Economie

Cybercafé au Burkina : immersion dans un commerce qui a perdu ses clients

Au début des années 1995-2000, c’est un secteur d’activité qui avait le vent en poupe. Mais aujourd’hui, les cybercafés ont perdu leurs lustres, notamment avec l’avènement de l’Internet mobile qui rend la toile accessible sur les téléphones portables et les tablettes. Alors que certains promoteurs font de la résistance, d’autres ont carrément mis la clé sous le paillasson. Constat à Ouagadougou sur un secteur qui vivote.

Dans la plupart des cybers, ce n’est plus la bousculade d’il y a quelques années

Il y a dix ans, Ben Ahmed Barry n’aurait pas imaginé une partie de son quotidien dans la gestion d’un restaurant. Mais voilà, le trentenaire passe aujourd’hui une bonne moitié de ses journées au milieu de casseroles et de caisses de boissons. Quand il n’est pas occupé à enregistrer la commande d’un client, il est affairé à servir un plat fumant ou un verre de houblon à un autre. C’est ainsi depuis maintenant trois bonnes années. C’est peu de le dire, ce job n’était pas au départ dans les rêves du jeune homme.

En fait, Ben est un informaticien de formation. En 2010, il a ouvert un cybercafé qu’il a baptisé Vision Tech. A l’instar de tous les commerces du même secteur d’activité, la connexion haut débit est alors le produit phare qu’offre l’entreprise à ses clients. Le tarif de la connexion est fonction du temps souhaité : trente minutes à 200 F, une heure à 300 F, … Devant la formation en informatique et les services de secrétariat public (photocopie, impression, scannage de documents, etc.), la connexion Internet est ainsi le service qui se vend le mieux. « C’était vraiment une bonne affaire. Il n’y avait pratiquement pas de la place pour tous les clients. Les uns devaient patienter que les autres épuisent leur temps de connexion avant de pouvoir  se connecter à leur tour », se souvient l’informaticien.

La faute du téléphone portable

Mais au fil des années, cette bonne affaire n’a cessé de dégringoler. En cause, une kyrielle d’anicroches: problèmes de connexion, factures d’électricité trop salées, maintenance irrégulière des machines, pour ne citer que celles-là. Mais pour Ben, ces difficultés, loin d’être les raisons immédiates de la chute du marché de la navigation, sont plutôt les effets secondaires d’un phénomène qui s’est installé avec le temps pour enfin devenir un cauchemar pour les gérants de boutiques à Internet : l’avènement des connexions mobiles.

https://soundcloud.com/lobs-numerique/cliente-dun-cybercaffe-leonella-oloukoi-ny-vient-plus-se-connecter-depuis-trois-ans-voici-les-raisons
Cliente d’un cybercafé, Léonella n’y va plus se connecter à Internet depuis maintenant plusieurs années

 « L’arrivée du téléphone portable et de la connexion mobile a beaucoup impacté l’activité des cybers. Si l’on suppose que l’internaute a accès à la toile à partir de son mobile et mieux, à un coût relativement bas, il va sans dire qu’il ne trouve plus nécessaire de se rendre dans un cyber », déduit Ben Ahmed. Pour ce spécialiste du réseau informatique, le cyber, vu comme une boutique de vente de débit internet, est ainsi passé d’activité principale à secondaire. Et puisqu’il faut bien joindre les deux bouts, « on est obligé de mener d’autres activités qui n’ont rien à voir avec notre vocation initiale».

De dix postes à trois

Au sujet de cette rareté de la clientèle, Ben confie que les jours se suivent et se ressemblent. Du moins, ils s’empirent. « Avant de passer à trois postes de connexion, j’ai démarré l’entreprise avec une dizaine de machines qui, de l’ouverture, le matin, à la fermeture, le soir, étaient occupés sans discontinuer. Mais aujourd’hui, Vision Tech ne reçoit pas plus de cinq clients par jour», détaille l’entrepreneur, l’air désespéré.

