Procès assassinat Thomas Sankara : « La plus grande faiblesse du président, c’était Blaise », colonel major Daouda Traoré
Après que l’interrogatoire de l’accusé Démé Diakalia, adjudant-chef major à la retraite, se soit achevé dans la matinée de ce mardi 16 novembre 2021 à la salle des banquets de Ouaga 2000, le président du tribunal, Urbain Méda, a fait entrer le premier témoin du procès sur l’assassinat de Thomas Sankara et de ses douze compagnons d’infortune. Il s’agit du colonel major à la retraite Daouda Traoré, lieutenant au moment des faits.
C’est en tenue Faso danfani, comme pour réaffirmer son adhésion aux valeurs de la Révolution, que le colonel major à la retraite Daouda Traoré s’est présenté au tribunal. Après qu’il a juré de dire la vérité et toute la vérité, celui qui était autrefois membre du bureau politique et de la commission de contrôle et de vérification du CNR (Conseil national de la Révolution) a pu livrer son témoignage à la cour.
A l’époque, l’officier venait d’être affecté à Fada N’Gourma pour prendre le commandement du régiment d’infanterie commando. Il devait donc s’y rendre le 15 octobre précisément. Mais avant cette date, compte-tenu des tracts malsains qui circulaient contre le président et des rumeurs de coup d’Etat préparé par Blaise Compaoré, Daouda Traoré ainsi que d’autres membres de la commission de contrôle où il occupait le poste d’adjoint ont initié une rencontre pour échanger avec celui qui était le n°2 de la Révolution. « Lorsqu’il a entendu l’objet, il s’est offusqué. Nous lui avons fait remarquer que les rumeurs le présentaient comme celui qui est remonté, qu’il ne participait plus aux réunions et plusieurs informations circulaient à son sujet. Il s’est adouci, a dit que ce ne sont que des rumeurs et qu’il n’a pas de problème avec Sankara. On a donc convenu qu’il allait se rendre le jeudi 15 octobre à Poura, à l’occasion d’une visite à la mine d’or et qu’il allait réaffirmer son soutien à Sankara et démentir tout ce qui se racontait. Pour moi, le problème était réglée », a confié le témoin, se rappelant que ce jour-là, Blaise Compaoré avait dit que même une brindille, il ne prendrait pas contre Sankara.
Poursuivant son récit, il dira que le 15 octobre il n’a pas pu se rendre à Fada N’Gourma à cause d’un accident qu’il a eu. Son chauffeur devait donc faire quelques démarches par rapport à cela. Le voyage a été remis à l’après-midi. Mais vers 15h, il est allé à la SOCOGIB où il a dû patienter pendant plus d’une heure. « C’est quand on est sorti de là avec mon épouse que j’ai entendu les coups de feu », dixit Daouda Traoré.
Par la suite, il se rendra, à bord de son véhicule personnel au Conseil. Cependant, comme s’il avait un pressentiment, le lieutenant de l’époque est resté à quelques mètres, vers le lycée Bogodogo, et a envoyé son garde du corps pour l’annoncer et dire aux éléments au niveau du poste qu’il voulait accéder au Conseil. « Le temps que je me rende compte, ils ont envoyé une rafale », a-t-il expliqué, rendant grâce au seigneur car, selon lui, c’est Dieu qui l’a épargné, par trois fois, de la mort. En effet, en faisant les murs, il réussit à retrouver son véhicule personnel et à regagner sa base, notamment le SNP (Service national populaire). Là, pendant qu’il plaçait ses hommes, il a été atteint par une balle qui a effleuré son bras. Plus tard, il apprendra de son chauffeur qu’un groupe de militaires portant des bérets renversés étaient à sa recherche.
En entendant le communiqué du Front populaire qui traitait le président Sankara de traitre, le colonel major s’est senti glacé. « J’ai donc appelé le lieutenant Omar Traoré qui a lu le communiqué pour demander où est Sankara. Il a dit attend, “je te passe Dienderé”. Quand j’ai posé la question à ce dernier lui aussi m’a dit “attend je te passe Lingani” qui m’a finalement passé Blaise Compaoré. C’est lui qui m’a annoncé la mort du président, me disant de me calmer car la Révolution devait continuer , a indiqué le témoin.
