Société

Education à Kolokom : « des VDP  » sur le front de la lutte contre l’obscurantisme

Nagreongo, département situé dans la province de l’Oubritenga accueille, selon les derniers chiffres disponibilisés du CONASUR, 13 558 PDI à la date d’avril 2023, ce qui fait d’elle la commune qui héberge le plus de personnes fuyant le terrorisme dans la région du Plateau central. Les personnes les plus affectées, les femmes et les enfants, 10 000 âmes environ, se concentrent dans deux villages que sont Nagreongo-Koudogo et Kolokom qui abrite une école primaire dédiées exclusivement aux PDI.  Nous y avons fait immersion dans ce centre du savoir  qui comptait 1 246 apprenants à la date du 14 novembre 2024.

Les forces du mal ont contraint des Burkinabè à quitter leur terre et certains ont été accueillis dans la commune de Nagreongo, située à une trentaine de kilomètres de Ouagadougou sur la route nationale numéro 4. Les gros effectifs de ces PDI se retrouvent dans deux villages Nagreongo-Koudogo et Kolokom. Il faut parcourir une dizaine de kilomètres à partir de Nagreongo et se soumettre aux contrôles des VDP, qui veillent au grain, avant d’atteindre Kolokom. Cette localité  abrite une école dédiée aux PDI, mais est  également réputée parce qu’elle reçoit par jour un nombre important de cars transportant des personnes en détresse. En effet, elles affluent des quatre coins du pays et de l’extérieur espérant rencontrer le guérisseur El hadj Seydou Bikienga.

Kolokom héberge des PDI venus de Barsalogho, Dablo, Pensa, Pibaoré, Arbinda etc. qui sont répartis sur plusieurs sites. Quand ils arrivent, leurs enfants ont le loisir de choisir l’école la plus proche pour poursuivre leur apprentissage. Parallèlement à l’existant, une école pas comme les autres a été construite grâce à la volonté du guérisseur, afin de prendre en charge les Elèves déplacés internes (EDI). A l’instar des forces de l’ordre qui se battent pour défendre le territoire, les enseignants de Kolokom se battent comme de beaux diables contre l’ignorance qui rend vulnérables les populations face aux forces du Mal. L’école est composée de  trois blocs de bâtiments dont l’un a été érigé  grâce à la générosité de l’institution Ecobank. Ce temple du savoir éduque plus de 1000 enfants mais les effectifs ne font que varier en fonction de l’afflux des PDI puisqu’aucun enfant ne doit être laissé en marge selon le ministère de l’Education nationale. On dénombre quatre classes de CP2 et une classe de CP1. Du CE1 au CM2 une classe de chaque. Les cours débutent à  7 h. Ce sont au total 9 classes fonctionnelles dont 3 dans le nouveau bâtiment et 6 dans les espaces temporaires d’apprentissage.

Comme tous les matins, Salif Cheick Baba Tiemtoré, enseignant en classe de CE1, donne de l’espoir à ses enfants qui veulent apprendre à lire, à écrire et à compter. Sa classe qui  accueille d’habitude 105 se retrouve avec 80 élèves. La pièce n’est pas entièrement couverte par ces temps  d’intempéries qui courent, mais les jeunes assis à l’étroit, la peau blanche et les lèvres gercées, tentent tant bien que mal d’écouter le maitre. Il est impossible  pour l’éducateur de se déplacer entre les rangés. Qu’à cela ne tienne les neufs enseignants de l’école ont accepté d’accomplir leur devoir d’éducateurs malgré les conditions difficiles de travail.

De l’avis de M. Tiemtoré, c’est parfois lorsque certains EDI se rendent compte que la marmite de la cantine est sur le feu qu’ils sont le plus motivés  à rejoindre les salles de classes. « Nous avons besoin de vivres pour les attirer. Certains viennent le matin et s’absentent le soir. Nous sommes aussi confronter à des abandons de plus d’un mois, mais après ce laps de temps, ces apprenants reviennent. Nous implémentons un système qui encourage la réduction des heures de cours, mais la réalité du terrain est tout autre. Le élèves qui s’en sortent se compte sur le bout des doigts », a-t-il fait remarquer, avant de déplorer le fait que tous ses collègues enseignants n’ont pas bénéficié d’une formation spécifique pour encadrer les EDI. Nous sommes souvent confrontés à des cas délicats. Après trois mois d’abandon, dû  à la menace terroriste, certains élèves que nous recevons souhaitent reprendre les cours au même stade malgré le retard accusé. C’est difficile de les évaluer et de les réinsérer parce qu’ils arrivent sans aucun document, a-t-il ajouté.

De l’avis du directeur de l’école des EDI, Abel Nagreogo, ses collaborateurs et lui sont confrontés à de nombreuses difficultés. « Un seul bâtiment a été construit, le second est un espace d’apprentissage temporaire composé de petites salles de classes. Il n’y a pas de rangée et c’est  impossible de passer entre les tables-bancs.  Nous sommes confrontés à un gros effectif de 1027 élèves qui est réparti dans des classes qui peuvent accueillir 150 à 166  scolaires. Tant bien que mal, on essaie de faire ce qu’on peut. Le matériel didactique est indisponible. L’école manque du strict minimum. Les élèves n’ont pas de fournitures. Nous avons reçu l’ordre de ne rien exiger des parents qui sont durement éprouvés. Cette année on a demandé aux parents PDI de faire l’effort pour qu’on puisse débuter l’année. Il n’y a pas de frais APE. L’école fonctionne à sec », a-t-il confié, précisant qu’il tient une classe de CE2.

