Société

Enfants vivant avec un handicap grave : une matinée avec « ces rejetés de la société »

Ibrahim, Nourou, Ridwane, Gloria, Jules, Joséphine et Larissa, voilà des noms qui resteront à jamais gravés dans notre mémoire. Victimes d’hémiplégie survenue  après une maladie (palu neurologique) ou de malformation congénitale ayant causé une infirmité motrice cérébrale, ces enfants, assez réservés mais malgré tout si attachants, nous ont permis, le temps d’une matinée, de partager un peu de leur intimité. C’était le jeudi 29 avril 2021 au Centre médical Don Orione, sis au quartier Kossoghin de Ouagadougou.

Si au début de notre carrière nous redoutions beaucoup les contacts avec les personnes vivant avec un handicap grave, sans doute parce que nous voulions éviter de leur renvoyer une image négative d’elles-mêmes, nous avons fini par développer, avec le temps, une relation très étroite, voire complice, avec celles que nous avons déjà rencontrées. Le père Riccardo Zagaria, directeur du Centre médical Don Orione, dira même que ces personnes, si on leur en donne l’occasion, nous envoient des messages. « Parmi nos visiteurs, on a souvent vu des gens sortir avec des expressions pas trop belles. Ils disent que ce sont des p’tits monstres. Non ! Ce sont des enfants. Ils nous mettent face à nos responsabilités. Ils nous font comprendre que la santé est un don et on ne s’en rend pas toujours compte  », a ajouté celui qui nous a fait découvrir le Petit Cottolengo, ce cadre chaleureux construit suivant un plan circulaire dans ledit centre médical pour accueillir les enfants vivant avec un lourd handicap.

« Parmi nos visiteurs, on a vu certains sortir avec des expressions pas trop belles », déplore le père Riccardo Zagaria

Le spacieux apatame, orné par de jeunes pousses, est en effet entouré des différentes pièces (chambres, cuisine, WC, douches, salle de rééducation, etc.) que compte le bâtiment. Les couleurs vives (vert, orange, jaune, bleu et marron) ainsi que le choix du carrelage confèrent à ce petit coin de paradis un caractère vivifiant. Ne parlons même pas de ce doux silence qui apaise âme et esprit. Mais pas le temps de se perdre en rêverie car nous serons très vite accueillie par la sœur Virgine Kiéma, celle-là même qui s’occupe de ces bambinos, telle une mère que certains d’entre eux n’auront jamais eue.

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Dans la salle commune, ceux-ci sont occupés à des jeux, des sortes d’exercice qui stimulent les sens. Visiblement très heureux d’avoir de la visite, ils n’ont pas manqué de le manifester avec des sourires et des salutations le point fermé comme nous l’impose, depuis plus d’une année, la covid 19.

« Un enfant enterré vivant au Niger à cause de son handicap »

Si certains d’entre eux, en position allongée, sont totalement dépendants de leur entourage car n’ayant pas la possibilité de faire quelque chose par eux-mêmes (boire, manger, s’habiller, etc.), d’autres par contre sont semi-dépendants, notamment ceux qui arrivent à effectuer des mouvements, à se tenir debout ou à marcher même s’ils doivent y mettre toute leur énergie. « Cette petite par exemple, tant qu’on ne la soulève pas, elle restera dans la même position. On a aussi des enfants qui sont trop fragiles en termes de santé. Ils sont allergiques à beaucoup de choses et il faut en tenir compte pour leur intégration », a indiqué la sœur Virginie, infirmière de formation. Mais peu importe la condition de chacun, on pouvait lire sur le visage de ces bouts de choux la paix et la sérénité. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils se sont tout de suite attaché à leur invitée du jour, si bien qu’il nous fallait interrompre de temps en temps l’entretien avec la sœur Virginie pour les rassurer sur le fait que nous n’avions pas l’intention de partir de sitôt, surtout que notre interlocutrice a un parcours on ne peut plus atypique. 

La construction du centre a été financée par un bienfaiteur italien et par la congrégation

En effet, Virginie Kiéma semble avoir toujours été attirée par la situation des personnes vulnérables. Très jeune déjà, elle appartenait à un mouvement qui rendait visite aux personnes âgées, celles vivant avec un handicap et aux malades à Dablo, son village. Ancienne fonctionnaire, elle a également été volontaire  dans plusieurs associations. Preuve que la religieuse, qui a prononcé ses vœux en 2015, a commencé à exercer la charité avant d’y consacrer toute sa vie. « Je peux dire que ce sont ces enfants-là qui ont été à la base de mon engagement. C’est une mission… J’ai vu plusieurs cas mais celui qui m’a le plus marqué, c’est l’histoire de ce gamin qui a été enterré vivant au Niger à cause de son handicap. J’ai passé plusieurs jours avec lui à l’hôpital avant qu’il ne rende l’âme. Ça m’a choqué », a déclaré celle qui a aussi servi dans ce type de centre au Togo et en Côte-d’Ivoire, allant même jusqu’à mettre son expérience au profit d’une structure de plus de 300 malades mentaux où elle a même contracté une maladie de la peau dont elle garde encore des traces. Une situation qui n’a pas remis en cause son engagement.

L’objectif du centre, c’est d’éviter que les familles, par désespoir, ne portent atteinte à la vie de leur progéniture

Voilà autant de raisons pour lesquelles la congrégation Don Orione où elle œuvre depuis près de 10 ans, lui a encore fait appel pour ce nouveau sacerdoce. Si ses journées et ses nuits sont exclusivement consacrées à ses pensionnaires, sœur Virginie sait compter sur les services d’un cuisinier et sur l’appui de Marcelline Sawadogo/Rapadamnaba, agent itinérant de santé, qui travaille avec elle du lundi au samedi entre 7h30 et 17h.

