Meurtre de Dabo Boukary : 32 ans après, les étudiants s’en souviennent
Assassiné le 19 mai 1990, l’étudiant en 7e année de médecine, Dabo Boukary, est toujours dans les mémoires de ses camarades. En effet, dans une déclaration parvenue à notre rédaction, l’Association des étudiants burkinabè en France (AEBF) exige, une fois de plus, vérité et justice pour celui qui fut un militant actif de l’Association nationale des étudiants burkinabè (ANEB). Estimant que les maux contre lesquels il s’est battu sont toujours d’actualité, elle a invité les autres à suivre son exemple en luttant pour de meilleures conditions de vie et d’études. Lisez plutôt.
Camarades étudiant.e.s,
Le 19 mai 2022, cela fera 32 ans exactement que notre camarade DABO Boukary a été sauvagement assassiné par le pouvoir sanguinaire du capitaine Blaise Compaoré dans les locaux du tristement célèbre Conseil de l’Entente, ancien bastion du défunt Régiment de Sécurité Présidentiel (RSP). Ce régiment était dirigé par Gilbert DIENDÉRÉ, un criminel qui a fait verser le sang de nombreux dignes fils du peuple.
DABO Boukary était étudiant en 7e année de médecine en 1990, et militant actif de l’Association Nationale des Étudiants Burkinabè (ANEB), la section nationale de l’Union Générale des Étudiants Burkinabè (UGEB). Il s’est engagé consciemment et avec détermination à défendre fermement les intérêts matériels et moraux des étudiant.e.s et pour l’élargissement des espaces de liberté dans notre pays, à une période où la banalisation de la vie humaine était le sport favori du régime.
Au plan national, en mai 1990 le contexte était marqué par la confiscation quasi-totale des libertés démocratiques et syndicales. Cette situation va se répercuter sur le campus où les étudiant.e.s vivaient déjà des conditions de vie difficiles du fait des premiers effets des Programmes d’Ajustement Structurel (PAS). Toute chose qui amènera les étudiant.e.s de l’Université de Ouagadougou (UO), actuelle Université Joseph KI-ZERBO, à s’organiser et à réclamer de meilleures conditions de vie et d’études.
Au lieu de répondre aux justes préoccupations des étudiant.e.s, les autorités universitaires et ministérielles d’alors, le Pr Alfred TRAORE (directeur de l’ISN/IDR), feu Pr. Alain Nindaoua SAWADOGO (recteur de l’UO) et feu Pr. Mouhoussine NACRO (ministre des Enseignements secondaire, supérieur et de la recherche scientifique), font abattre sur eux une répression farouche. Ils seront appuyés dans leurs basses besognes par des étudiant.e.s “gâteaux” comme BAMBA Mamadou (condamné dans le dossier du putsch de Gilbert DIENDÉRÉ), BANSE Moussa, DIABATE Issouf, GANDEMA Issa, OUEDRAOGO Hubert, TAO Yendekoye, HIEN Lin et autres.
Cette violente répression sur les étudiant.e.s de l’UO sera couronnée par l’exclusion officielle de 25 étudiant.e.s de l’université et 17 autres officieusement, des bastonnades à sang de centaines d’étudiant.e.s notamment lors des descentes de commandos de la garde présidentielle (ex RSP) sur le campus, des arrestations, détentions, tortures de centaines d’étudiant.e.s au Conseil de l’Entente, des poursuites policières et des perquisitions, le blocage de bourses et l’enrôlement de plusieurs étudiant.e.s de force dans l’armée. C’est dans ce contexte que notre camarade DABO Boukary sera enlevé, conduit au conseil de l’Entente et torturé à mort. Jusqu’à ce jour, la justice se fait toujours attendre.
Camarades étudiants.es
Le 32e anniversaire de l’assassinat de DABO Boukary se tient dans un contexte international marqué par une exacerbation des rivalités entre puissances impérialistes. Cette rivalité a atteint un palier supérieur comme le démontre la guerre impérialiste réactionnaire en Ukraine à laquelle se livrent la Russie soutenue par la Chine d’une part, et de l’autre les Etats-Unis et leurs alliés de l’OTAN. Elle fait courir au monde les risques d’une nouvelle guerre impérialiste de dimension mondiale.
