Defense & Sécurité

Burkina/ Toéni: Deux «gendarmes du savoir» décorés

L’adjudant-chef Issé Kaboré et le maréchal des logis Kayaba Sawadogo ont été décorés à titre exceptionnel chevalier de l’Ordre des Palmes académiques avec agrafe Education le 23 août 2024 à Ouagadougou.  Cette distinction a été remise aux deux gendarmes par le département en charge de l’Education en hommage à leur engagement pour l’Education à Toéni, un village de la province du Sourou assailli par les terroristes.

Pour combler l’absence d’enseignants dans la localité,  les deux gendarmes du Groupe d’action rapide, de surveillance et d’intervention (GARSI) de Toéni avaient été envoyés en mission de sauvetage de l’année scolaire dans la classe de CM2. Héliportés à Tougan pour l’examen du Certificat d’études primaires (CEP), les 9 élèves encadrés par les pandores ont fait également leur part de boulot, décrochant tous avec brio leur premier parchemin.

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Avec leur tenue bleue,  celle des cérémonies à la gendarmerie, Issé Kaboré et Kayaba Sawadogo détonnaient au milieu des autres récipiendaires dans la salle des banquets où la Nation reconnaissait le mérite des meilleurs acteurs du système éducatif au cours de la Journée de l’excellence scolaire.

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Aujourd’hui, c’est un binôme de de «pandores-enseignants» qui sont distingués par le département de l’Education, mais il fut une époque où l’un était l’élève de l’autre. Cadre à l’école de gendarmerie, Tissé Kaboré, incorporé en 2002, a vu passer sous son encadrement à Bobo, Kayaba Sawadogo de la promotion 2017. Les deux vont se retrouver des années plus tard à Toéni, embarqués dans le même bateau, pour ne pas dire le même pick-up. L’«ancien» qui était loin de l’agitation du front a demandé volontairement à rejoindre les éléments du GARSI aux prises avec les forces du Mal dans cette partie du Burkina. «Beaucoup de mes élèves sont tombés au champ d’honneur. Je me suis engagé pour le service. Je me suis dit que je devais aller vivre la réalité de la guerre et que ce qui allait arriver appartient à Dieu», explique-t-il, se remémorant l’espèce de patriotisme mêlé de fatalisme qui l’avait saisi au moment de prendre cette décision.

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Les deux gendarmes nous racontent dans l’un des bureaux de l’état-major de la gendarmerie où nous nous étions donné rendez-vous quelques heures après la cérémonie de décoration avoir rejoint l’armée par amour de la tenue et surtout avec l’envie folle de servir la Nation et de défendre les plus faibles. Un engagement qu’ils ont de nouveau témoigné durant leurs deux années passées à Toéni. Comme dans d’autres zones martyres en proie aux attaques terroristes, les enseignants ont quitté la localité pour sauvez leur nez, obligeant du coup les classes à fermer avec les conséquences qu’on imagine sur l’avenir des élèves, surtout ceux en classe d’examen. C’est dans ces conditions que deux éléments du détachement ont été désignés pour dispenser le savoir aux élèves de CM2 et leur donner ainsi une chance de réussir leur examen. Un parachutage en règle que les deux commis à la tâche ont accepté de bon cœur.

Fort de ces 8 années passées dans l’encadrement des recrues de la maréchaussée, l’adjudant-chef Tissé Kaboré avait déjà les rudiments nécessaires pour la transmission du savoir. Mais il relativise : «On ne peut pas tout faire. Moi je m’occupais plus des cours de français et d’histoire géographie. Kayaba lui était fort en mathématiques. Mais avant d’aller en classe on communiquait beaucoup et on se donnait des idées ». Et son binôme de renchérir : «Comme beaucoup de gens, quand j’étais toujours sur les bancs, j’encadrais parfois d’autres apprenants. Et les maths, ce n’est pas quelque chose qu’on oublie facilement».

L’engagement des gamins a été salué par tous

Des bons samaritains

Pour les aider dans leurs tâches, les deux soldats du savoir avaient des documents pédagogiques à leur disposition et ils pouvaient compter sur le soutien de certains de leurs amis enseignants dans d’autres localités ainsi que d’autres acteurs de l’éducation dans  la province avec qui ils échangeaient au téléphone en cas de difficulté.

