Politique

Quand le journaliste Damiss conseillait au MPSR: « Ne laissez pas les loups entrer dans la bergerie »

Quelques semaines après la prise du pouvoir par le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) de Paul Henri Damiba, le journaliste et écrivain Adama Ouédraogo dit Damiss s’adressait aux nouvelles autorités d’alors via une lettre ouverte dans laquelle il esquissait des garde-fous à mettre en place pour réussir leur mission. Quelques mois après, un vent de changement a encore secoué le sommet de l’Etat, emportant avec lui le président Damiba, remplacé par le capitaine Ibrahim Traoré, toujours du MPSR. Le moins que l’on puisse dire c’est que cette lettre du journaliste-écrivain est toujours d’actualité. Lisez plutôt.

Ce que disait le journaliste à Damiba vaut également pour Ibrahim Traoré

«Ne laissez pas les loups entrer dans la bergerie »Le 4 août 1983, de jeunes officiers perpètrent un putsch, renversant le pouvoir du Conseil du salut du peuple (CSP), présidé par le médecin-commandant Jean-Baptiste Ouédraogo, chef de l’Etat. Dans leur  déclaration de prise du pouvoir, Thomas Sankara, leur leader, explique  qu’ « ils  se sont  vus obligés d’intervenir dans la conduite des affaires de l’Etat pour rendre à notre pays son indépendance et sa dignité ». Et pour « réaliser ces objectifs d’honneur, de dignité, d’indépendance véritable et de progrès pour la Haute-Volta et pour son peuple », les nouveaux maîtres de Ouagadougou ont constitué le Conseil national de la révolution (CNR), qui assumait désormais le pouvoir d’Etat.

Les capitaines qui règnent au   « pays des hommes intègres »  sont  jeunes, brillants, patriotes et ambitieux. En quatre ans de gestion du pouvoir, ils mènent une lutte sans merci contre la corruption et entreprennent des réformes hardies qui transforment les mentalités et le visage du pays. Tout n’est cependant pas rose, eu égard aux nombreuses dérives de la Révolution. Mais  les résultats atteints en quelques mois marquent les esprits au point qu’aujourd’hui, on a tendance à  oublier les méfaits des révolutionnaires d’août 1983.

Au départ, les jeunes capitaines sont unis et solidaires. Leur passé commun  a milité en leur faveur. Les deux principaux leaders, par exemple, Thomas Sankara et Blaise Compaoré, sont de grands amis. L’un ne fait rien sans consulter l’autre. Thomas et Blaise  se remorquent à motocyclette pour aller courtiser  Mariam Sérémé à Dapoya, un quartier populaire de Ouagadougou.

La charmante  Mariam devient  plus tard l’épouse du président du CNR. Blaise Compaoré, lui, convole en justes noces avec  une belle métisse, Chantal  Terrasson de Fougères, et Thomas Sankara trône en bonne place lors de leur mariage.

Au fil du temps,  des contradictions  apparaissent dans la conduite des affaires de l’Etat. La cohésion commence à se lézarder. Les commérages, les mensonges, les manipulations, etc., créent un climat de méfiance au sein du Conseil national de la révolution (CNR). Les loups sont entrés dans la bergerie. Des tracts orduriers  inondent la capitale. Deux camps finissent par se dégager clairement. Le virus de la  division contamine  le cercle des gardes rapprochées. Et la tragédie du 15 octobre 1987 arrive. La suite de l’histoire est connue de tous.
Près de quarante ans plus tard, l’histoire semble se répéter au Burkina Faso.  Face à une crise sécuritaire sans précédent, des officiers des Forces armées nationales  décident de mettre fin au pouvoir du président démocratiquement élu Roch Marc Christian Kaboré.

Comme avec les capitaines d’août 1983,  c’est « le cours des événements de notre pays, fragilisé par  tant d’événements  et assailli de toutes parts par des groupes armés radicaux »  et  « la gravité de l’heure » qui ont amené « les différentes composantes de l’armée, dans une démarche consensuelle d’indiquer la voie » pour  « la restauration  de  l’intégrité de notre Burkina Faso et la sauvegarde des acquis de notre peuple chèrement acquis ».
A l’image des capitaines, les lieutenants colonels  à la tête  du pays depuis le 24 janvier 2022  constituent le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et  la restauration (MPSR), l’organe qui  dirige désormais le  Burkina Faso. Pour le moment, on peut dire que les choses avancent au rythme des nouvelles autorités et on souhaite que la situation sécuritaire connaisse une amélioration rapide pour le bonheur des populations. Le MPSR  a le  soutien d’une partie de l’opinion et bénéficie de la bienveillance des institutions sous régionales, régionales et internationales, qui observent l’évolution de la situation nationale.

