Société

Nouvelle loi sur la promotion immobilière : finie, la spéculation foncière ?

Ça y est ! le Burkina Faso s’est doté d’une nouvelle législation en matière de promotion immobilière. Le projet de loi a été adopté à l’unanimité à l’Assemblée législative de transition (ALT) ce mardi 20 juin 2023. Cette loi aux multiples innovations devrait permette de mieux encadrer l’activité de promotion immobilière, gagnée depuis plusieurs années par moult dérives, dont la vente de terrains nus et la spéculation des terres rurales sur de grandes surfaces. Désormais, il n’en est plus question.

Une loi peut susciter plus d’intérêt qu’une autre. L’adoption de la nouvelle sur la promotion mobilière ce 20 juin à l’ALT en a été la preuve, tant par la longueur de la séance plénière que par la mobilisation des députés et des membres du gouvernement. En effet, on pouvait compter sur les voix des 70 votants du jour et la présence d’au moins six membres du gouvernement dont le ministre de la Fonction publique, Bassolma Bazié, son collègue de l’Action humanitaire, Nandy Somé/Diallo, et bien-sûr le chef du département de l’Habitat et de l’Urbanisme, Mikaïlou Sidibé.

Le jeu en vaut la chandelle, car depuis des années, de nombreuses voix s’élèvent pour décrier les dérives constatées dans l’activité de promotion immobilière sur la base de l’ancienne législation, celle de 2008. Dans la pratique, il n’était pas rare de constater que des promoteurs immobiliers s’adonnent à la vente de parcelles nues en lieu et place de la construction de logements prévue par le législateur. Sans oublier l’accaparement de grandes superficies dans des zones aussi bien rurales qu’urbaines ou la réalisation de projets immobiliers dans des communes ne disposant pas de documents de plan d’urbanisation. Dans le même temps, les sociétés de promotion immobilière ont, elles, poussé comme des champignons, passant de 9 en 2009 à environ 275 en 2022, mobilisant, rien que dans le Grand Ouaga, plus de 30 000 hectares de terres, l’équivalent de 600 000 parcelles de 300 m2 chacune. Pourtant, ces sociétés n’ont pu réaliser que quelque 5000 des 40 000 logements d’un programme ambitieux du gouvernement lancé en 2016. Pour tout dire, ce secteur de la promotion immobilière avait fini par être gagnée par ce que beaucoup qualifient « d’anarchie ».

On comprend que les députés ne pouvaient que s’accorder sur la nécessité d’assainir le secteur. C’est pour cela que les cinq commissions parlementaires, à commencer par la  commission Affaires générales et droits humains (CAGDH), affectataire du dossier du jour, ont émis des avis favorables à l’adoption de la loi. Cette unanimité a encore prévalu lors de l’adoption des 107 articles du texte qui n’attend plus qu’à être promulgué et entrer en application.

Si la nouvelle loi a emporté l’unanimité des votants, c’est sans doute au regard des innovations qu’elle comporte. En effet, il faut déjà noter que la promotion immobilière a été redéfinie et exclut  dorénavant, les promoteurs immobiliers privés des opérations  d’urbanisme, notamment le lotissement ou la restructuration. Désormais, le promoteur immobilier, qui ne peut plus être qu’une personne morale, ne  peut qu’édifier, améliorer, réhabiliter ou étendre des constructions sur des  terrains urbains aménagés. Tout en posant le principe d’incessibilité ou d’intransmissibilité  de l’agrément de promotion immobilière, le nouveau texte oblige tout promoteur immobilier à requérir préalablement l’autorisation du  ministère en charge de l’Urbanisme et de la Construction pour la publicité  sur quelque produit immobilier que ce soit. Et ce n’est pas tout, les dispositions relatives à la coopérative d’habitat ont été revues, faisant passer les coopératives à des mutuelles, soumises aux dispositions de la règlementation de la mutualité sociale au sein de  l’UEMOA, mais doivant aussi disposer d’un agrément technique de mutuelle  de logement social, pour pouvoir exercer.

Désormais, les projets immobiliers ne peuvent plus être réalisés que dans les  communes disposant de documents de planification urbaine. Une autre innovation majeure est l’obligation mise à la charge du  promoteur immobilier, dans le cadre de son projet immobilier, de réaliser  préalablement, un minimum d’investissements acceptés par  l’Administration, avant de pouvoir obtenir une cession définitive des  terrains. Pour ce faire, le promoteur immobilier bénéficiera dans un  premier temps, d’une cession provisoire, pour commencer ses travaux. Une option qui procède d’une démarche prudentielle pour contraindre le promoteur à  réaliser des logements, objectif principal de la promotion immobilière, et d’éviter qu’il ne soit tenté par la simple exploitation spéculative de la  propriété foncière qui lui aura été conférée.

Autre chose à laquelle les promoteurs devront désormais se soumettre, c’est la limitation des superficies aux fins de promotion immobilière. Ils ne pourront plus réaliser de projet immobilier que sur  un terrain urbain n’excédant pas cinq hectares. Si l’ancienne législation ne prévoyait pas de peines privatives de liberté, il faut maintenant compter avec la nouvelle pour que des promoteurs, après avoir enfreint à la loi, séjournent en prison.

Au titre des sanctions financières, les quanta ont augmenté, en ce qui concerne les amendes, et il sera désormais possible au ministre chargé de  l’urbanisme et de la construction de transiger en cas d’infraction à la  législation sur la promotion immobilière, à l’exception des infractions en  matière fiscale ou environnementale. 

La nouvelle loi n’a pas été adopté sans que des députés n’adressent des questions et n’expriment des préoccupations au gouvernement. Que deviendront les propriétaires terriens ? Quel sort pour les populations résident dans des zones sans agrément ou obtenus par la suite ? Qu’en est-il de la préservation des aires agro-sylvo-pastoraux ? Le ministre de l’Urbanisme a rassuré que la loi ne concernant que les terres urbaines, et par ricochet vise à protéger les terres rurales, donc les propriétaires terriens ne sont nullement visés.

Mais cette loi va-t-il aider apurer le lourd passif foncier que traine le Burkina depuis plusieurs années ? le ministre Sidibé veut y croire et l’a exprimer en ces termes : « On peut dire qu’on a identifié et maitriser une composante de la bombe sociale parce qu’avec cette loi nous allons résoudre une partie de la question foncière ».

La loi votée, il reste son application. « On va passer très vite à l’application et cela va passer par l’adoption de décrets d’application mais également par une campagne intense de communication et de sensibilisation des acteurs du secteur », a indiqué le ministre de l’Habitat. Le président de l’ALT, Ousmane Bougma, lui, comme d’autres députés, veut compter sur la bonne foi du gouvernement et tous les acteurs de la chaine d’application afin que la loi ne soit pas caduque.

Bernard Kaboré

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