Passés les premiers instants, les élèves ont vite adopté leurs enseignants si particuliers

Malgré leurs engagements, les deux enseignants circonstanciels se sont heurtés au départ aux appréhensions de certains parents qui ont préféré retirer leurs enfants de l’école pour les envoyer à Tougan . Il ne restait plus donc dans la classe que 9 élèves sur une vingtaine au départ. «On ne croyait pas en nous mais avec la volonté on peut se donner les moyens d’atteindre nos objectifs. C’est pourquoi on n’a pas hésité un seul instant lorsque la hiérarchie nous a approchés», indique Tissé Kaboré.

Quant aux enfants, passé la surprise des premiers instants, ils se sont vite habitués à leurs nouveaux maîtres qui débarquaient en classe fusil à l’épaule. Une bonne raison pour être studieux et peu bavard ? En réalité, une relation particulière s’est installée entre les élèves et leurs enseignants militaires. «En dehors des salles de cours, on s’amuse avec eux on se taquine, surtout même que ce sont nos parents à plaisanterie. Quand leurs parents venaient nous rendre visite, c’était le cas également», relate le maréchal des logis Sawadogo qui passera chef dans quelques semaines.

L’année scolaire battait ainsi son plein dans cette classe de CM2 de l’école primaire de Toéni. Une classe presque normale au milieu du tourment terroriste. C’est sous bonne garde des FDS et des VDP que les cours se déroulaient. La menace terroriste qui n’était pas très loin rattrapait parfois la petite classe. «Plusieurs fois, on a dû interrompre les cours pour repartir en caserne», se souvient Tissé Kaboré.

Quant aux tout-petits, ils savaient quoi faire en cas d’alerte ou d’attaque puisqu’on leur avait appris les gestes à adopter. Mais il fallait bien plus que des menaces pour venir à bout de leur motivation. Les plus admiratifs sont leurs enseignants : «Je loue vraiment la résilience de ces enfants. Ils étaient aussi engagés que nous, donc ça nous a facilité le travail. Quand on n’était pas là, ils pouvaient se réunir pour réviser ensemble. Il nous ont dit que c’était un défi pour eux de réussir».

Pour leur permettre de composer le certificat comme des milliers de bambins à travers tout le Burkina, il fallait déployer d’autres trésors de moyens : une cotisation a été initiée pour constituer le dossier de certains candidats  et ensuite il a fallu les héliporter  à Tougan.

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Happy end

Cette histoire des gamins encadrés par les pandores a encore été plus belle à l’annonce des résultats. Toéni a fait 100%  sans coup férir. «En plein dans le mille diront des artilleurs». Ce fut la fête au village, rapporte-t-on.

Aujourd’hui, les deux gendarmes ne sont plus à Toéni mais gardent toujours le contact avec les élèves et leurs parents qui n’ont de cesse de les remercier. Si ce succès a plus rejailli sur eux avec ces médailles fraîchement accrochées à leur poitrine. Issé Kaboré et Kayaba Sawadogo estiment que plein de gens les auraient méritées, à commencer par les enfants eux-mêmes ; leurs camarades dont certains sont tombés au front dans la défense de Toéni et à qui ils rendent hommage ; les populations résilientes ; les précédents enseignants des gamins qui ont fait un travail préalable et  toutes ces personnes qui leur ont été d’un appui quelconque. Instant romance, pour le duo d’épinglés, le mérite revient également à leurs épouses qui s’occupaient de leurs enfants pendant qu’eux s’occupaient de ceux des autres loin du domicile familial. Si l’adjudant-chef Kaboré se dit fier de sa médaille, aucune décoration, à entendre le sous-officier, ne pourra remplacer la joie qu’il a ressentie après la délibération : «On voyait plusieurs aspects positifs dans ce qu’on faisait. On luttait certes contre l’ignorance mais aussi contre le terrorisme parce que ces enfants qui n’étaient plus encadrés auraient pu rejoindre les groupes terroristes. Mais aujourd’hui, peut-être qu’il y aura parmi eux un président ou un ministre. J’espère qu’ils pourront  aider leurs parents et aider d’autres personnes à travers  l’acte que nous avons posé.  Il se dit convaincu d’une chose : «Jusqu’à la fin de leurs jours, tant qu’ils pourront aider leur prochain, ils ne vont pas hésiter parce qu’ils vont toujours se rappeler qu’il y a des gens qui n’avaient rien à voir avec l’enseignement qui se sont retrouvés à leur donner cours.»

Hugues Richard Sama

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