Mieux vaut prévenir que guérir

Mais c’est lorsque tout semble bien marcher qu’il faut tirer la sonnette d’alarme pour éviter les erreurs du passé Car comme le dit un adage, « mieux vaut prévenir que guérir ». Dès à présent donc, il importe de rappeler que notre pays a connu des moments historiques pleins d’espoirs qui se sont malheureusement soldés par des  échecs et parfois des drames. C’est  la  raison pour laquelle nous exhortons les dirigeants du MPSR  à prôner en leur sein l’esprit d’équipe, le dialogue, l’honnêteté, la sincérité, la  compréhension, la tolérance, le pardon  afin de sortir par la grande porte et la tête haute. Ainsi, leurs noms resteront gravés dans le marbre de l’histoire de notre pays.

Chers dirigeants du MPSR, vous êtes pour la plupart des promotionnaires. Beaucoup d’entre vous  sont amis dans la vie de tous les jours. Certains partent en boîte de nuit ensemble ou sirotent la bière au maquis du coin ou encore le thé au « grin ». D’autres ont des liens de famille. Vos enfants et vos épousent se connaissent et se fréquentent sans doute. Faites en sorte que ces liens sacrés ne se rompent pas dans la gestion du pouvoir. Restez unis jusqu’au bout. Faites attention aux manipulateurs, aux colporteurs de commérages qui n’ont pour objectif que de vous diviser et de faire échouer le processus de Transition. Nous dirons, pour paraphraser le célèbre basketteur américain Michael Jordan, que «  certains veulent que ça arrive, d’autres aimeraient que ça arrive et quelques-uns font que ça arrive ».

Prenez le soin de vérifier tous les retours d’informations pour vous assurer de leur véracité. Cela vous met à l’abri de la désinformation et de l’intoxication faites à dessein pour créer un climat de méfiance entre vous.
Feu Valère Somé, ancien membre du bureau politique du CNR, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique dans le gouvernement de  Thomas Sankara et l’un de ses proches collaborateurs,  écrit dans son livre Thomas Sankara : l’espoir assassiné : « Quelques semaines auparavant (avant le coup d’Etat du 15 octobre 1987 cela s’entend), j’avais été tiré de mon lit au beau milieu de la nuit, par des camarades militants de mon organisation pour m’entendre dire : Va trouver ton type (Thomas Sankara) et dis-lui que s’il ne réagit pas, nous serons pris et égorgés comme des moutons ! Il ne fait aucun doute que les partisans du capitaine Compaoré sont prêts à passer à l’offensive ! »
De cette même façon, il s’est trouvé des gens pour rapporter ou fabriquer les mêmes informations ou faire les mêmes analyses à Blaise Compaoré ou à ses lieutenants. Ils ont réussi leur basse besogne.

Ils vous mettront en prison s’ils arrivent au pouvoir
Chers membres du MPSR, pour éviter ce genre de situations, partagez-vous toujours les informations qui tendent à vous diviser ou à semer la zizanie entre vous afin de démasquer les traîtres. Si vous vous laissez manipuler par les hommes politiques, sachez qu’ils sont sans pitié pour leurs intérêts : ils vous mettront en prison s’ils arrivent au pouvoir, quel que soit ce que vous ferez pour eux. Un proverbe africain dit : « Même la nuit, le lait est blanc ». Demandez à l’ex-Premier ministre Yacouba Isac Zida, il a de l’expérience à revendre pour avoir fait voter une loi d’exclusion afin de favoriser l’arrivée du MPP aux affaires. Il est depuis en exil au Canada. Par ailleurs, ne faites pas comme les révolutionnaires qui avaient désigné deux catégories de citoyens burkinabè : d’une part ceux qui partageaient leur vision, alors qualifiés de patriotes, et d’autre part ceux  qui ne la partageaient pas, considérés à cette époque comme des ennemis du peuple ou des réactionnaires.

Ne faites pas non plus comme certains du pouvoir déchu du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) qui traitent systématiquement ceux qui les critiquent de pro-ancien régime comme si eux-mêmes venaient de la planète Mars alors que ce sont tous des gens issus des rangs du régime Compaoré qu’il  ont contribué à asseoir, parfois au prix de larmes et de sang. Ne vous laissez pas distraire ni embrouiller par les vautours qui ont pris le Premier ministre Yacouba Isac Zida en otage et l’ont induit en erreur sur certaines questions.  En somme, ne faites pas comme vos devanciers dont les querelles polluent toujours  le devenir de notre pays.

L’administration étant une continuité, si des cadres qui ont bossé pour le pouvoir  de Blaise Compaoré et celui de Roch Marc Christian   sont compétents et peuvent apporter une plus-value au processus en cours, il faut tirer le meilleur d’eux sauf s’ils ont eu des attitudes très partisanes,  posent des actes de sabotage ou adoptent des comportements contraires à l’éthique professionnelle. Dès lors, vous pouvez être «  intraitables »  avec eux.

