Adama Sawadogo, un commerçant qui refuse le handicap…à tout prix
Des personnes handicapées qui arpentent les rues ou hantent les feux tricolores pour mendier, même quand elles peuvent encore travailler, on en trouve à tout bout de champs à Ouagadougou et dans de nombreuses autres localités du Burkina. A l’inverse, d’autres pour qui leur état n’est pas une fatalité, bravent le handicap pour affronter une vie professionnelle, à l’image d’Adama Sawadogo, commerçant de 39 ans. Atteint d’hypoplasie des membres supérieurs, le natif de Guitry (en Côte d’Ivoire) s’est fait, malgré tout, une place au soleil, notamment dans la vente d’accessoires de véhicules, après s’être essayé, sans grand succès, dans bien d’autres commerces. Sa combativité fait de son parcours socioprofessionnel une odyssée qui ne se raconte pas sans émotions.
Notre rencontre avec Adama Sawadogo commence par une anecdote d’un confrère à son sujet. Un jour qu’il était stationné devant un étal d’accessoires de véhicule pour en acheter un, nous a-t-il confié, un homme à la physionomie peu ordinaire vint vers lui. Alors que lui s’interrogeait sur ce qu’il pouvait bien tendre à son vis-à-vis qu’il prenait pour un mendiant, ce dernier se présenta plutôt comme étant le propriétaire de l’échoppe.
La scène s’est passée à proximité du Commissariat central de Ouagadougou, à l’embranchement des avenues Maurice Yameogo et Kwamé N’krumah. Adama a érigé sa boutique, si on peut l’appeler ainsi, au bord de la chaussée. Il occupe ce lieu depuis maintenant cinq bonnes années. Sur une charpente de fortune, des articles de tous genres sont accrochés : des criques, des tapis de sol et de tableau de bord, des couvre-volants, des triangles de sol, des enjoliveurs,…
« Dieu m’a donné la force et le courage de me battre »
Ca aurait été dans une boutique en bonne et due forme, l’étalage aurait été davantage attrayant. Tant, du plus petit au plus grand accessoire de véhicule, il ne manque presque rien. Mais ce qui fait la singularité du lieu, c’est le proprio lui-même. En effet, Adama est atteint d’hypoplasie des membres supérieurs, une maladie avec laquelle il a toujours vécu. En termes plus simples, c’est à peine s’il dispose de bras, tant leur taille est nettement inférieure à la normale. Mise à part cette malformation, rien ne le distingue du commun des hommes de son âge. Plus ou moins élancé, la corpulence moyenne, il aurait fait un bon sportif. Malgré son handicap, il a le contact facile. Toujours prêt à recevoir le premier venu avec le sourire commercial qui sied, il n’aurait pas été, dans un hôtel, l’agent d’accueil à congédier.
Pour le quadragénaire, le handicap n’est aucunement une raison de…baisser les bras. D’ailleurs, il ne se reconnaît pas membre de la grande famille des personnes en situation de handicap et ne manque pas l’occasion de le dire. « Certes, je ne suis pas tout à fait comme les autres mais Dieu m’a donné la force et le courage de me battre. Et pour rien au monde, je ne saurais ne pas m’occuper comme tout le monde », se réjouit en effet celui qui dit n’avoir jamais été intéressé par l’adhésion à une quelconque association de personnes en situation de handicap.
Chez notre vendeur d’accessoires, la semaine de travail commence mardi pour se terminer le dimanche. Lundi est, pour lui, un jour de repos, expliquant que ce premier jour de la semaine connaît une faible affluence de la clientèle. Les autres jours, il commence entre 8 heures et 9 heures. A l’œuvre, lorsqu’il s’occupe d’un chaland ou quand il met de l’ordre dans ses affaires, Damson, c’est ainsi que des amis l’ont affectueusement surnommé, s’attire mille et un regards curieux de passants qui s’étonnent de le voir manipuler ses articles avec une dextérité dont lui seul a le secret. Le soir venu, les marchandises sont empilées dans un chariot qui est à portée de main.
En l’absence partielle des bras, l’homme a développé d’autres aptitudes avec le reste du corps. Quand ce n’est pas ses orteils, c’est parfois ses dents qui lui servent, par exemple, à passer des cordes sur les différents côtés du chariot chargé. Et c’est en se servant de son buste qu’il arrive à pousser l’engin roulant pour le ranger dans un magasin de motos situé à une centaine de mètres de là. La journée du quadragénaire terminée, il ne lui reste plus qu’à regagner son domicile.
Artiste plasticien dans une autre vie
Loin de ce l’on peut imaginer, le déplacement d’Adama n’est pas une si grande équation à résoudre : « J’emprunte très souvent le bus, parfois le taxi pour venir au centre-ville ou pour rentrer à la maison. Quelquefois aussi, lorsqu’il y a un ami ou une connaissance qui va dans la même direction que moi, je me fais aussi déposer », fait-il savoir. Mais ce qui peut bien paraître le plus étonnant, l’homme qui refuse le handicap à tout prix, manie aussi bien le guidon d’une moto que celui d’un vélo. Une moto, il en a d’ailleurs eu dans un passé pas très lointain, nous a-t-il confié.
En fait, Adama est un touche -à -tout qui aurait plus étonné dans bien d’autres domaines si ses études ne s’étaient pas limitées à la classe de CM2. En effet, dans une autre vie, il s’est exercé à plein d’autres activités. « J’ai d’abord été confectionneur et vendeur d’objets d’art. Je vendais notamment des jouets et des objets décoratifs faits de bronze. Mais entre 2014 et 2015, le secteur du tourisme a pris un véritable coup, notamment avec les soubresauts sociopolitiques et plus tard l’insécurité. Les affaires ne marchaient donc plus. J’ai alors décidé d’ouvrir une mini alimentation, puis une boutique de vente de vêtements. Mais là encore, je m’en sortais à peine, avec des crédits que des clients ne remboursaient pas toujours. C’est ainsi que je me suis retrouvé dans la vente des accessoires grâce à mes petites économies », relate l’homme aux « cent métiers mille malheurs » comme qui dirait.
Des amis et proches le lui reconnaissent volontiers, le natif de Guitri en Côte d’Ivoire est animé d’une combativité qui a visiblement payé avec le temps. En effet, Adama doit à ses multiples activités la construction d’une mini-villa à la périphérie sud de la capitale. « Avec mes économies, j’ai réussi, il y a plusieurs années, à m’offrir un terrain non-loti, lequel m’a permis d’être attributaire d’une parcelle il y a maintenant 10 ans environ », explique-t-il avec un brin de fierté.
A 39 ans, Damson fourmille toujours d’ambitions. « Je souhaite que dans un avenir très proche, je puisse m’installer définitivement avec la possibilité de pouvoir voyager pour importer la marchandise que je prends jusque-là chez des grossistes de la place », a-t-il confié. Passionné d’élevage, il compte également entreprendre dans ce secteur d’activité.
Mais par dessus tout, il y quelque chose qui lui tient particulièrement à cœur : fonder une famille. Réaliste, il estime cependant qu’avant de se lancer dans une aventure conjugale, il lui faut une certaine stabilité financière. Et d’ironiser en ces termes : « Ne mettons pas la charrue avant les bœufs », pour ne pas dire la femme avant les moyens.
Bernard Kaboré
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