Maintenant, Ben Ahmed Barry s’en sort mieux avec son restaurant qu’avec le cybercafé qu’il a créé en 2010

Ce sentiment de désespoir, Ben n’est pas le seul à le vivre. Honoré Bila, informaticien, lui aussi, le partage. Il est le responsable d’Epsilon Bureautique, un cyber ouvert en 2012, implanté sur l’une des rues embranchées au Boulevard des Tansoba, dans le 11e arrondissement de Ouagadougou. Parmi ces nombreux clients qui fourmillaient dans la boutique d’Epsilon bureautique à longueur de journée, il ne reste plus que quelques-uns qui veulent encore acheter des débits de connexion internet. Et selon l’informaticien, ces derniers rares clients sont en majorité des personnes du troisième âge qui ne sont pas au fait de la technologie ou qui préfèrent encore garder leurs anciennes habitudes.

Organiser la survie

Responsables et gérants de cybers sont unanimes : si beaucoup d’entre eux tirent aujourd’hui le diable par la queue, c’est bien la faute de la technologie qui a évolué, elle qui a fait du téléphone portable un outil de connexion par excellence au détriment de la connexion filaire. Des données de l’Autorité de régulation de la communication électronique et des postes (ARCEP) corroborent cette perception. De 2013 à 2020, le nombre d’abonnés à la connexion filaire a décru de 25 700 à moins de 14 000. Pourtant, dans cette même période, le nombre d’abonnés à Internet mobile est passé d’environ 1 450 000 à plus de 10 900 000, soit 99,87% du marché global d’Internet, selon la directrice de Régulation des marchés fixe et mobile de l’ARCEP, Salamata Rouamba.

Chiffres à l’appui, Salamata Rouamba décrit la dégringolade des cybers comme un effet du boom des connexions mobiles

Pour de nombreux professionnels du cyber, il faut bien survivre malgré l’impact négatif de cette évolution sur l’activité. Une résistance qui s’organise autour des services jadis « secondaires », eux aussi, « de moins en moins prisés mais permettent au moins de joindre les deux bouts », selon Honoré Bila.

En dehors de ceux qui misent désormais sur ces services classiques, il y a ceux qui croient en la réadaptation des offres à des besoins spécifiques de l’internaute contemporain. Coordonnateur de Vision new business, Isaac Ivo en est un exemple. Au même titre que la formation, les services de secrétariat et la maintenance, son cyber propose à la clientèle une initiation au trading. Cette activité de type nouveau nécessitant une connexion haut débit, des clients ne manquent donc pas. Comme Marcelin Bahiré, étudiant en géologie minière, qui se présente plutôt  comme un apprenti-trader. Trois ou quatre fois dans la semaine, ce trentenaire passe six à neuf heures de  navigation en cyber. Pas que son smartphone ne lui permet pas d’avoir accès à l’univers du trading mais la connexion mobile lui revient cher et moins fiable, explique-t-il.

Le deuil du cyber

A côté des ‘’résistants ‘’, il y a ceux qui ont carrément fermé boutique, car n’arrivant pas à supporter les charges de fonctionnement, dans un contexte de raréfaction des recettes. Au nombre de ces commerçants qui ont fait le deuil du cyber, il y a Saïdou Soré. Il n’est pas informaticien de formation mais il avait ouvert un cyber en 2008.

Passé de gérant d’un cyber à libraire, Saïdou Soré prédit un avenir sombre pour ces boutiques ouvertes à la navigation Internet

A l’instar des autres commerçants qui ont connu l’âge d’or de ce business, Saïdou Soré se souvient que sa boutique ne désemplissait pas et que ses affaires allaient à merveille.  Jusqu’en 2012. « A partir de cette année, j’ai commencé à ne plus m’en sortir », déclare-t-il, laissant lire de la nostalgie sur son visage. Le facteur de la dégringolade reste le même : la connexion Internet sur téléphone à laquelle Saïdou Soré ajoute l’avènement des modems, proposés par les maisons de téléphonie mobile. Ces modems permettent aux utilisateurs de se connecter à domicile avec n’importe quel support.

De son côté, Saïdou Soré a tenté beaucoup de choses pour essayer de sauver son activité. C’est dans cette optique qu’il a baissé ses tarifs de connexion à Internet. L’heure est passée de 300 à 200 F CFA. En outre, le nombre de machines a été réduit, idem pour le débit acheté auprès du fournisseur d’accès. Mais que de vaines initiatives. En 2014, il était obligé de mettre la clé sous le paillasson. « Cette année-là, la situation est devenue intenable. Je sentais venir plus de problèmes si je continuais », confie le quadragénaire qui, depuis lors, s’est reconverti en libraire.

