Débat sur l’ethnie et le pouvoir d’Etat au Burkina : « Ne jetons pas de l’huile sur le feu »
Depuis quelques jours, des éléments audios circulent sur les réseaux sociaux sur la question de l’ethnie dans le jeu politique. La mèche a été allumée par Madame Monique Yeli Kam, ex-candidate malheureuse à la présidentielle de 2020, et se consume petit à petit. Il faut vite l’éteindre car ce sont les petites étincelles qui peuvent engendrer les grands incendies.
Notre pays vit une crise sécuritaire sans précédent dans son ‘histoire politique. On déplore des milliers de morts et de blessés, des millions de personnes déplacées internes et une économie sous perfusion. Le bilan humain, matériel, financier et économique du terrorisme est effroyable.
Face au péril qui menace même l’existence de notre pays, nous devons travailler à l’unité et à la cohésion pour sauver l’essentiel.
Pendant qu’on est confronté à un extrémisme violent, on tente de faire entrer la question ethnique dans le débat public. Ailleurs ce sujet a été à l’origine de drames humains regrettables. Les exemples sont légion. Nous devons donc éviter de compliquer la situation nationale en surfant sur une thématique crisogène.
Nous pensons humblement que l’argent est plus au cœur du système électoral que l’éthnie.
L’un des problèmes de notre démocratie,c’est la non participation des gens éclairés aux scrutins électoraux. Beaucoup refusent d’aller voter parce qu’ils n’ont aucune confiance aux hommes politiques qui se présentent aux différentes élections ou sont convaincus que les jeux sont faits à l’avance avec les fraudes massives. Certes il y a des préjugés défavorables sur certaines ethnies mais est ce suffisant pour parler d’ethinisme ?
En 2015, Monsieur Zephirin Diabre avait des atouts et les a toujours pour remporter la présidentielle. Il a géré l’opposition d’une main de maître jusqu’à obtenir le départ de Blaise Compaoré suite à l’insurrection populaire. Quand il s’est agi de vote, beaucoup ont préféré faire le choix de l’argent.
Lors de l’insurrection populaire, des politiciens pyromanes ont manipulé des jeunes et organisé des incendies des domiciles privés pour semer la terreur dans un camp politique. Sous la Transition ils étaient à la manœuvre pour traquer leurs adversaires et les exclure de la course aux élections. A l’époque, beaucoup ont applaudi. Mais en réalité, on venait de valider le billet du MPP pour Kosyam. Je reste convaincu que si l’ex-parti au pouvoir n’avait pas manœuvré politiquement en minant le terrain, Monsieur Diabré avait beaucoup de chances. Avec l’exclusion du CDP et de la NAFA, il était difficile pour l’UPC de faire face aux anciens compagnons de Blaise Compaoré qui ont en leur sein des intrigants professionnels et des champions toutes catégories confondues de la politique politicienne et de la fraude électorale.
En 2020, le parti au pouvoir, a encore joué la carte de grands moyens financiers pour passer haut la main.
Si on y prend garde avec ce débat sur l’ethnie, on va par la suite glisser sur un autre sujet autrement plus dangereux: celui de la religion.
En effet, il y a des Burkinabè qui pensent que depuis l’indépendance de notre pays, ce sont des chrétiens qui sont présidents du Faso alors que les musulmans sont majoritaires dans le pays. En dehors d’El Hadj Sangoulé Lamizana, tous les chefs d’Etat que nous avons connus sont des chrétiens. Où est-ce que tout cela pourrait nous mener si ce n’est le chaos. Un proverbe dioula dit: ” Problème ne cherche pas l’homme. C’est l’homme qui cherche problème”.
Pendant les six ans de gestion de pouvoir de Monsieur Roch Marc Christian Kabore, tous les premiers ministres étaient d’une autre ethnie: samo et dagari. Sous le président Blaise Compaoré, l’Assemblée nationale a été présidée par Monsieur Arsène Bongnessan Yé et Monsieur Melegué Traoré. Monsieur Ernest Paramanga Yonli a occupé la Primature pendant sept ans pour ne citer que ces exemples. L’équilibre régional a toujours prévalu dans les nominations au Burkina Faso pour ne pas réveiller un sentiment d’ethnicisme parce que effectivement ce sentiment est une réalité. Mais elle n’est pas exacerbée au point d’être élevé au rang des facteurs sociaux pouvant mettre en péril la vie de la nation et qui nécessite qu’on en débatte publiquement.
Il ne faut pas certes nier qu’il y a des préjugés sur certaines ethnies et des considérations ethniques existent dans le jeu politique mais l’ampleur n’est pas à un niveau où on peut parler d’ethnicisme à grande échelle susceptible d’être une menace au vivre-ensemble.
L’ethnie est plutôt manipulée par des politiciens sans vergogne pour atteindre leur objectif et ce sont les esprits faibles qui tombent dans leur piège. C’est en transformant la question ethnique en débat public qu’on risque d’en faire une thématique qui peut menacer la Nation.
Sous le pouvoir du président Kaboré, le ministre Rémi Fulgance Dandjinou à été traité sur les réseaux sociaux de Beninois et Thierry Hot de Camerounais. Pourtant ils ont la nationalité burkinabè. Rémi Dandjinou est né à Bobo-Dioulasso. Il a la culture bobolaise. Pourquoi tenir de tels propos blessants en leur endroit? Quand les gens s’attaquent à votre ethnie et à votre origine, c’est qu’ils sont en manque d’argument. Et généralement, ce sont des petits esprits qui se comportent ainsi. Peut-on en conclure que les Burkinabè n’aiment pas les étrangers ou les personnes d’origine étrangère ?
Je n’ai pas d’études pour le soutenir mais je pense que si Bobo Dioulasso, Gaoua ou Banfora étaient la capitale du Burkina Faso depuis l’indépendance, l’ethnie dominante de ces localités joueraient les premiers rôles dans le jeu politique. La position géographique de Ouagadougou, qui est au Centre, a sans doute pesé en faveur de l’ethnie mossi, qui faut-il le préciser est majoritaire au Burkina Faso. Les chercheurs pourront nous éclairer.
Nous devons nous ressaisir pour ne pas jeter de l’huile sur le feu déjà ardent. Quand la pluie vous bat, il faut éviter de vous battre. Nous sommes un pays où la parenté à plaisanterie contribue à une coexistence pacifique entre les communautés. Le développement durable du Burkina Faso passera par l’élection d’un homme ou d’une femme patriote et visionnaire qui fera de la lutte contre la mal gouvernance et la corruption une priorité.
Notre problème principal, ce n’est pas l’ethnie mais la corruption de l’élite politique, le mauvais choix des hommes dans nos institutions, le laxisme et nous en oublions.
Adama Ouédraogo dit Damiss
Journaliste et écrivain
Très belle analyse !