Le lendemain du 15 octobre, Daouda Traoré informe Blaise qu’il va rejoindre son nouveau poste à Fada en lui cachant son secret désir d’y mobiliser des hommes pour arrêter cette forfaiture. Mais celui-ci l’en dissuade. Plus tard, le lieutenant apprend qu’il devait y être tué. Après avoir déserté son domicile avec sa famille pour se cacher, il finit par rentrer chez lui et ce sont des éléments du CNEC envoyés par le lieutenant Gilbert Diendéré qui ont assuré sa sécurité jusqu’à ce que six gendarmes viennent l’arrêter le 24 octobre 1987. L’officier sera maintenu en détention au Conseil pendant six mois avec d’autres personnes. Selon son témoignage, c’est Jean Pierre Palm, à l’époque nouveau commandant de la gendarmerie nationale, qui leur a notifié ce qu’on leur reprochait, notamment la « participation passive au complot de 20h », tout en leur disant qu’ils étaient radiés de l’armée et que s’ils recommençaient, ils allaient revenir au Conseil en détention. C’était le 25 mars 1988. A l’occasion de la confrontation pendant cette audience, Jean Pierre Palm a déclaré : « Je ne dirai pas qu’il ment, on a de très bons rapports, mais je pense que la mémoire lui fait défaut. Je ne suis pas allé au Conseil, ce n’était pas mon lieu de balade ». Et au colonel major de répondre : « J’ai une mémoire fidèle. On a de bons rapports mais si le moment de dire la vérité arrive, il faut la dire ».
Le témoin a encore raconté que quelques jours après le 15 octobre, il a vu Blaise Compaoré qui lui a demandé de rejoindre le Front populaire et il a refusé. “Il avait voulu utiliser les frustrations dues à mon affectation à Fada et à la demande que j’avais faite en vain à Sankara de pouvoir participer au stage des forces spéciales à Cuba pour me convaincre. Blaise utilisait les frustrations des gens pour les faire pencher de son côté », a-t-il soutenu.
Zalissa Soré
Quelques déclarations du témoin sur Sankara et Blaise
« Une fois, Vincent Sigué est venu me voir et m’a informé que Blaise était en train de tirer des tracts malsains contre Sankara. Il voulait qu’on le prenne sur le fait accompli mais j’ai refusé d’y aller.
J’ai tenté de dire à Sankara que Blaise préparait quelque chose contre lui mais il ne m’a pas prêté attention. Il n’acceptait pas qu’on critique Blaise et je ne l’ai jamais entendu parler mal de son ami. C’était un homme juste, loyal et rigoureux.
La plus grande faiblesse de Sankara, c’était Blaise.
Blaise Compaoré avait un problème contre Sankara et la Révolution. Par sa rigueur, le président Sankara incommodait les autres.
Ce n’était pas une arrestation qui a mal tourné ni une mort accidentelle. Blaise voulait prendre le pouvoir.
Aussi incontrôlés qu’ils soient, ces éléments du CNEC n’étaient pas assez fous pour rentrer dans une caserne et tuer le président en toute impunité.
Si j’étais le commandant du CNEC, ils n’auraient pas osé et s’ils avaient pu tuer le président, ils n’en seraient pas sortis vivants.
J’ai appris qu’il y a eu une réunion le 15 octobre 1987 à 9h au Conseil. Elle était organisée par Gilbert Diendéré avec les services de sécurité de Sankara et de Blaise. Mais après le départ des hommes du président, une autre réunion a été tenue pour donner les différentes instructions aux hommes.
Interrogé sur l’état de santé de Blaise Compaoré à cette époque, Daouda Traoré a répondu : « Les maladies de Blaise là… vous savez… »
Face à Sankara, les gens n’avaient pas les arguments intellectuels pour le convaincre du contraire des décisions qu’il prenait, si bien qu’ils pensaient que les décisions étaient prises sans eux.
Ce n’était pas le dictateur qu’on essaie de nous présenter. Il ne voulait pas qu’on fusille les gens. Certaines choses étaient faites dans son dos.
Le complot de 20h c’était des histoires.
Selon moi, Diendéré était plus proche de Blaise. On pensait que c’était dû à la sanction que Sankara avait prise contre sa femme Fatou».