Assassinat Thomas Sankara : « C’est possible que j’aie été manipulé par mon chef, Gilbert Diendéré »
Commandant de la première compagnie du Bataillon d’intervention rapide (BIR) en 1987, le colonel-major Sibidou Léonard Gambo est témoin dans le dossier sur l’assassinat du président Thomas Sankara et 12 de ses compagnons. C’est à ce titre que celui qui avait le grade de lieutenant au moment des faits a comparu ce 8 décembre 2021 devant la chambre de première instance du tribunal militaire. Peu avant les tirs, le lieutenant Gambo aurait échangé par coups de fil avec Gilbert Diendéré, chose que ce dernier a nié catégoriquement. A la question du président du tribunal de savoir s’il a été manipulé, le témoin n’a pas écarté cette possibilité.
Le colonel-major Sibidou Léonard Gambo est le 34e témoin à se présenter devant la chambre de première instance du tribunal militaire pour apporter sa part de lumière au dossier sur l’assassinat de Thomas Sankara et de douze de ses compagnons le 15 octobre 1987. Agé aujourd’hui de 63 ans, il servait au Conseil de l’entente en qualité de commandant de la première compagnie du Bataillon d’intervention rapide (BIR) que commandait le général Gilbert Diendéré.
Le colonel-major Gambo n’aurait peut-être pas été cité comme témoin s’il avait fait valoir, au moment des faits, une autorisation d’absence de 72 heures qui lui a été délivrée par son supérieur d’alors, le général Gilbert Diendéré et qui était valable du jeudi 15 au samedi 17 octobre. Le témoin lui-même affirme que c’est de façon incidente qu’il s’est retrouvé au Conseil le jeudi puisqu’il devait plutôt être à Tenkodogo.
Ce jour-là, dit-il, il s’y est rendu dans l’après-midi pour préparer un cours de topographie qu’il devait dispenser le samedi 17 octobre à la Force d’intervention du ministère de l’Administration territoriale (FIMATS). Pendant qu’il préparait le cours, Léonard Gambo reçoit via la ligne interne de communication un coup de fil de Diendéré. « Tu es là ?, m’a-t-il demandé. J’ai dit oui, et il m’a fait savoir qu’il viendra me voir », a relaté le témoin qui dit avoir été intrigué par ce coup de fil d’autant plus que d’habitude c’est lui qui rejoint son supérieur dans son bureau. « J’ai donc rappelé le lieutenant Diendéré qui m’a demandé si je suis pressé et m’a rassuré qu’il allait venir ».
Les coups de fil à polémique
Quelques minutes après avoir raccroché le deuxième coup de fil, le lieutenant Gambo dit avoir entendu un coup de feu qui laissait penser à un incident comme il en était coutume, dit-il, au Conseil. Mais peu de temps après ont suivi des rafales. « J’ai immédiatement quitté mon bureau qui se situait à l’étage pour descendre m’enquérir de ce qui se passait. Les rafales avaient cessé mais les tirs venaient d’un peu partout. Gilbert Diendéré m’a interpellé en disant ‘’Gambo, reviens ! ‘’. Je me suis alors rendu compte qu’en descendant je l’avais dépassé sans le savoir. Il m’a dit qu’il parait que l’ETIR allait nous attaquer et m’a instruit de m’occuper de mes hommes. Passé cet échange, j’ai longé le mur pour calmer les éléments qui continuaient de tirer », a expliqué l’enseignant en topographie qui estime à 70 ou 80 mètres la distance séparant le bâtiment qui loge son bureau à celui qui a essuyé les premiers tirs et où se trouvait le président.
La déposition du témoin a suscité de la part du président, Urbain Méda, des questions précision. « Votre chef vous dit que l’ETIR allait vous attaquer, de préparer vos hommes. Pour quoi faire ?» Réponse de Léonard Gambo : « On était organisé de sorte que les hommes sont en position pour faire face à une éventuelle attaque venant de l’extérieur. Pour moi, Diendéré avait déjà la situation en main », a commenté l’homme à la barre.
« Je ne sais rien des arrestations au Conseil »
Répondant aux questions du parquet militaire en lien avec les auteurs des tirs mortels au Conseil, le colonel-major à la retraite a dit ne pas en savoir grand-chose, pas même avec le recul et ce qu’il aurait pu apprendre par la suite. « Quand une situation se dénoue de cette façon et que vous n’étiez au courant de rien à l’avance, vaut mieux ne pas faire preuve d’excès de curiosité et attendre les ordres. Jusqu’à ce jour, je n’ai jamais cherché à savoir qui a fait quoi au Conseil. Je me dis que je n’en ai rien su à l’avance parce que ça ne me concernait pas », a estimé le témoin.
