Oscibi Jhoann : « Si le message de Bob Marley était écouté, on ne passerait pas du temps à organiser des réconciliations en Afrique »
Le 11 mai 1981 s’éteignait à Miami, aux Etats-Unis, l’icône de la musique reggae. Bob Marley, de son vrai nom Robert Nesta Marley, c’est de ce jamaïcain qu’il s’agit, a donné presque toute sa vie à la musique. D’abord membre du trio vocal The Wailers, il évoluera par la suite en solo et connaitra un succès international. Auteur, compositeur, interprète, chanteur, guitariste, on lui doit des tubes à succès comme Africa Unite, Get up stand up, War, etc., avec plus de 200 millions de disques vendus à travers le monde.
C’est à lui également que l’on doit un essor planétaire du mouvement rastafari dont il est devenu de fait le prophète incontesté, lui qui a mené le combat d’une vie pour les valeurs de justice et de paix. 40 ans après sa mort, la vedette continue d’inspirer, à travers le monde, de nombreux chanteurs qui ont épousé son idéologie et son style artistique.
Des artistes inspirés par Bob, le reggae man burkinabè, Sibiri Johanny Ouédraogo alias Oscibi Jhoann en fait partie. A l’occasion de ce 40e anniversaire, celui qui a découvert le reggae depuis 1998 nous a accordé une interview dans laquelle il décline les activités au programme de la présente commémoration tout en revenant sur la vie de son idole. « Si le message de Bob Marley était écouté, on ne passerait pas du temps à organiser des réconciliations en Afrique », estime l’homme qui porte la double casquette de musicien-activiste politique.
Que vous rappelle la date du 11-mai dans l’histoire du reggae ?
Le 11-mai représente pour nous reggae men le départ de notre prophète, Bob Marley. C’est vrai que ce dernier n’a pas été le premier à faire du reggae mais il a beaucoup contribué à rendre ce genre musical interplanétaire. C’est d’ailleurs ce qui a permis à nous et bien d’autres devanciers d’aimer et d’apprendre ce genre musical. C’est tout dire, chaque 11-mai nous rappelle qu’un grand homme a vécu sur terre. Un grand qui a travaillé à valoriser une culture, une musique. Et c’est pour cela qu’à chaque anniversaire de sa mort, nous marquons une halte pour célébrer ce prophète de la reggae music.
Est-ce qu’il y a une organisation particulière pour célébrer ce 40e anniversaire au Burkina ?
Depuis plusieurs années, chaque 11-mai est marqué d’une pierre blanche au Burkina. Cela, notamment par des concerts dans des espaces déterminés où les adeptes du reggae se retrouvent pour célébrer la montée vers Jah de notre idole. Cette célébration se déroule à la fois dans la douleur et dans la joie parce qu’il s’agit de se souvenir du passage sur terre d’un homme et lui témoigner une certaine reconnaissance. Au-delà de la célébration en musique, cet anniversaire est l’occasion pour les faiseurs de reggae de se retrouver, de tracer des plans pour poursuivre le combat que l’homme menait de son vivant.
Il y a donc des concerts prévus pour ce quarantième anniversaire ?
Tout à fait. Mais nous avons prévu de le célébrer un peu autrement ce 11-mai. Vous n’êtes pas sans savoir que depuis quelques années, un prix dénommé Marley d’or a été instauré pour récompenser les meilleurs faiseurs de reggae à l’occasion de chaque anniversaire. Comme cet anniversaire tombe sur un jour ouvrable, nous avons, par exemple, repoussé légèrement la cérémonie de récompense qui se tiendra le 22 mai. Mais dès le 11, des gens vont se retrouver dans des thé-débats pour parler de la philosophie rasta, la philosophie reggae afin trouver les moyens de toujours arroser l’arbre que les devanciers ont planté pour qu’il porte de bons fruits. Outre ces thé-débats, il y’aura des soirées privées, des cadres de rencontres ouvertes, etc.
A titre personnel, qu’est-ce que vous allez faire ce 11-mai ?
Personnellement je marque un arrêt ce jour pour rendre hommage aux devanciers d’une manière générale et en particulier à toutes ces personnes qui ont permis à Oscibi de connaitre le reggae. Comme je suis aussi un amateur des thé-débats, surtout ceux qui traitent de l’avenir du genre musical que j’ai adopté, je ne vais pas m’en priver. En fin de journée, je rejoindrai les baramôgô (collègues musiciens, Ndlr) sur des podiums de concerts que les mélomanes pourront trouver à travers la ville. Cela pourrait d’ailleurs constituer mon quotidien pour le reste du mois de mai parce qu’au Burkina, ce n’est pas que le jour du 11 mai que nous nous célébrons. La preuve est que les cérémonies relatives à la journée du 11 s’étendent généralement sur tout le long du mois de mai.