Au plan national, la situation demeure trouble et complexe. Elle se caractérise par :
la faillite de toutes les institutions néocoloniales, y compris de l’armée qui a vu un de ses clans putschistes opérer un coup d’État défensif et d’essence réactionnaire dans le but de freiner l’élan révolutionnaire du peuple burkinabè, imposer la réconciliation entre les différentes fractions bourgeoises et réprimer le mouvement démocratique et révolutionnaire.
l’incapacité du régime putschiste du MPSR à jouer son rôle régalien de sécurisation des populations et de protection de leurs biens. Quoi de plus normal pour une armée néocoloniale spécialisée dans les putschs et la répression des masses populaires. En effet, la crise sécuritaire continue de s’enliser chaque jour . Selon le journal l’Economiste du Faso N°439 du 16 au 22 mai 2022, en 100 jours de pouvoir du MPSR, le pays a enregistré 610 attaques et 567 personnes tuées officiellement. Cette crise sécuritaire accentue la crise humanitaire. Ainsi, à la date du 31 mars 2022, la crise a fait officiellement 1 850 293 personnes déplacées internes dont 61 % d’enfants, selon le Conseil National de Secours d’Urgence et de Réhabilitation (CONASUR). Ces populations déplacées vivent en plus dans des conditions difficiles c’est à dire qu’elles sont le plus souvent privées du minimum vital à savoir le logement, la santé, l’eau potable, l’électricité, etc. Le Bureau de coordination des Affaires Humanitaires (OCHA) dénombre à la date du 30 avril 2022, 685 539 élèves affectés par la fermeture de 4148 établissements, soit une augmentation de 484 écoles par rapport au mois de mars 2022. La crise a également privé de nombreuses personnes de soins de santé. Selon un rapport du Ministère de la santé, 499 formations sanitaires étaient affectées par l’insécurité dans les 8 régions les plus touchées par la crise humanitaire dont 160 complètement fermées privant plus de 1 956 781 habitants des soins de santé, au 28 février 2022. (Bulletin N°25 du Cluster février 2022).
la crise sociale marquée par la vie chère avec l’augmentation des prix des produits de premières nécessités (hydrocarbures, huile, riz, sucre, céréales, etc), les problèmes d’eau, d’électricité, de logement, etc., plongeant davantage les masses populaires dans la misère.
l’approfondissement de la crise de l’école burkinabè dans tous les ordres d’enseignement. Les politiques anti-éducatives se poursuivent avec pour conséquences des années académiques aux débuts et aux fins imprévisibles dans les universités publiques du pays, l’aggravation des chevauchements d’années et de semestres, le bâclage de la formation des enfants du peuple sous le prétexte de rattraper le retard académique. Comme si cela ne suffisait pas, le pouvoir du MPSR poursuit avec zèle les réformes impopulaires entamées par le MPP allant dans le sens de remettre en cause les acquis sociaux des étudiants avec notamment les réformes du FONER. L’objectif ultime est bien évidemment de rendre l’université inaccessible aux enfants du peuple, conformément aux injonctions de leurs maîtres impérialistes juchés au FMI et à la Banque mondiale. Mais cette entreprise est déjà vouée à l’échec puisque les étudiants de notre pays sous la direction de l’UGEB et de ses sections veillent et se battent.
Face à toutes ces difficultés, des luttes multiples et multiformes sont organisées en ville comme en campagne contre le terrorisme, la vie chère, la corruption, pour la santé, une éducation de qualité et un changement fondamental en faveur du peuple.
Camarades étudiant.e.s,
Les conditions de vie et d’études de la très grande majorité des étudiant.e.s burkinabè en France restent difficiles. En dépit de la réouverture de la Cité Fessart et son accessibilité aux non boursier.e.s et d’une amélioration dans le respect des délais de paiement des boursier.e.s, arrachées de hautes luttes par les étudiants sous la direction de l’AEBF, les étudiant.e.s burkinabè en France continuent d’être confrontés aux problèmes de logement, d’allocations, d’insertion professionnelle et d’accompagnement pour le retour au pays.