Mais le témoin sait-il tout de même quelque chose des arrestations et la détention de plusieurs personnes au Conseil ? Non, assure l’homme à la barre, « il s’y passait beaucoup de choses qu’un commandant d’unité comme moi ne pouvait forcément tout savoir ». Au conseil de l’entente, le lieutenant Gambo ne se souvient pas non plus avoir assisté à l’enlèvement des corps des personnes tuées, quand bien même il y a passé la nuit avec Diendéré et Omar Traoré, un autre officier à l’époque.
S’agissant de l’hypothèse de l’attaque de l’ETIR, Léonard Gambo ne le crois pas plausible puisque ayant des amis au sein de ce corps, il en aurait reçu l’information à l’avance.
“Qui dit vrai? La Chambre saura se débrouiller”
Au tour de la partie civile d’interroger le témoin, les questions ont essentiellement porté sur le coup de fil entre les deux lieutenants d’alors et la présence ou non de l’un, Diendéré, au Conseil avant, pendant et après les tirs. Car lors de son audition, l’ex-patron du BIR et adjoint du Centre national d’entrainement commando (CNEC) avait fait croire qu’aux premiers coups de feu, il se trouvait non loin du terrain de l’ENAM où il se rendait pour du sport, ont rappelé Me Olivier Badolo et Me Julien Lallogo. Le colonel-major Gambo est resté formel, Diendéré, dont il ne se souvient plus de la tenue qu’il arborait, se trouvait au Conseil dès les premiers tirs et à la lumière des coups de fils échangés, il y était avant même l’assaut. Et à la question d’un avocat de la partie civile de savoir si finalement il a été manipulé, le colonel-major a dit ne pas écarter cette possibilité. « c’est possible que j’aie été manipulé par mon chef d’alors, Diendéré, parce que je ne savais rien à l’avance ».
Appelé à la barre pour une confrontation, le général Diendéré, accusé dans le dossier, a balayé du revers de la main certaines déclarations du témoin en ces termes : « ce n’est pas du tout juste ce qu’il dit ; je ne l’ai pas appelé, il ne m’a pas appelé non plus. Il vous a dit qu’il était en permission et théoriquement je ne pouvais pas savoir qu’il était au Conseil ce-jour-là. Et le témoin de revenir à la charge : « le fait que je sois en permission n’exclut pas que je revienne au bureau incidemment, le fait de revenir au bureau n’exclut pas non plus que Diendéré le sache ».
Mais que voulez-vous que nous retenions à la fin ? A cette question que le président a adressée et à l’accusé, et au témoin, le général Diendéré a déclaré qu’il ne pouvait pas alors oublier l’autorisation accordée à son subalterne. Et Urbain Meda de noter que c’est la parole de l’accusé contre celle du témoin et que la chambre, au moment de délibérer saura se débrouiller avec les éléments dont elle dispose.
La mission de Koudougou
A la rescousse de Gilbert Diendéré, son avocat, Me Abdoul Latif Dabo a relevé des contradictions entre les propos du témoin à la barre et celles tenues devant le juge d’instruction. « Vous avez dit que vous êtes revenu de Tenkodogo où vous avez été rendre visite à votre frère ». Pas exact, « mes propos n’ont certainement pas été fidèlement transcrits », a répondu Léonard Gambo. Pour Me Olivier Yelkouni, un autre conseil de Diendéré, Gambo et d’autres témoins affirment avoir vu le général à des endroits différents le 15 octobre et la défense saura démonter leurs arguments en temps opportun.
Interrogeant Léonard Gambo sur un aspect que ce dernier n’aurait pas voulu évoquer, la partie civile a souhaité que le témoin dise ce qu’il sait d’une mission à Koudougou quelques temps après le coup d’Etat du 15 octobre et dont il a fait partie. « Il semble que vous y avez été envoyé pour neutraliser le Bataillon d’intervention aéroporté (BIA) ? », a interrogé Me Kam. « Effectivement, il y a eu des combats et les éléments du bataillon ont été mis en déroute », a déclaré le témoin qui dit n’avoir pas enregistré de mort lors de cette mission. Léonard Gambo dit avoir reçu cette mission de Gilbert Diendéré. Et ce dernier à nier toute responsabilité dans cette mission, expliquant qu’elle était l’initiative du commandant du Haut commandement des forces armées populaires d’alors, Jean-Baptiste Lingani et les comptes rendus étaient faits au chef d’un groupement des forces qui composaient la mission.
Après l’officier retraité, Arzouma Lankoandé, un autre témoin, a été appelé à la barre. Lui aussi dit avoir aperçu le général Diendéré au Conseil peu avant l’assaut.
Bernard Kaboré