« Aucune nouvelle de sa famille. C’est désormais notre enfant »

Inauguré officiellement en janvier 2020, le centre a finalement ouvert ses portes le 15 janvier 2021 à cause de la pandémie de covid 19. Le premier pensionnaire s’appelle Ibrahim. Il est né hémiplégique. Agé de 14 ans, il est le seul à pouvoir parler correctement. Originaire de Tempélin (Koupéla), l’adolescent vivait dans un marché où il se traînait en bas des tables. Ses parents étant partis en Côte-d’Ivoire, il avait été confié à une marâtre.

Ibrahim, 14 ans, vivait sous les tables dans un marché à Tempélin

Son cas a été signalé à la congrégation qui est allée le chercher. « Quand il est arrivé, il était sale, il avait des maladies de peau. La première chose que nous avons faite a été de brûler ses vêtements, de lui en trouver d’autres et de le soigner. Nous n’avons aucune nouvelle de sa famille, personne ne demande d’après lui. C’est désormais notre enfant, il va grandir avec nous », a indiqué le père Riccardo. A l’en croire, grâce à la rééducation, Ibrahim peut désormais pousser lui-même son fauteuil roulant, monter et descendre du lit, aller aux toilettes, entre autres. Avec le petit Ridwane qui vient de Ziniaré, il réside permanemment au Petit Cottolengo. Les autres dont les familles résident à Ouaga n’y restent que du lundi au vendredi. Il n’y a que le petit Jules  qui y entre le matin pour repartir le soir.

Même s’il ne peut pas traduire ses pensées par des mots, le petit Ridwane a toujours le sourire aux lèvres

La journée dans ce milieu commence avec une bonne douche, vient ensuite le petit déjeuner et les jeux dans la salle commune, le temps pour les tatas de mettre de l’ordre dans les différentes pièces. Le goûter à 10h est suivi du repas de midi qui est donné à partir de 11h30 puisqu’il faut prendre plus d’une heure pour donner à manger à certains gamins. Après la sieste, ils ont encore droit à une douche, à un goûter et à des jeux jusqu’à 17h. L’administration compte intégrer l’enseignement scolaire et préscolaire ainsi que les programmes audiovisuels, etc.

C’est ici que les petits plats sont concoctés pour le bonheur des bambinos

Avec le temps, elle va employer plus de personnes si le nombre de pensionnaires augmente. En effet, le bâtiment peut recevoir une quarantaine de patients. Ouvert aux familles pauvres, il est essentiellement gratuit même s’il est permis aux parents qui le peuvent d’apporter une petite contribution. Le Petit Cottolengo compte beaucoup sur la Divine Providence qui s’est déjà manifestée, selon lui, à plusieurs reprises.

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La preuve en est que deux sœurs résidant dans le quartier et priant dans cette communauté y ont fait le déplacement pour offrir un sac contenant du riz et du savon. Devant notre volonté de leur arracher quelques mots, elles ont été fermes : « Nous préférons garder l’anonymat. Dieu a vu le geste, c’est tout ce qui compte ». De ce que nous avons compris, il y a encore des âmes sensibles qui font de ces dons (riz, couches, etc.) au centre.

De la rencontre avec les parents de Gloria

C’est sous une chaleur étouffante que nous avons fait le déplacement au quartier Zone 1 de Ouagadougou pour rencontrer les parents de Gloria, une des pensionnaires du centre. C’était dans l’après-midi du mardi 4 mai 2021. Dans cette maison située de l’autre côté du boulevard des Tensoba, nous avons découvert un homme et une femme sans complexe qui se taquinent en permanence. De quoi mettre de la bonne humeur dans ce petit nid d’amour qui a vu naître leurs « trois merveilleuses filles » dont Gloria, deuxième enfant de la famille. Âgée de 7 ans, elle est née avec une malformation congénitale. Elle est totalement dépendante de son entourage.

Si le désespoir l’avait gagné à un moment donné, Prisca, la mère de Gloria a repris du poil de la bête grâce au soutien de son époux

Jusqu’à ce jour, monsieur et madame Dapelgo se posent des questions sur les causes de cette pathologie : « Est-ce parce que la naissance a eu lieu à la maison ? Y a-t-il eu un problème durant la grossesse ? Quelles sont les causes de cette malformation ? » Mystère et boule de gomme. Tout ce qu’ils peuvent dire, c’est que le problème a été détecté quand la petite avait 3 mois. « Un grand frère venu du Ghana nous a fait savoir qu’elle louche. D’examens en examens, le diagnostic a été posé et elle a même subi une intervention chirurgicale. Actuellement, ce sont les crises d’épilepsie qui la fatiguent », a indiqué le père, enseignant de formation.

Compte-tenu du handicap de Gloria, sa mère, Prisca Dapelgo/Wada, n’a jamais pu travailler alors que les coûts des soins et des séances de rééducations sont astronomiques sans compter le regard et les critiques de l’entourage que le couple subit jusqu’ici. Malgré tout, il a toujours su s’encourager mutuellement pour faire face à cette épreuve. Si avant ils ne pouvaient pas mener certaines activités comme sortir en famille, aujourd’hui, le Petit Cottolengo qu’ils ont connu grâce à un père missionnaire de l’hôpital Saint Camille, leur donne désormais la possibilité de souffler du lundi au vendredi et de retrouver leur fille pour le week-end. « C’est un soulagement, surtout qu’on sait que les enfants sont bien entretenus. Nous sommes reconnaissants au centre et à tous ceux qui nous ont toujours soutenus », a déclaré le père de Gloria, visiblement très ému.   

Zalissa Soré

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