N’oubliez  pas d’aller à la réconciliation en faisant en sorte que nos compatriotes qui sont en exil pour des raisons politiques puissent rentrer au bercail. Les contradictions sont dans l’ADN du pouvoir Les divergences ne manqueront pas.  Du reste, comme  un de nos confrères  et aînés nous le disait, « il est impossible d’éviter les divergences dans la gestion du pouvoir, elles font partie de  son ADN.  Il faut donc d’une part,  mettre des mécanismes et avoir des personnes morales qui puissent en tout temps et en tout lieu trouver le moyen de rabibocher les protagonistes, et d’autre part, œuvrer à ne pas dévier des objectifs du pouvoir qui sont souvent à l’origine  des contradictions».

Enfin, efforcez-vous de travailler en équipe car comme l’a dit Steve Jobs, parlant de l’entreprise, « les meilleures choses qui arrivent dans le monde sont le résultat du travail de toute une équipe ». Et Henry Ford, fort opportunément, disait que «  se réunir est un début, rester ensemble est un progrès et travailler ensemble est la réussite ». « On gagne et on perd en équipe », renchérit le célèbre footballeur français Zinedine Zidane, champion du Monde 98.

Les hommes politiques, vous êtes pour la plupart à l’origine des drames dans l’histoire du Burkina Faso. La politique peut et doit être saine. Malheureusement, dans vos rangs, certains sont prêts, comme l’a dit feu Norbert Zongo, à brûler le pays pour chauffer leur petit café. C’est vous, les hommes politiques, qui avez opposé Thomas Sankara et Blaise Compaoré, c’est encore vous qui, par  des manœuvres souterraines, voulez opposer les jeunes officiers afin qu’ils s’entredéchirent.

Pourtant, nous avons tous intérêt à ce que cette Transition aille au bout afin que les militaires remettent à un président démocratiquement élu un pays en bon ordre. Tout parti ou homme politique qui va s’installer au pouvoir avec les nombreux défis sécuritaires, humanitaires et économiques sera, à coup sûr, renversé par un autre coup d’Etat militaire. Il vous faut donc, à notre humble avis, contribuer, chacun en ce qui le concerne, à ce que le processus engagé aille à son terme. Vous n’êtes pas tous mauvais, loin s’en faut, mais très souvent les faucons et les jusqu’au-boutistes prennent le dessus sur les autres.

L’échec du Président Kaboré est celui de toute la classe politique
L’échec du Président Roch Marc Christian Kaboré n’est pas seulement celui du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) et de son champion mais bien l’échec de toute la classe politique burkinabè, qui est incapable de taire ses querelles byzantines pour l’intérêt supérieur du Burkina Faso.  L’opposition politique burkinabè, en son temps, n’a pas facilité la tâche au « Rocco » dans sa gouvernance ; au contraire, elle a œuvré à sa chute. L’ancien chef de l’Etat, lui non plus n’a pas fait grand-chose  pour l’unité nationale et la réconciliation face au péril terroriste. Et voilà où nous en sommes.

De cette histoire toute la classe politique peut sortir perdante, pour peu que les nouvelles autorités fassent monter aux affaires une nouvelle génération d’hommes et de femmes politiques. Les politiciens semblent l’avoir compris, d’où la mise en place d’officines de manipulations de l’opinion et de désinformation pour compliquer la tâche au Président du Faso, Paul Henri Sandaogo Damiba et espérer son renversement par des militaires qu’ils sont sûrs de contrôler jusqu’au bout d’où ces messages appelant les forces de défense et de sécurité à se soulever pour destituer le chef suprême des armées. Si des soldats cèdent à ce jeu malsain, ils le regretteront toute leur vie car c’est mal connaître cette classe politique-là.

Il faut que nos hommes politiques fassent leur autocritique : beaucoup d’entre vous êtes aux affaires depuis l’âge de 25 ou 30 ans. Au soir de votre vie, vous êtes toujours à la manœuvre pour continuer à jouir des privilèges de l’Etat, comme si vous étiez nés pour gouverner et commander les autres. Si les résultats suivaient, personne ne se plaindrait. Mais vous êtes à l’origine de toutes les crises en manipulant des jeunes dont certains sont de bonne foi. Tant que vous ne trouvez pas votre compte dans un pouvoir, ce pouvoir est mauvais et vous mettez tout en œuvre pour qu’il échoue. Vous pouvez pourtant être utiles autrement. Ressaisissez-vous et pensez à l’avenir de vos enfants, de vos petits-enfants, de la jeunesse burkinabè et à l’intérêt supérieur de notre peuple qui a tant souffert le martyre. 
Nous  vous en conjurons.

Adama Ouédraogo dit Damiss 

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