Assassinat Thomas Sankara : « Le moindre faux pas de ma part aurait fait de moi la 14e victime », Gilbert Diendéré
Le mardi 9 novembre 2021, l’ambiance était on ne peut plus différente des autres jours à la salle des banquets de Ouaga 2000, transformée en tribunal militaire depuis le début du procès des coupables présumés de l’assassinat du président Thomas Sankara et de ses 12 compagnons d’infortune. En effet, avec l’annonce de la comparution du général Gilbert Diendéré à la barre, le public qui, jusque-là, se comptait sur les doigts de la main, est venu en masse pour entendre la version de celui qu’on appelait la « boîte noire » du régime Compaoré.
C’est avec la sérénité et le sang-froid qu’on lui connaît que le général de brigade s’est présenté à la barre. Et contrairement à la grande majorité des accusés qui ont préféré la position assise pour répondre aux questions du tribunal, lui a choisi de rester debout. Au moment de se présenter à l’auditoire, l’officier, né en juillet 1952 à Yako, a d’abord pris le temps de saluer une à une toutes les parties au procès sans oublier ses coaccusés ainsi que le public.
Accusé d’attentat à la sûreté de l’Etat, de complicité d’assassinat, de recel de cadavres et de subornation de témoins, le général, qui résidait à la cité an 3 au moment du coup d’Etat du 15 octobre 1987, a plaidé non coupable pour l’ensemble des quatre chefs d’inculpation. « Peut-on vous arracher quelques mots sur les évènements du 15 octobre 1987 ? », lui a alors demandé le président du tribunal, Urbain Méda. Réponse : « Avant de dire quoique ce soit, je voudrais m’incliner devant la mémoire de toutes les personnes disparues. Le 15 octobre 1987, aux environs de 9h, j’ai tenu une réunion au Conseil de l’entente avec les responsables de la sécurité de Blaise Compaoré et celle du président Thomas Sankara. Hyacinthe Kafando était absent mais il avait envoyé des éléments le représenter. C’était une rencontre ordinaire pour parler de la vie du corps mais j’ai profité de l’occasion pour demander aux uns et aux autres de faire attention aux rumeurs selon lesquelles Thomas Sankara voulait arrêter Blaise ou que Blaise préparait un coup d’Etat contre Thomas Sankara. Il y avait plein de tracts malsains et la tension était vive entre les deux sécurités dont les chefs se regardaient en chiens de faïence. Une crise exacerbée par certains groupes politiques et militaires ».
Toujours selon ses explications, après la réunion qui a pris fin aux environs de 12h-13h, il est rentré chez lui pour se restaurer. C’est finalement autour de 15h qu’il est reparti au Conseil pour troquer sa tenue militaire contre un jogging pour aller au sport. « C’est de là-bas que j’ai entendu les coups de feu. J’ai repris la route pour aller au Conseil, en prenant le soin de ne pas emprunter le même itinéraire. Sur place, je me suis rendu à la permanence, au niveau de la villa Togo où j’ai demandé ce qui se passait. On m’a dit que ça tirait vers le secrétariat (Ndlr : lieu où le leader de la révolution burkinabè tenait une réunion) », a expliqué l’accusé qui, en son temps était chef de corps adjoint du CNEC (Centre national d’entrainement commando). Prenant des précautions il est arrivé à ce lieu où il a vu les corps étendus sur le sol. Il y a trouvé Nabié et Otis. Après leur avoir demandé ce qui s’est passé, Nabié lui a alors fait comprendre que Sankara voulait arrêter Blaise et donc eux ils ont pris les devants. « J’ai demandé où était Blaise Compaoré et il m’a dit à la maison. J’ai voulu savoir s’il était au courant de ce qu’ils avaient fait et il m’a répondu, on s’en fout », a relaté Gilbert Diendéré précisant que Nabié lui a également fait savoir que l’ETIR de Kamboinsin devait les attaquer sur ordre de Sankara.
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Lieutenant au moment des faits, le général a indiqué qu’après s’être changé, il a appelé le commandant Jean Baptiste Lingani pour lui rendre compte de la situation. Celui-ci lui aurait conseillé de renforcer ses positions afin de se protéger. Il lui aurait aussi demandé si Blaise Compaoré était sur place et il lui aurait répondu que non. C’est vers 18h30, selon lui, que Lingani et Blaise Compaoré, à l’époque ministre de la Justice et chef de corps du CNEC, seraient arrivés sur les lieux. « On s’est retrouvé près des corps et après je suis reparti à la permanence pour calmer les hommes dont certains avaient fui et prendre des dispositions pour renforcer la sécurité. Les deux autres sont partis de leur côté », a indiqué l’accusé.
Si l’on se réfère toujours à la déposition de Diendéré, le commandant Lingani aurait alors demandé à Karim Tapsoba, régisseur à la maison d’arrêt, de retirer les corps et de les faire enterrer au cimetière de Dagnoën. Ce qu’il a fait avec d’autres prisonniers puisque, selon le général, celui-ci est revenu le lendemain lui tendre un papier contenant la liste de toutes les victimes. Il lui a également dit qu’il a posé des étiquettes afin que l’on puisse reconnaître la tombe de chacun. Et l’accusé d’ajouter : « Je lui ai demandé s’il a rendu compte à Lingani. Il a dit oui et donc je n’ai plus rien ajouté ».
Selon les explications de l’accusé qui purge actuellement une peine de 20 ans à la Maison d’arrêt et de correction de l’armée (MACA) pour son putsch manqué de septembre 2015, les éléments qui ont commis le crime étaient certes du CNEC mais ils échappaient au commandement du chef de corps puisqu’ils avaient été détachés à la sécurité de Blaise Compaoré. A la question de savoir pourquoi les éléments des différents postes ne sont pas intervenus lorsque le président a été attaqué, il a déclaré qu’ils ont été postés en cas d’agression extérieure. Pour lui, c’était à la garde de Sankara d’assurer sa sécurité. Et d’ajouter : « Tout le monde était choqué. On ne pouvait pas imaginer qu’une chose pareille puisse se produire au sein du Conseil ».
« Pourquoi vous n’avez pas mobilisé des éléments pour encercler les lieux ? Après la tuerie, pourquoi n’avez-vous pas procédé à l’arrestation des assassins une fois sur place ? Avez-vous réclamé des sanctions contre eux ? » Voilà, entre autres, des questions qui lui ont été posées. La réponse du général ne s’est pas faite attendre : « Pour les sanctions, j’en ai parlé dans mon compte rendu… Pour les arrestations, je dois dire que le moindre faux pas de ma part aurait fait de moi la 14e victime et j’aurais eu mes avocats de ce côté (Ndlr : indiquant les avocats des familles des victimes) ».
Zalissa Soré