La fermeture, ça n’arrive visiblement pas qu’aux petits et moyens commerçants. Plus organisé et disposant de plus de moyens que Saïdou Soré, la Poste Burkina Faso, ex-Société nationale des Postes (SONAPOST) a, elle aussi fermé sa chaine de boutiques à Internet.

Un doigt pointé sur les fournisseurs d’accès

En ressassant les déboires qui ont entouré leurs faillites respectives, les ex-gérants et responsables de cybers font noter comme facteur décisif le coût des charges. « Insupportable ». La gestion d’un cyber, témoigne monsieur Soré, est « énormément coûteuse ». Et, à côté des dépenses liées à l’énergie,  la facture la plus salée reste la maintenance. Selon notre ex-gérant qui dit avoir eu la chance au paravent d’exercer dans ce domaine pour pouvoir soigner lui-même ses machines, il  fallait veiller presque toutes les nuits pour redonner de la performance aux machines le lendemain. Malgré cet auto-emploi qui devait permettre de tenir le coup, Saïdou Soré n’a pas pu sauver son entreprise. Il a expliqué que pendant que les charges  liées à l’énergie et à la maintenance grimpaient, les tarifs des forfaits Internet ne diminuaient pas chez le fournisseur d’accès.

En matière de fourniture d’accès, Onatel, aujourd’hui Moov Africa, s’est toujours positionné en leader et principal fournisseur du haut débit sur le marché. Au début des années 2000, les responsables et gérants de cybers avait déjà pensé une structure fédérative afin de négocier avec cette société une baisse des forfaits de connexion et du même coup une amélioration de la qualité de ladite connexion. Selon Saïdou Soré, « ces initiatives ont, quelques rares fois, porté fruit ». C’est bon mais ce n’est pas arrivé, pour emprunter le jargon des commerçants burkinabè. Car, selon l’informaticien reconverti, les réponses aux préoccupations des gérants sont restées en deçà de leurs attentes, et la structure fédérative, elle n’a pas survécu au temps. Néanmoins, se convainc le désormais libraire, les efforts du fournisseur d’accès auraient été vains devant la technologie.

Onatel sort les chiffres

Une impuissance face à l’évolution de la technologie dans le domaine de la connexion à internet, c’est aussi l’avis de responsables de Moov Africa Burkina Faso pour expliquer la faillite des cybercafés. Afin de nous en faire savoir davantage, l’entreprise a organisée une rencontre avec les responsables de ses services techniques, dont le directeur de Moov Business, Oumar Séré et le directeur technique, Abdoulaye Bassolé. Ce dernier a souligné que depuis l’arrivée du haut débit en 1996, les tarifs de la connexion filaire ont toujours décrus .

Le directeur technique de Moov Africa Burkina, Abdoulaye Bassolé

A titre illustratif,  le débit de 2 mégas bits (2M) qui coûtait 130 000 F CFA par mois avant juin 2016 est passé à 68 000 en juin 2016, puis à 18 500 en 2019 et à 10 500 en 2020. Comme pour soutenir que le désarroi des professionnels du cyber n’est pas imputable à leur fournisseur, Abdoulaye Bassolé a détaillé que 35% des 10 millions d’abonnés mobile que compte aujourd’hui Moov Africa Burkina ont des terminaux de connexion de dernière génération, à savoir la 4G. Quid de la qualité de la connexion ? Le directeur technique estime que certains abonnées surexploitent le débit de leur forfait et servent ainsi une connexion de faible qualité aux clients qui, finalement, ne sont pas satisfaits.

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Quel avenir pour les cybercafés ? Leur mort est-elle programmée ou ont-ils encore quelques jours devant eux ? A ces questions, les avis sont partagés entre ceux qui gagnent encore leur pain quotidien dans cette activité et ceux qui en ont fait le deuil et qui en ont gardé un mauvais souvenir.

Bernard Kaboré

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