Le directeur de l’école Kolokom, Abel Nagreogo : « On attend de bonnes volontés pour nous aider à lancer un jardin scolaire 

Par moment, le guérisseur Seydou Bikienga nous aide, mais cela reste insuffisant, a ajouté le directeur de l’école de Kolokom qui explique qu’il est obligé lui-même de supporter certaines charges. « En début d’année, j’ai dû payer de ma poche les stylos, les cahiers de préparations afin que les enseignants puissent travailler. Je suis à en gros à 100 000 F CFA d’investissement  personnel et je ne suis pas au bout de ma peine puisque les dépenses s’accumulent. L’année passée on a eu le soutien d’enseignants communautaires », a-t-il ajouté.

  « L’école a été ouverte en 2024 grâce à la volonté de Managr’ naaba ».

En plus des nombreuses difficultés relevées plus haut, les enseignants de l’école dédiée aux PDI font face à l’accueil d’enfants en cours d’année à tout moment. Une situation qui pose, selon eux,  le problème  de suivi et de niveau des apprenants. « Nous souffrons parce que c’est difficile d’intégrer correctement ces jeunes qui ont parfois  abandonner pendant deux voire trois mois. La loi nous y oblige. Lors d’une formation, j’ai découvert que le ministère prévoit des cours de rattrapage pendant les vacances afin de mettre à niveau les élèves », a indiqué le directeur de l’école primaire de Kolokom qui déplore par contre que le programme n’offre pas de formation spécifique, notamment la prise en charge psychosociale de ces cas sociaux.

L’un des neufs enseignants dit ressentir le poids et la souffrance sur les épaules des élèves qui ont perdu leurs parents. « Cette situation nous affecte également et on souffre dans notre chair. Notre cantine ne fonctionne plus. L’an passé nous avons reçu les vivres de l’Etat. On a pu tenir jusqu’à la fin de l’année. Pour l’année scolaire 2024-2025, nous espérons toujours notre dotation. Dans les écoles dites normales, la cantine endogène a été initiée et permet de palier le problème de vivres. Chez nous c’est interdit de demander l’aide des parents. On reste donc dans l’attente de la providence. Le Comité de gestion(COGES) et l’Association des parents d’élèves (APE) tentent de faire vivre l’école comme ils peuvent », a-t-il déploré.

A en croire, Mamounata Savadogo, qui a quitté le centre-nord avec ses cinq enfants, l’école permet aux jeunes de poursuivre leur scolarité et de parfois obtenir de quoi manger. « Nous savons tous l’importance de l’éducation mais nous manquons de tout. Je vis de charité et c’est vraiment difficile de soutenir les  élèves. Nous espérons qu’un jour la situation va s’améliorer afin que nous puissions retourner chez nous », a-t-elle souhaité. Pour Soumaïla Ouédraogo, élève en classe de CE1, c’est un plaisir de poursuivre les cours dans sa nouvelle école. « Je suis assidu au cours et je me suis fait des amis. Je souhaite un jour devenir enseignant parce que c’est important de savoir lire et écrire », a-t-il précisé. 

L’école primaire partage sa cours avec une maternelle qui éduque 245 enfants dont 83 en petite section, 80 en moyenne section et 82 en grande section qui sont pris en charge par à 5 encadreurs peu qualifiés qui ont été recrutés par le fondateur de l’école. Pour leur prêter main forte, le directeur du primaire, Abel Ouédraogo,  est obligé de les assister dans la gestion des affaires courantes courriers et les grandes questions. « Je n’ai pas été formé pour gérer une école maternelle mais étant donné que nous partageons le même domaine scolaire et éduquons tous des EDI, nous devons être solidaires malgré tout », a-t-il confié d’un air déconcerté.

La cheffe de la circonscription d’Education de Base, Marie Elise Natama a expliqué que pour la session de 2025, l’école de Kolokom va présenter 23 candidats au CEP. « Nous allons faire en sorte que ces jeunes réussissentNous collaborons avec le Bisongo, une structure préscolaire qui s’occupe de la maternelle. Il s’agit d’une organisation locale et communautaire. Elle apporte sa contribution à la résolution des problèmes socio-éducatifs de manière endogène. Sa gestion n’incombe  pas à l’Etat. Son personnel est constitué de bénévoles recrutés au sein de la communauté. L’État et les partenaires interviennent à travers des activités de suivi-supervision assurées par les encadreurs pédagogiques, sans oublier la dotation en vivres pour la cantine. Nous envisageons de former le personnel Bisongo, afin d’améliorer la qualité de l’éducation des enfants », a-t-elle longuement expliqué.

Trois mois après notre passage à Kolokom, nous avons pris des nouvelles concernant l’évolution de la situation scolaire et humanitaire. Le directeur Abel Nagreogo s’est voulu on ne peut plus rassurant, expliquant que grâce aux efforts conjugués des responsables du ministère de l’Education l’école tient debout. «  L’Etat et ses partenaires comme la Croix rouge nous apportent des vivres. La situation s’améliore. Les effectifs ont connu une relative baisse parce que certains PDI ont rejoint leur village d’origine. Nous dénombrons présentement 883 enfants au primaire et 245 à la maternelle. Les EDI nous en recevons toujours, mais pas en grand nombre. La chef de la circonscription d’Education de base se bat pour nous. Le fondateur de l’école et ses partenaires ont  promis aussi de nouveaux bâtiments », a-t-il conclu.

W. Harold Alex Kaboré

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