Sur le plan académique, nos autorités restent sourdes face à la réforme “Bienvenue en France” où les étudiant.e.s extra-communautaires (étranger.e.s hors UE) ont vu leurs frais d’inscription multiplier par 15 (170 à 2770 euros en licence, 243 à 3770 euros en Master). Si nombre d’universités n’appliquent toujours pas ces frais en classant les étudiant.e.s étranger.e.s parmi les bénéficiaires d’exonérations, il faut craindre que le dépassement du pourcentage d’étudiant.e.s à mesure d’être exonéré comme prévu par la loi française ne soit préjudiciable aux étudiant.e.s burkinabè en France.
Au plan social, le logement demeure un véritable casse-tête pour l’étudiant.e burkinabè qu’il/elle soit boursier.e. ou non. Par exemple, il faut au minimum 400 euros (263 234 cfa) pour un studio de 9m2 (entrer-coucher) en région parisienne, au moment où les étudiant.e.s boursier.e.s ne perçoivent que 552 euros (363 200 F CFA) comme bourse mensuelle et une aide mensuelle au logement de 76 euros (50 000 F CFA).
Si la réouverture de la Cité Fessart (réfectionnée et élargie aux étudiant.e.s non boursier.e.s) constitue une victoire d’étape et un acquis important de l’ensemble des étudiant.e.s burkinabè en France sous la direction de l’AEBF, il y a lieu de rester vigilant. Le coût du loyer a été multiplié par deux (environ 200 euros au lieu de 98 euros) et tout porte à croire que sa gestion demeure opaque puisque jusqu’à ce jour, l’ambassade n’a pas souhaité associer l’AEBF dans la commission d’attribution de la cité universitaire, malgré plusieurs interpellations. Cette absence de contrôle laisse libre court à toute sorte de favoritisme et d’affinité dans l’attribution des chambres.
Au niveau des allocations, l’écrasante majorité des étudiant.e.s burkinabè en France ne bénéficie d’aucune forme d’allocation. C’est pourquoi dans sa plateforme revendicative, l’AEBF exige l’octroi d’une allocation sous forme d’aide d’un montant annuel de 2800 euros à tout.e étudiant.e burkinabè non boursier.e en France.
Camarades étudiant.e.s
Les maux contre lesquels DABO Boukary s’est battu sont toujours d’actualité. Il croyait à un monde plus juste et humain. Il a opté pour le sacrifice suprême pour de meilleures conditions de vie et d’études des étudiant.e.s, pour la liberté et la démocratie sur le campus. Son exemple doit nous inspirer. C’est la raison pour laquelle, les étudiant.e.s burkinabè, où qu’ils/elles se trouvent, demeurent intransigeant.e.s sur ce dossier DABO Boukary et poursuivront la lutte pour la vérité et la justice.
En ne perdant pas de vue qu’il s’agit d’un crime politique, l’AEBF reste convaincue que justice sera faite pour DABO Boukary tôt ou tard. Même si certaines personnes impliquées dans l’assassinat de notre camarade comme Salifou Diallo et Alain Nindaoua Sawadogo sont décédées sans rendre compte devant la justice, d’autres continuent toujours de courir. Ils n’auront jamais le sommeil tranquille.
Le Comité Exécutif de l’AEBF voudrait saisir l’occasion de ce 32e anniversaire de l’assassinat de notre camarade DABO pour :
- exiger la vérité et la justice pour notre camarade ;
- interpeller une fois de plus les autorités burkinabè particulièrement l’ambassade du Burkina à Paris à avoir une oreille attentive aux préoccupations des étudiant.es burkinabè en France ;
- appeler les étudiant.e.s burkinabè en France, ses sympathisant.e.s et militant.e.s à participer massivement aux activités commémoratives de la 32e journée de l’Étudiant burkinabè qui se tiendront en différé dans les jours à venir.
Vérité et justice pour le camarade DABO Boukary !
En avant pour de meilleures conditions de vie et d’études et pour plus de libertés !
Vive la Journée de l’Étudiant Burkinabè !
Pain et liberté pour le peuple !
Union Générale des Etudiants Burkinabè (UGEB)
Association des Étudiants Burkinabè en France (AEBF)
Le Comité Exécutif
Paris, le 18 mai 2022