Justice

Assassinat Thomas Sankara : « Je n’ai tiré aucun bénéfice de ce coup d’Etat », l’accusé Nabonswendé Ouédraogo

Ni le parquet, ni les avocats de la partie civile, ni le président du tribunal, Urbain Méda, n’ont pu comprendre aisément les explications de l’accusé Nabonswendé Ouédraogo qui, après le long week-end, a encore été auditionné ce mardi 2 novembre 2021 dans le cadre du procès des coupables présumés de l’assassinat de Thomas Sankara et 12 autres.

Le défunt président Thomas Sankara

C’est le jeudi 28 octobre dernier que le mis en cause, Nabonswendé Ouédraogo, s’est présenté pour la première fois devant la barre du tribunal militaire de Ouagadougou. Accusé de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat et d’assassinat, le soldat de première classe n’a pas reconnu les faits qui lui sont reprochés. Néanmoins, il a indiqué que le jour du 15 octobre 1987, il était bien au Conseil de l’entente, au pied-à-terre de Blaise Compaoré où il était de garde au poste 520. « C’est autour de 15h que Hyacinthe Kafando est arrivé. Il est monté et quand il est descendu, nous étions au pied de l’escalier. Nous étions trois. Nous avons ouvert la porte pour qu’il sorte. Il a embarqué dans son véhicule et il a fait signe aux autres de le suivre. Moi je suis resté car il ne s’adressait pas à moi. De plus j’étais en tenue de sport et je n’avais pas mes armes », a-t-il indiqué lors de l’interrogatoire des avocats de la partie civile.

LIRE AUSSI Assassinat Thomas Sankara : Idrissa Sawadogo nie toute responsabilité

Selon les dires de l’accusé qui était en service au CNEC (Centre national d’entraînement commando) lors du coup d’Etat d’octobre 87, c’est peu après leur départ que les coups de feu se sont faits entendre. C’est alors qu’ils ont pris leurs armes et au lieu de se retrancher dans le bâtiment, ils ont préféré aller se planquer à plusieurs mètres de là. « Je me suis caché dans le trou de la piscine vide. J’y suis resté jusqu’au lendemain 9h et avec les deux autres collègues, on est allé au pied-à-terre pour porter nos tenues militaires avant de nous rendre au domicile de Blaise Compaoré du côté de l’ex-Assemblée nationale. C’est là que Hyacinthe nous a dit ce qui s’est passé et nous a recommandé de rester en alerte », a fait savoir Nabonswendé Ouédraogo, indiquant que des tirs sporadiques ont eu lieu au cours de la nuit et que de son trou il voyait les véhicules aller et venir dans la cour.

« L’un de vous deux ne dit pas la vérité »

Me Prosper Farama, dans son interrogatoire, a opposé les propos de l’accusé à ceux de son prédécesseur à la barre, à savoir Idrissa Sawadogo qui a indiqué qu’entre 18h30 et 19h, la situation était calme au conseil et qu’il a même pu y retourner facilement. De plus, celui-ci a dit avoir pris sa garde au poste 520 après avoir trouvé Hyacinthe à l’étage alors que son coaccusé Nabonswendé a déclaré que le poste était vide quand il est retourné à 9h dans le bâtiment pour se changer. Pour l’avocat de la partie civile, l’un des deux, ou peut-être même les deux, ne disent pas la vérité.

En 87, Hyacinthe Kafando était le chef de la sécurité de Blaise Compaoré

LIRE AUSSI Assassinat Thomas Sankara : les aveux de l’accusé Yamba Elysée Ilboudo

Le ministère public a lui aussi relevé plusieurs incohérences entre les dires de l’accusé à la barre et les propos tenus devant le juge d’instruction. Entre autres, devant cette juridiction, il a nié qu’il était au courant de la réunion que le président Thomas Sankara tenait au secrétariat du Conseil ce jour-là. Aussi, le parquet militaire a estimé que ce n’était pas normal pour un militaire, un commando de surcroit, de rester cloîtré dans un trou pendant plusieurs heures alors qu’il y avait des coups de feu.

L’accusé a également réfuté le témoignage de Yamba Elysée Ouédraogo qui a dit l’avoir embarqué dans son véhicule avec d’autres personnes pour aller au secrétariat du Conseil où le président Sankara et 12 autres ont été abattus.

LIRE AUSSI 15 octobre 1987 : un chef d’opérations nommé Hyacinthe Kafando

Lorsqu’il prend finalement la parole, l’avocat de Nabonswendé Ouédraogo, Me Mamadou Sombié, lui a posé un certain nombre de questions pour tenter de prouver son innocence dans cette affaire. « Etiez-vous au courant d’un complot contre Thomas Sankara ? Avez-vous participé à une réunion entrant dans le cadre de son assassinat ? Etiez-vous au courant d’une crise entre Blaise Compaoré et Thomas Sankara ? Est-ce que vous pensez que Blaise Compaoré et Hyacinthe Kafando auraient pu informer des petits soldats comme vous qu’ils préparent un coup d’Etat contre le président ? »

Avez-vous bénéficié de quelques privilèges (argent, grade supérieur, etc.) après le 15 octobre ?

A toutes ces questions, la réponse du soldat n’a pas changé : c’était non, non et non. Pareil lorsque l’avocat lui a demandé s’il a bénéficié de quelques privilèges (argent, maison, moto, promu à un grade supérieur, etc.) après le 15 octobre. Selon ses explications, rien n’a changé pour lui car il vivait toujours avec le même salaire. Il dit être resté dans la sécurité de Blaise Compaoré jusqu’en 1996, date à laquelle il a écopé d’une lourde sanction et a été envoyé à Dori où il est resté enfermé durant 60 jours. C’est finalement en 2002 qu’il a demandé à revenir à Ouagadougou pour préparer sa retraite. Il a alors servi au PMK où il a eu une seconde décoration. A Me Sombié de faire remarquer que même si Hyacinthe Kafando, après le coup d’Etat, ne roulait pas sur l’or, il était néanmoins dans de très bonnes conditions. L’avocat de la défense est également convaincu que cet homme redouté par beaucoup aurait pu faire le coup d’Etat avec seulement 4 ou 5 éléments et cela avec un bon armement et l’effet de surprise.

LIRE AUSSI Procès Thomas Sankara : le tribunal autorise l’audition de certains témoins par visioconférence

A la fin de son audition, Nabonswendé Ouédraogo a indiqué qu’il a aujourd’hui deux regrets : que ses collègues avec qui il était de garde ne soient plus là pour confirmer ses dires et que Hyacinthe Kafando ne soit pas au procès pour répondre.

Après la pause de 13h, l’audience a repris son cours et c’est l’accusé Bossobé Traoré qui s’est présenté à la barre. Caporal au moment des faits, lui faisait partie de la sécurité du président Thomas Sankara. D’après son récit, le jour du coup d’Etat, ils devaient, lui ainsi que Der Somda et Gouem Abdoulaye, remplacer trois autres éléments. Et au moment de l’assaut, ils étaient près du véhicule du président Sankara, au niveau de son pied-à-terre, lorsque des soldats cagoulés les ont sommés de lever les mains et de se diriger vers un endroit où Arzouma Ouédroaogo dit Otis (décédé à ce jour) les a rejoint et a tué Der Somda et Gouem Abdoulaye avant de le toucher au coude. C’est alors qu’il s’est mis à courir, arrivant ainsi à s’échapper.

Zalissa Soré

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page