Contre le terrorisme : la justice comme arme ”incontournable” pour gagner le combat
Dans quelle mesure la justice peut-elle contribuer à lutter contre le terrorisme au Burkina? Plus que jamais, la question est d’actualité dans un contexte de récurrence des attaques perpétuées par les groupes armés. Autour de cette préoccupation, le Centre pour la qualité du droit et la justice (CQDJ) a organisé un café-débat dans la soirée du 26 août 2022 à Ouagadougou, réunissant des experts et un public composite.
Faut-il juger un terroriste ? Posée de cette manière, la question de la contribution du pouvoir judiciaire à la lutte contre le terrorisme n’a pas souvent manqué de nourrir suffisamment le débat public. Tant, les points de vues sont multiples, nuancés ou contradictoires. Au café-débat organisé par le centre pour la qualité du droit et la justice (CQDJ), c’était encore la question centrale à laquelle devaient répondre deux experts, à savoir : le substitut du procureur du Faso près le tribunal de grande instance de Ouaga 2, Idrissa Sako, et le commissaire Rachid Palenfo, chef de la Division affaires juridiques et contentieux de la Police nationale, sous une modération du président du conseil d’administration du CQDJ, Sosthène Ouédraogo.
« Quand on tient le discours officiel, tout le monde s’accorde à dire qu’il faut juger. Mais sur le terrain, la réalité est souvent tout-autre ; certains s’adonnent à une justice expéditive », a dénoncé le président de la Commission nationale des droits humains (CNDH), Kalifa Yemboado Rodrigue Namoano, présent à ce café-débat.
Les deux experts sont pourtant unanimes, la nécessité de faire de la justice un levier majeur dans la lutte contre le mal qui ronge le Burkina depuis plusieurs années ne souffre d’aucun débat. La preuve, e« la stratégie mondiale des Nations-Unies accorde une place de choix à la justice ; il en est de même pour la Stratégie nationale de lutte contre ce phénomène au Burkina », a démontré le substitut du procureur du TGI Ouaga 2, cette juridiction habilitée à connaître des faits de nature terroriste. « On peut lutter contre le terrorisme par les armes, on peut combattre le phénomène par l’éducation, le développement mais aussi par la justice », a soutenu, pour sa part, le commissaire Palenfo.
Pourquoi juger des présumés terroristes ? « Il faut juger parce nous sommes dans un Etat de droit. Et la question qui devait se poser c’est plutôt de savoir s’il faut juger des gens sur qui il ne pèse que des soupçons », estime le substitut Idrissa Sako, répondant ainsi à une certaine opinion qui pense qu’un « terroriste » n’a pas sa place en prison mais doit être purement et simplement neutralisé. Pour le commissaire Palenfo, l’enjeu réside dans la compréhension collective du bienfondé de la justice : « Si toute la population comprenait le pourquoi et le comment de la justice, celle-ci se légitimerai mieux ».
Si l’importance de la justice dans la lutte contre le terrorisme est reconnue, il n’en demeure pas moins qu’une kyrielle d’obstacles entravent le jugement des faits terroristes, selon les experts. Des difficultés qui se fondent sur la nature-même du phénomène. « Concernant ce type d’infraction, on rencontre d’énormes difficultés à dire le droit », reconnait Idrissa Sako. Et d’expliquer que le Pôle judiciaire spécialisé qui s’occupe des infractions terroristes du Tribunal de grande instance de Ouaga 2 manque de personnel et de moyens adéquats pour appréhender les faits terroristes. Or, s’agissant des ressources humaines et matérielles, « les enquêtes classiques ne permettent pas d’élucider les faits terroristes », fait remarquer l’homme de droit qui préconise « une formation des acteurs judiciaires aux nouvelles pratiques d’enquête ». En outre, l’engorgement des prisons de hautes sécurité conjugué aux longues périodes de détention constituent un terreau de radicalisation de nombre de détenus.
Se prose par ailleurs la question de la sécurité des acteurs judiciaires et leurs locaux qui reste un défi majeur selon Idrissa Sako. De son côté, le commissaire Rachid Palenfo a pointé des insuffisances dans la judiciarisation du renseignement la centralisation du jugement des actes terroristes, faisant allusion au seul pôle spécialisé de tout le Burkina qu’abrite le TGI Ouaga 2. A ce propos, le commissaire de police propose la création de pôles judiciaires spécialisés dans les régions, chose qui réduirait les risques de convois des présumés terroristes surtout pendant l’instruction de leurs dossiers.
Bernard Kaboré