« Rawlings n’a jamais fait le deuil de Sankara », Selon Luc Damiba, SG du CIMTS
L’ancien président ghanéen John Jerry Rawlings est décédé le 12 novembre 2020 de suite d’une complication de la Covid-19. Le révolutionnaire panafricaniste que l’Afrique pleure était un ami fidèle de l’homme du 4-Août 83. Il était, jusqu’à sa mort, le président d’honneur du Comité international du mémorial Thomas Sankara (CIMTS). Secrétaire général dudit Comité, Luc Damiba a eu à côtoyer Rawlings. Dans une interview qu’il nous a accordée le 14 novembre 2020 à Ouagadougou, Luc Damiba a rendu un témoignage sur l’ancien président du Ghana qui « n’a pas fait le deuil de son ami Sankara et a toujours gardé une dent contre Blaise Compaoré ».
Le président John Jerry Rawlings est mort le jeudi 12 novembre 2020. Comment avez-vous appris sa disparition ?
J’ai appris sa disparition d’abord sur les réseaux sociaux. Comme d’autres, j’ai d’abord cru à une fakenews parce que c’était devenu une habitude pour certains médias de « tuer » le président Rawlings. Mais immédiatement nous avons joint sa famille à Accra qui a confirmé la triste nouvelle. Ce fut un terrible choc parce que je n’avais pas appris qu’il était gravement malade d’autant plus qu’il respirait la forme à chaque fois qu’on communiquait ces derniers temps. Il devait d’ailleurs venir au Burkina le 15 octobre dernier pour la commémoration du 33e anniversaire de la mort de Thomas Sankara si son programme n’avait pas été bouleversé par le décès de sa propre maman. Cela pour dire que nous sommes restés sans voix, désemparés, doublement orphelins parce que son jumeau, je veux parler de Thomas Sankara, est parti à 33 ans et lui aujourd’hui le suit.
Donc vous n’étiez donc pas au courant de ses ennuis de santé ?
Non pas du tout. Peut-être qu’il souffrait de quelques maladies de vieillesse mais pas plus. Toutes les fois qu’il était à Ouaga, il ne manifestait pas une quelconque inquiétude de santé. A notre connaissance en tout cas, il n’avait pas de gros ennuis de santé.
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Parlez-nous un peu de l’homme. Selon vous, qui était Rawlings et comment vous l’avez rencontré?
J’ai connu Rawlings dans un passé récent pour ne pas dire à la faveur du projet mémorial Thomas Sankara. Mais je dois restituer l’histoire : c’est l’ex-ministre de la culture, Tahirou Barry, qui a eu l’idée qu’il soit le président d’honneur du Comité international du mémorial que nous étions en train de créer. Il a donc envoyé une mission officielle rencontrer Rawlings, lui a proposé ce poste qu’il n’a pas refusé. Immédiatement on lui a proposé de venir à Ouaga le 2 octobre 2016 pour le lancement officiel du projet. Ce qu’il a également accepté. Bien avant cela j’étais un de ses admirateurs tout comme je le suis pour le président Thomas Sankara. Mais le peu de temps que je l’ai connu dans le cadre du projet Mémorial Thomas Sankara, je retiens de lui un homme sincère, fidèle en amitié, un patriote sincère et très convaincu. Il nous a souvent expliqué le début de son amitié avec Sankara, les projets qu’ils avaient en commun…Bref, il comprenait Sankara plus que tout le monde. Depuis ce temps-là il a pris l’habitude de considérer le Burkina comme son propre pays si bien que lorsqu’on le sollicite à Ouagadougou, dès que son agenda le permet, il n’hésite pas à venir. Il rarement décliné une demande de visite dans notre pays. Vous aurez remarqué ces dernières années qu’il est régulièrement venu ici, parfois même juste pour une réunion.
Que retenez-vous de sa dernière visite au Burkina ?
Sa dernière visite date de juin 2019. Je me rappelle qu’il était venu le cœur un peu gros mais il est reparti satisfait. Le cœur gros pourquoi ? Parce que le projet Mémorial Thomas Sankara traînait. Il nous a contacté et nous a dit qu’il ne comprenait pas pourquoi après quatre ans de lancement le projet traînait, avec une statue mal faite qu’il fallait corriger,… Nous lui avons proposé de rencontrer les autorités parce que nous ne savions pas non plus, au-delà des contacts que nous avions avec tel ou tel ministre, ce qui constituait le blocage. Il a donc été rencontré le président, le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale. Il est reparti satisfait parce qu’il dit qu’au moins on est sur une même vision, un même intérêt et qu’au niveau politique, le portage a commencé à prendre. Pour revenir sur l’homme, je dirai qu’il était aussi un burkinabè.
On sait qu’il était proche de Thomas Sankara, pensez-vous qu’il a pu faire le deuil de son ami ?
Non. Il n’a jamais fait le deuil de son ami. De ce que j’ai constaté, la toute première fois qu’il s’est rendu sur le site du mémorial, notamment sur l’endroit où Sankara a trouvé la mort, il n’a pas pu tenir. D’abord il a commencé à trembler, et par la suite, dans son véhicule, il a versé des larmes. Donc jusqu’aujourd’hui je ne crois pas qu’il ait pu faire le deuil d’autant plus qu’on ne s’est pas exactement ce qui s’est passé parce que le procès n’a pas eu lieu. La double peine qu’il avait aussi c’est le fait qu’on dise qu’on n’a pas trouvé la concordance de l’ADN avec son corps. Et il ne cessait de nous dire, « si on ne trouve pas et que vous n’êtes pas convaincus, mettez un caveau vide, ce n’est pas grave. Avançons et rendons lui hommage ». Il se disait peut-être « le jour que je pourrai réaliser ce projet de mémorial là, je ferai mon deuil ». Mais pour tout vous dire, il ne voyait pas Sankara mort, parce que lorsqu’il parlait de lui c’est comme s’ils étaient assis côte à côte.
Entretien réalisé par
W. Harold Alex Kaboré &
Bernard Kaboré