de qualité, si nous sommes les garants de la qualité. Mais je pense que chaque citoyen doit jouer sa partition en observant à son niveau les règles d’hygiène individuelle mais aussi collective qui permettent de garantir la santé publique. Pour terminer, j’invite les populations au respect strict des mesures barrières édictées par les autorités compétentes, car la covid 19 reste une menace.
Propos recueillis par Camille Baki