Est-ce que le reggae n’est pas en perte de vitesse par rapport à d’autres genres musicaux comme le coupé décalé et le slam?
Non. Ce n’est pas tout à fait juste de dire que le reggae est en perte de vitesse. Je ne vous apprends pas que dans tous les pays du monde, lorsque les gens commencent à être économiquement satisfaits, ils oublient les musiques de contestation. Plus près de nous, souvenez-vous qu’en 2014 le reggae était des musiques aux avant-gardes parce que des gens voulaient dénoncer. Parce que lorsqu’on veut dénoncer, on court vers le reggae. Mais quand les gens sont rassasiés ils oublient le reggae.
Je pense plutôt que les gens oublient que le reggae est une musique de justice. Or, les gens n’ont besoin de justice que lorsqu’ils ont des problèmes. Je pense que c’est parce que les gens ont moins de problèmes qu’on a l’impression que le reggae est oublié. Sinon nous qui évoluons dans ce genre musical, nous savons que nous sommes estimés et encouragés dans ce que nous faisons.
Est-ce que le mouvement reggae est organisé dans une structure unitaire au Burkina ou bien chacun évolue selon son inspiration ?
Il n’y a pas d’organisation particulière quand bien même il existe des groupes de rasta men d’autant plus que qui dit reggae dit forcément rasta man. Au Burkina, il y a des groupes de rasta men qui se réunissent chaque samedi pour un culte qu’on appelle le sabbat. Je salue au passage le grand frère Rast Abachi qui s’occupe de cela en tant que guide spirituel. Par contre le reggae, c’est du business. Et en business, chacun défend sa cause. Je suis reggae man, je suis dans mon business et je n’ai pas besoin de réunir tous les Burkinabè faiseurs de reggae pour défendre mon business. Hormis cela, on se connait, il n’y a pas de bisbilles entre nous, et nous travaillons toujours pour la valorisation de notre musique commune.
Beaucoup d’artistes burkinabè éprouvent des difficultés à vivre de leur art ; qu’en est-il des reggae men?
On peut affirmer que le reggae marche dans notre pays. Mais il faut relativiser. Quand je compare par exemple les conditions et la manière dont le reggae est vendu dans les pays voisins, particulièrement en Côte d’Ivoire, je trouve que les reggae men n’ont pas la récompense qu’il leur faut au Burkina. Pas parce qu’on n’a pas le talent mais Dieu seul sait pourquoi. Quand je pense à des aînés comme Wango Roger, je pense à Zedess, à Jimas Sanwidi et bien d’autres, je vois des artistes qui ont tout le talent pour conquérir le monde. Mais il faut vite se poser une question qui est de savoir si le Burkinabè arrive même à valoriser son pays à plus forte raison l’art qui sort de son pays ? Vous trouverez que le problème n’est pas que le reggae mais le Burkinabè lui-même qui doit davantage prendre conscience de son intelligence et de sa grandeur. Pendant longtemps on a été complexé et le complexé trouve toujours le meilleur ailleurs. Fort heureusement, des gens ont commencé à comprendre que Dieu nous a créés à son image et qu’il n’y a pas de petit en ce monde. C’est plutôt celui qui se rend petit qui est petit. Parfois ce n’est même pas une question de qualité de musique. C’est simplement cette prise de conscience qui est de plus en plus visible. Les Burkinabè commencent à comprendre que c’est à eux de se valoriser pour pouvoir se vendre ailleurs.
On connait Oscibi dans le milieu de la société civile. Est-ce que l’artiste que vous êtes dissocie sa vie de reggae man et de celle de l’activiste ?
Pour moi, l’artiste est d’un côté, l’activiste est d’un autre. Avant de me retrouver dans une organisation de la société civile, je chantais il y bien longtemps. Je suis allé dans un mouvement de la société civile qui a un règlement, une organisation et des idées politiques. C’est dire qu’en tant qu’artiste on est amené à mener un combat plus ou moins similaire à celui de la société civile par la défense de certaines valeurs mais pour moi, le travail n’est pas tout à fait le même. Quand on est artiste, par exemple, on fait ce qu’on veut. Mais quand on milite dans un mouvement, on ne peut pas faire ce qu’on veut. On ne peut pas dire tout ce qui vous passe par la tête
Entretien réalisé par Bernard Kaboré
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