Procès assassinat Thomas Sankara : la défense obtient le renvoi et l’interdiction d’enregistrer les débats
Après une longue procédure aux multiples rebondissements, le procès de l’assassinat de l’ex-président burkinabè, Thomas Sankara et 12 de ses compagnons a été ouvert ce lundi 11 octobre 2021 à la Salle des banquets de Ouaga 2000. Tractations autour de la constitution de la chambre du tribunal, ordonnance statuant sur le sort des accusés absents, débats sur l’opportunité ou non d’autoriser l’enregistrement et la diffusion audiovisuelle du procès ont été les principaux actes de cette première journée d’audience. A la demande des avocats de la défense, l’audience a été suspendue jusqu’au 25 octobre courant afin de leur permettre de mieux s’imprégner d’un dossier de près de 20 000 pages.
Enfin le jour-J marquant le début du procès de l’assassinat de Thomas Sankara et douze de ses compagnons. Ces derniers, faut-il le rappeler d’emblée, ont trouvé la mort dans l’après-midi du 15 octobre 1987 au Conseil de l’entente de Ouagadougou. Que s’est-il réellement passé ce jour-là ? Mystère et boule de gomme.
L’audience est délocalisée à la Salle des banquets de Ouaga 2000 où se sont rendus plusieurs dizaines de personnes dès les premières heures de la matinée. L’édifice est quadrillé par un dispositif sécuritaire inhabituel. De part et d’autres, des pandores armés veillent au grain. On n’accède à l’intérieur qu’après avoir montré pâte blanche.
Pour la circonstance, comme il fallait s’y attendre, la Salle des banquets a pris la configuration d’un tribunal : le ministère public d’une part, les greffiers de l’autre, tandis que les juges sont au milieu, face aux avocats des deux parties et à l’assistance.
Les accusés pas au grand complet
8h30. Tout semble bien se dessiner. Au compte-goutte, la salle se bonde d’un public hétérogène qui laisse reconnaitre derrière les masques des personnalités civiles et militaires, des ayants droits de victimes, etc. Dans le carré qui leur est dédié, les accusés ont déjà pris place. Ils sont au nombre de 12 sur 14 attendus devant la Chambre de première instance du tribunal militaire. Les uns moins connus que les autres, ils s’attirent mille et un regards.
9h10. L’huissier annonce la Chambre. Celle-ci s’installe, son président, Urbain Méda déclare l’ouverture de l’audience. Aux greffiers, il est demandé de donner lecture de l’ordonnance de délocalisation de l’audience. S’en est suivi la vérification de la présence des accusés dont le Colonel-Major Mori Aldiouma Jean Pierre Palm ; le médecin militaire à la retraite, Alidou Jean Christophe Diébré ; le capitaine Blaise Compaoré dit Jubal et Adjudant Tousma Hyacinthe Kafando ; pour ne citer que les plus emblématiques.
Ce décor planté, le premier acte véritable de cette audience a été la constitution de la Chambre, notamment la désignation des juges assesseurs. A propos, la loi indique que ces juges assesseurs doivent être choisis parmi les des officiers généraux de l’armée tout en respectant le principe de hiérarchie. Mais le tribunal n’a eu le choix que de passer outre ce principe de hiérarchie face à un désistement de certains officiers dont le général de brigade, Brice Bayala qui est récusé pour des raisons de santé. Au final, le Colonel-major Boureima Ouédraogo, l’intendant colonel-major Alfred K. Somda et le colonel Saturnin Poda ont été retenus au titre des assesseurs titulaires et les commandants Christine Sougué, Abdoul Karim Ky ainsi que le capitaine Carpus Bazié désignés comme assesseurs suppléants.
Après une prestation de serment des assesseurs militaires, autre disposition de la loi, les débats ont porté sur le sort des accusés absents que sont : l’ex-chef de l’Etat, Blaise Compaoré et Hyacinthe Kafando, tous deux mis en accusation mi-avril 2021 après d’infructueuses convocations qui leur ont été adressées. Au détour d’une suspension de l’audience, la Chambre a statué en ordonnant que les deux mis en cause se présentent devant elle dans un délai de 10 jours sous peine d’être jugés par défaut.
De la difficile comparution des témoins hors du pays
Lorsqu’est venu le moment d’entamer l’examen du dossier, les avocats, qu’ils soient de la défense ou de la partie civile, n’ont pas manqué d’observations. Le ton a surtout été donné par la partie civile après le chronogramme des débats esquissé par le président. Selon ce chronogramme, l’interrogatoire des accusés se fera suivant un ordre déterminé. Et après viendra le tour des témoins, puis la présentation des rapports d’expertises. Le tout, selon le président, sera précédé d’une diffusion des éléments audio et vidéo, question de mettre les différentes parties dans le bain d’un dossier qui comporterait plus de 20 000 pages. Et Me Anta Guissé, avocat de la partie civile de formuler des observations au sujet de la difficulté de faire comparaître des témoins qui se trouvent à l’extérieur du pays, indiquant qu’il devrait appartenir au parquet de requérir et à la Chambre d’ordonner des témoignages par visioconférence.
Toujours au sujet du chronogramme, la défense a estimé qu’un temps supplémentaire doit lui être accordé pour mieux s’imprégner de ce « lourd dossier » dont certains n’ont eu que moins de deux semaines pour éplucher le contenu, à croire Me Natacha Kaboré, assurant ne pas être dans un esprit de dilatoire. Embouchant la même trompette, Me Maria Kanyili s’est voulue plus précise en ces termes : « Nous souhaitons qu’il nous soit accordé au moins un mois ». Sur le sujet, pas d’objection du côté de la partie adverse qui, par la voix de Me Prosper Farama, dit « attacher du prix aux principes d’un procès équitable ».
Du côté de l’Etat dont la parole est portée par son agent judiciaire, Karfa Gnanou, un renvoi suivant la demande de la défense est le bienvenu d’autant plus qu’il ne dispose d’aucune pièce du dossier alors même qu’il est cité par des victimes comme civilement responsable de ce qui arriva le 15 octobre 1987. Dans la même veine, le parquet a consenti un report de deux semaines, non sans arguer que la plupart des avocats, excepté ceux commis d’office, sont dans le dossier depuis cinq ans.
Pas d’enregistrement des débats
Autre pomme de discorde entre défense et partie civile a été la volonté de la dernière qu’il plaise au parquet et à la Chambre d’user de leur pouvoirs pour faire en sorte que le procès soit enregistré et filmée, comme c’était déjà le souhait d’un groupe de personnes qui ont adressé, quelques jours plus tôt, une lettre ouverte au procureur militaire. S’appuyant sur des fondements du code de justice militaire et sur le code de procédure pénale, la partie civile a motivée sa demande par le caractère historique du procès et l’intérêt de son archivage. Des arguments battus en brèche par la défense qui indique que ce n’est pas le rôle de la justice de constituer des archives et que mieux, le risque est grand qu’un enregistrement de l’audience entache la sincérité des débats et expose les parties prenantes aux procès. « Restons dans l’ordinaire des procès quand bien même la cause ici est spéciale », a soutenu Me Moumouni Kopiho.
Finalement, la Chambre a débouté la partie civile, indiquant qu’aucun enregistrement ou diffusion des débats n’est autorisé. Et cela, alors que le parquet avait requis que l’autorisation soit exclusivement accordée aux services de communication de l’armée.
L’audience reprend le lundi 25 octobre 2021 à 9h00.
Bernard Kaboré
&
Camille Baki
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