Assassinat Thomas Sankara : « Je n’ai jamais dit qu’il était temps, après nos ennemis, de nous occuper de nos amis”, Nongma Ernest Ouédraogo
Ministre de l’Administration territoriale et de la Sécurité sous la Révolution, Nongma Ernest Ouédraogo est témoin dans le procès sur l’assassinat de Thomas Sankara et douze de ses compagnons. Suite à sa déposition ce 29 novembre 2021 devant la Chambre de première instance du tribunal militaire, l’ex-commissaire de police a été invité par les différentes parties à plus d’éclairage sur la Force d’intervention de son ministère, la FIMATS, qui a été désarmée presqu’au même moment que l’assaut au Conseil de l’entente. Mais le témoin s’est montré peu au fait des évènements allant même jusqu’à nier des propos qu’on lui attribue et qui tendent à faire croire que la FIMATS a été créé aux fins d’un nettoyage interne au sein des révolutionnaires.
Nongma Ernest Ouuédraogo, 77 ans aujourd’hui, est vu par nombre d’observateurs comme un témoin clé dans le dossier dit de l’assassinat de Thomas Sankara et 12 autres. Une considération à tort, se sont ravisé les uns et les autres, lorsque l’ex-ministre de l’Administration territoriale et de la Sécurité a fini sa déposition, laissant plus d’un membre du tribunal sur sa soif.
Avant de dérouler son agenda du 15 octobre, le témoin a déclaré n’avoir pas été surpris par les évènements survenus ce jour-là, tant le long du trimestre qui a précédé la tragédie, des tracts ont abondamment circulé. Le jour du drame, Nongma Ernest Ouédraogo, selon son témoignage, était sur le terrain de sport lorsqu’il a entendu les premiers coups de feu. « J’ai rejoint le bureau, j’ai essayé en vain de joindre un certain nombre de personnes dont le président.
Par la suite, j’ai pu joindre la secrétaire du chef de l’Etat qui m’a informé que ce dernier venait de rentrer au Conseil lorsque les tirs y ont commencé. Plus tard, le commandant d’alors de la gendarmerie, Ousséni Compaoré m’a appelé au téléphone et m’a dit qu’il a vu le véhicule de Sankara conduit par le chauffeur de Blaise Compaoré et qu’il pensait que c’était fini pour le président.
Je suis rentré à la maison pour y attendre d’éventuelles instructions. Des instructions avaient été données à ma garde les informant qu’un officier viendrait me chercher. Effectivement, le lendemain, c’est-à-dire le 16 octobre, un sous-officier est venu me conduire à la gendarmerie où je me suis retrouvé parqué avec d’autres ministres. Quelques jours après, j’ai été transféré au Conseil où je serai gardé pendant une année », a relaté le témoin.
“On était pressé de créer cette nouvelle unité”
N’ayant pas évoqué le FIMATS dans sa déposition, le président du tribunal a souhaité que le témoin y revienne avec un accent particulier sur la création, le fonctionnement de cette structure de sécurité et sa dissolution. Et le témoin à la barre d’apporter ces précisions : « A mon arrivée à la tête du ministère, il y avait la Compagnie républicaine de sécurité. Le Conseil des ministres m’a demandé sa dissolution puis la création d’un autre corps avec l’espoir qu’il devienne une force de second degré. Il était prévu que Vincent Sigué soit nommé commandant de cette nouvelle unité. Pour cela, il a même été envoyé en formation à Cuba avant d’être mis à la disposition du ministère de la défense », a relaté l’ancien ministre.
Mais qu’en est-il de l’opérationnalisation de ce corps et le rôle qu’il a joué le 15 octobre ? Selon le témoin, le projet de création de cette unité était discuté en conseil des ministres mais ce n’est que le 14 octobre, soit à la veille du Coup d’Etat que ce projet devait être adopté, y compris l’organigramme du corps. De ce fait, le commandant Vincent Sigué exerçait sans avoir pris officiellement fonction, selon Ernest Ouédraogo. « Pourquoi donc prendre fonction sans une nomination », a voulu savoir le juge. Et le témoin de lui répondre : « c’était nos méthodes, on était aussi pressé », précisant que Blaise Compaoré était absent au Conseil des ministres du 14 octobre. Placé en détention après le 15 octobre, le témoin dit n’avoir pas su comment le corps a été dissout mais il avait bien appris que son commandant a été abattu quelques jours après les évènements du 15 octobre.
La FIMATS, un rôle trouble
S’attardant sur la journée du 14 octobre, le parquet a rappelé des propos qu’aurait tenu l’ex-ministre au sujet de la création de la FIMATS : « Il semble que vous avez prononcé une phrase en Conseil des ministres disant « Nous-nous sommes longtemps occupés de nos ennemis, il est temps de nous occuper de nos amis » ? Réponse inattendue de celui qui est aujourd’hui maire de Téma-Bokin, sa commune natale : « Je ne crois pas avoir prononcé cette phrase quand bien même j’ai répondu à plusieurs questions lors de l’adoption de l’organigramme. » Cela fait dire au ministère public que « la FIMATS a un rôle trouble dans cette affaire, d’autant que certains pensent qu’elle a été créée pour régler des problèmes internes ».
Pour ce qui est du « complot de 20 heures » qui devrait être exécuté par des éléments de la FIMATS, selon des témoignages, Ernest Ouédraogo a affirmé qu’il n’a jamais eu vent d’un tel complot, encore moins la participation du corps.
Après le témoignage de l’ex-ministre, c’est un autre témoin, en l’occurrence, Mousbila Sankara, qui a été appelé à la barre. L’audience a été suspendue pour reprendre le mardi 30 novembre à 9 heures, toujours à la Salle des banquets de Ouaga 2000.
Bernard Kaboré