Etre femme avocat au Burkina : quand un partage d’expérience révèle harcèlement et discriminations
Trois ans après sa création à Kigali, au Rwanda, le Réseau international des femmes avocats (RIFAV) s’enracine peu à peu au Burkina où il est né en juillet 2022. Fort de plusieurs dizaine de membres avec à sa tête Me Anna Ouattara Sory, le RIFAV/Burkina a initié un partage d’expériences entre jeunes et plus anciennes avocates dans l’après-midi du vendredi 18 novembre 2022 à Ouagadougou. Un cadre qui s’est révélé être celui de confessions sur une kyrielle d’obstacles, allant des discriminations au harcèlement dont les femmes avocats seraient victimes dans l’exercice de leur profession.
Avant que la maitresse de cérémonie de circonstance, Me Victoria Nébié, ne présente le bureau du RIFAV-Burkina et que la présidente de l’association, Me Anna Ouattara Sory ne prenne place au présidium pour un discours introductif, l’ambiance est bon enfant dans cette salle de la Maison de l’avocat choisie pour abriter la rencontre du jour. Entre consœurs, on ne se prive pas d’une accolade, on se donne une tape à l’épaule, on devise sur un ton taquin. Bref, pour une rencontre dite de partage d’expérience, le décor est bien planté.
Au menu de ce partage d’expériences, il y a la pratique professionnelle, les difficultés mais aussi les écueils que l’avocate doit éviter afin de pratiquer correctement cette profession libérale et côtoyer l’excellence. Pour entretenir les plus jeunes consœurs sur ces aspects, quatre têtes d’affiches, en réalité des doyennes de la profession, ont été conviées l’une après l’autre au présidium : Me Antoinette Ouédraogo, première femme à se faire inscrire au barreau du Burkina et seule femme jusque-là à avoir dirigé le Conseil de l’ordre; Me Pascaline Sobgo, avocate depuis 1994 ; Me Awa Sawadogo qui totalise, elle aussi, 28 ans de barre et Me Constance Kyélem qui porte la robe depuis 27 bonnes années.
Toutes sont unanimes : à profession égale, les femmes avocats n’ont pas les mêmes chances que leurs confrères, « elles ont même des défis différents, voire plus grands », selon une avocate.
Pour Me Antoinette Ouédraogo, les premiers obstacles s’érigent dès l’intention de la femme de devenir avocate : réticence de proches ; découragement de la société ; discrimination liée au genre dans le recrutement, etc. Au sujet d’ailleurs de la discrimination, Me Awa Sawadogo déplore que seulement 48 femmes sont inscrites au tableau du barreau burkinabè contre 236 hommes.
Une fois en stage ou après prestation de serment, les difficultés ne s’estompent pas. Parmi celles en première ligne : le harcèlement. Me Antoinette Ouédraogo tout comme d’autres de ses consœurs notent des cas récurrents et en provenance de toute part : confrères, magistrats et même des clients. Aux propositions indécentes à esquiver, il faut ajouter les préjugés de la société. « Nous sommes perçues comme des femmes autoritaires », soutient, en effet, Me Pascaline Sobgo. Me Awa Sawadogo y voit en plus un regard de mépris de la société. Elle l’a démontré par une anecdote : « Lors d’un procès, un client que je défendais s’en est pris à une consœur de la défense pendant les débats en ces termes : ‘’que vaut la parole d’une femme ? ’’ J’ai été mal à l’aise sans toutefois le laisser transparaitre et je l’ai défendu jusqu’au bout. Au sortir de l’audience, j’ai tenté de faire comprendre à ce client qu’il devait, malgré tout, du respect à ma consœur qui n’a fait que son travail. Mais à ma surprise, le monsieur est resté droit dans ses bottes », a raconté Me Sawadogo.
Au-delà des préjugés, il faut dire que c’est la condition de la femme vis-à-vis de l’exercice de la profession d’avocat qui est souvent interrogée. Comment allier la vie professionnelle à celle de femme au foyer et appartenant à une société? Comment jouer convenablement son rôle de mère alors que les heures de travail sont parfois prolongées ? Me Constance Kyélem estime que « le rôle de femme impacte la performance professionnelle » tandis que sa consœur, Me Sobgo soutient que « la réussite professionnelle rythme difficilement avec celle de femme au foyer ».
Mais que faire ? Aux jeunes avocates, la doyenne, Me Antoinette Ouédraogo a préconisé trois qualités : « l’intelligence, l’audace et la respectabilité ». Et d’inviter ses jeunes consœurs à « un réarmement moral constant ». « Dites-vous que vous n’êtes jugés que par vous-mêmes », a-t-elle lancé aux quelque dizaines de participantes à ce partage d’expérience. Me Sobgo pense que l’avocate doit savoir faire la part des choses : « une fois hors du cabinet, il faut déposer la casquette de femme avocat pour porter celle de femme au foyer, d’épouse pour son conjoint, de mère pour ses enfants et de femme vis-à-vis de la société ». Me Constance Kyélem, elle, suggère qu’avant de s’engager dans la vie professionnelle ou de couple, « il faut expliquer au conjoint les contraintes liés à l’exercice de la profession, lui demander du même coup son soutien. Et une fois que la profession vous rapporte de l’argent, utilisez-le pour le bien de toute votre famille ».
Devant autant de défis, des avocates pensent qu’il faut créer un cadre de mentorat pour encourager les jeunes filles qui rêvent d’embrasser ce métier. Pour la présidence, du RIFAV-Burkina, l’accent sera mis dans la formation de ses membres en s’appropriant les objectifs majeurs poursuivi par l’association mère qui a vu le jour à Kigali, au Rwanda, en 2019. Ces principaux objectifs sont : la promotion de l’égalité des chances entre les hommes et les femmes exerçant la profession d’avocat ; la promotion le leadership des femmes avocats dans les sociétés civiles et au sein des barreaux, leur rôle et actions dans les organisations et instances internationales ; la formation continue des membres.
Bernard Kaboré