Editorial

Retour des coups d’Etat en Afrique : Se peut-il que Jacques Chirac ait raison ?

Le retour des coups d’Etats en Afrique remet en cause cette vérité assenée par le président Barack Obama en 2009 : « L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts ; elle a besoin d’institutions fortes. »  Avant l’ancien président américain, c’est l’ancien président français, François Mitterrand, qui engageait les Etats africains dans son discours au sommet France-Afrique de la Baule en 1990, à se construire des institutions démocratiques fortes dans un multipartisme fécond. Dans la conception mitterrandienne, l’existence de contre-pouvoirs dans nos Etats par le truchement des partis d’opposition, des syndicats et des organisations de la société civile, améliorerait leur gouvernance, impactant ipso facto leur développement socio- économique.

Au contraire de François Mitterrand, Jacques Chirac soutenait que « l’Afrique n’est pas mûre pour la démocratie », à cause de l’analphabétisme, du communautarisme et de la pauvreté de sa population. Bien d’intellectuels du continent et de sa diaspora avaient alors crié haro sur cette vision. Ils la rangeaient dans les clichés de stigmatisation de l’Africain, incapable de faire siennes, des valeurs universelles comme la liberté, l’égalité, la justice, bref les droits de l’homme, consacrés par les Etats démocratiques.

Plus de 30 ans après le discours de la Baule, se peut-il que Chirac ait raison sur Mitterrand quand on voit que les processus démocratiques en Afrique, au lieu de se renforcer, se délitent : les élections n’y sont pas crédibles, des crises postélectorales dérivent en conflits communautaires, des inégalités de développement régional dans nos pays cristallisent des revendications identitaires, confessionnelles, voire territoriales. Ainsi de l’Ethiopie à la Namibie, en passant par le Nigeria et les pays du Sahel, les guerres, ou tout au moins l’insécurité induites de ses revendications, remettent en cause sinon les frontières des Etats, en tout cas le vivre-ensemble des populations.  Quand les pouvoirs « démocratiquement élus » s’avèrent incapables de résoudre ces problèmes, parce que, entre autres, ne disposant pas d’institutions fortes, comme l’armée, une administration suffisamment déconcentrée et légitimée par son efficience, surgissent des « hommes forts » animés par la volonté de sauvegarder et de restaurer l’espoir perdu des peuples en des lendemains qui chantent.

 Les colonels Assimi Goïta, Mamady Doubouya, Paul Henry Damiba, tirent leur légitimité de cette mollesse des institutions légales à jouer convenablement leur rôle. Cette légitimité accréditerait-elle la thèse chiraquienne d’une Afrique immature pour la démocratie, ayant plutôt besoin d’hommes forts pour se sortir de l’ornière de l’insécurité et de l’instabilité ?

Gare aux illusions, car des hommes forts avec des régimes stables, qui n’ont résolu ni les problèmes de mal gouvernance, ni ceux de la pauvreté des populations et des injustices sociales, l’Afrique en a connus : Sékou Touré, Idi Amin Dada, Mengistu Hailé Mariam, Omar Bongo, etc.

On croise donc les doigts pour que le retour des coups d’Etats ne nous reproduisent plus ces contre-exemples d’hommes forts pour tenir les rênes du pouvoir mais incapables de répondre aux aspirations des peuples.

Non, Jacques Chirac n’a pas raison ! Si longue et rocailleuse que soit la voie qui mène à des institutions démocratiques fortes, les Etats africains doivent y cheminer dès maintenant avec cependant moins de mimétisme formel et plus d’audace dans la prospection de modèles alternatifs à ceux d’ailleurs.

Zéphirin KPODA

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