Allégations d’abus des FDS : « Il n’y a pas d’impunité mais un sentiment d’impunité », selon le Lt-Cl François Yaméogo
Dans un Burkina en guerre contre les groupes armés terroristes, une préoccupation s’invite de plus en plus dans la réponse militaire contre l’insécurité, à savoir, les allégations d’abus des Forces de défense et de sécurité (FDS). Ces allégations traduisent-elles de l’impunité ou un sentiment d’impunité ? Que faire ? Cette problématique posée par le Centre pour la qualité du droit et la justice (CQDJ) à travers un café-débat a réuni plusieurs participants de différents profils le vendredi 2 juin 2023 à Ouagadougou.
« Celui qui lutte contre les monstres doit veiller à ne pas le devenir lui-même » : cette citation de Friedrich Nietzche inscrite sur un kakémono dressé devant un public en dit long sur l’esprit qui a guidé le CQDJ dans l’initiative d’organiser le café débat sur les allégations d’abus des FDS et l’objectif visé.
Le constat de cette organisation de la société civile est, d’abord, que depuis 2016, le Burkina Faso fait face à la plus grave crise sécuritaire de son histoire postcoloniale, une crise qui a occasionné des morts et des déplacements massifs de populations. Et pour faire face à ce défi sécuritaire, les autorités se sont résolument engagées à travers une multitude de réponses avec une prépondérance de la dimension militaire. Or, un regard sur le dispositif mis en place pour faire face à ce défi permet, selon le CQDJ, d’observer que les forces de sécurité engagées dans la lutte contre l’insécurité ont du mal à conjuguer l’action sécuritaire avec les exigences de respect des droits humains et des libertés, ce qui ouvre la voie à de nombreux abus et à certaines exactions souvent dénoncées par les organisations de défense des droits humains. Yirgou ; Tanwalbougou ; Karma, etc., sont des exemples de cas d’allégations d’abus dénoncés par des organisations.
Le CQDJ note par ailleurs que si l’implication des civils armés (les Volontaires pour la défense de la patrie) depuis 2020 présente des avantages sur le plan tactique, la manipulation des armes par ceux-ci, qui ne reçoivent qu’une formation initiale comporte le risque de compromettre davantage la question des droits humains dans la riposte contre l’insécurité. En insistant sur le respect des droits humains, les organisations défenderesses brandissent plusieurs mécanismes et fondements qui inscrivent ces droits au cœur de la lutte contre l’insécurité. Me Ali Traoré, président du Conseil d’administration du Groupe d’action et de recherche sur la sécurité humaine, en cite quelques-uns, parmi lesquelles la Politique de sécurité nationale et des instruments juridiques comme la Déclaration universelle des droits de l’Homme, la Charte africaine des droits de l’Homme, le Pacte international sur le droit civil et politique, etc.
Les allégations d’abus cachent-elle de l’impunité ou un sentiment d’impunité ? A cette question posée par le CQDJ, le directeur de la justice militaire, le lieutenant-colonel François Yameogo y a répondu sans ambages : « Il n’y a pas d’impunité mais un sentiment d’impunité ». Le plus souvent, dit-il, « il s’agit simplement d’allégations ». Car « tant que les faits n’ont pas été examinés par un tribunal, il est difficile de parler d’abus », a soutenu le directeur de la justice militaire. En le disant, le lieutenant-colonel Yameogo a voulu attiré l’attention sur le fait que la lutte contre le terrorisme s’inscrit dans la protection des droits humains. Et d’arguer que les Forces de défense et de sécurité, dans le cadre de leur formation, sont sensibilisées sur la question des droits humains à travers des modules y relatifs. Mieux, des rappels réguliers sont faits lors des mises en condition opérationnelles, c’est-à-dire la préparation de leurs missions sur le terrain. Ces rappels, selon François Yameogo, participent de la prévention des abus.
Qu’en est-il des enquêtes, très souvent ouvertes après des allégations d’abus ? Selon le directeur de la justice militaire, elles ont pour but d’identifier les auteurs et aboutissent parfois à des sanctions pédagogiques et dissuasives ». Et même si les enquêtes n’aboutissent pas, elles permettent souvent, au moins, aux victimes de demander réparation des préjudices subies à l’Etat.
Plus d’un s’accordent sur le fait que des difficultés entravent généralement le respect des droits humains dans le cadre de la lutte contre l’insécurité. C’est le cas notamment de l’usage de la perfidie qui, selon le lieutenant-colonel François Yameogo, complique et la lutte contre le terrorisme, et ‘application des droits de l’Homme. Dans le contexte de terrorisme, l’une des grandes difficultés, selon le magistrat militaire, est le déplacement des populations et l’occupation de l’espace par les groupes terroristes. Se pose ainsi la difficulté de retrouver des victimes et des témoins sur les lieux présumés de commission d’abus et d’établir matériellement les faits. A cela s’ajoute, selon le patron de la justice militaire, l’absence parfois d’officiers de police judiciaire sur les lieux présumés d’abus, d’où la mesure palliative de création des prévôtés.
Face à un besoin en nombre de forces de défense et de sécurité, la justice militaire n’est-elle pas prise dans ce dilemme entre la volonté de sanctionner des auteurs présumés d’’abus et une nécessité de disposer d’effectifs opérationnels ? A cette question d’un participant du café-débat, le lieutenant-colonel Yameogo a indiqué que « lorsque l’acte est suffisamment grave, il faut en tirer les conséquences ». « On a besoin d’hommes sur le terrain mais il ne faut pas promouvoir l’impunité qui peut nourrir les rangs des terroristes », a-t-il expliqué. C’est à ce propos qu’il a fait le point de l’évolution de certains dossiers judiciaires impliquant des FDS. Comme l’affaire du Pont Nazinon qui a rendu son verdict avec la condamnation à la perpétuité de quatre personnes sur 25. Ou encore le dossier Yirgou qui, renvoyé devant la Chambre criminelle de la Cour d’Appel de Ouagadougou, « a connu une avancée ».
Bernard Kaboré