Réconciliation nationale: Justice ; justice ; justice ! Eh ! bien parlons de la justice !
Vérité-Justice-Réconciliation ! Si ailleurs ces mots évoquent la paix, la concorde, et suscitent l’espoir, au Burkina Faso ils font se dresser les oreilles si ce n’est s’emballer les cœurs et rougir les yeux. Chacun y va de son mode opératoire avec la certitude que seul le sien est à même de sauver le pays. On a beau tourner et retourner le problème, c’est la place et le rôle de la justice dans l’attelage qui coincent. Les convictions sont si fortes que naturellement on finit par ne plus s’entendre parler. Bien pire, on a la très mauvaise impression que la seule vérité qui s’impose au Burkina Faso, c’est que les Burkinabè doivent d’abord se réconcilier avec leur justice avant que celle-ci ne participe utilement à une véritable réconciliation nationale. La réconciliation nationale est-elle en mesure d’atteindre ce préalable qui ressemble fort à une arlésienne ?
Et puis d’ailleurs pourquoi la Justice pose-t-elle autant problème si tout le monde veut la réconciliation et que personne ne craint la vérité ? Entre ceux qui la réclament à cor et à cri et ceux qui s’en méfient comme de la peste, il faudra plus qu’une réconciliation que nous ausculterons en trois temps. Pour commencer pourquoi certains soutiennent-ils qu’il ne peut pas y avoir de réconciliation sans justice ?
Depuis le 10 janvier 2021, date de la formation du premier gouvernement du second mandat du président Roch Marc Christian Kaboré avec la nomination d’un ministre d’Etat chargé de la Réconciliation nationale en la personne Zéphirin DIABRE, ci-devant Chef de file de l’opposition, le débat éponyme est reparti de plus belle. De ceux qui affirment, pince sans rire, que le Burkina Faso ne connaît pas de problème de réconciliation et par conséquent en déduisent que c’est un faux problème, jusqu’à ceux qui soutiennent tout au contraire que tous les problèmes du pays en découlent, on ne manque pas d’arguments. Tout porte à croire qu’on s’accorde pour ne pas s’entendre avec comme nœud gordien la question de la justice. Elle oppose principalement trois grands camps : ceux pour lesquels on veut aller à la réconciliation en l’occultant dans un arrangement maffieux entre politiciens et qui l’exigent comme un passage obligatoire ; ceux qui pensent qu’elle doit s’appuyer sur la vérité pour œuvrer à l’apaisement des cœurs et par conséquent s’orienter vers la réparation des torts et non la répression des délits, et ceux qui ne veulent pas du tout en entendre parler parce qu’ils n’y ont pas confiance et en ont une sainte horreur. Enfin il y a ces grands oubliés, l’immense majorité constituée des sans voix qui souffrent dans leur chair et au quotidien de toutes les sortes d’injustices sociales et économiques liées à leur état de pauvreté, de santé, à leur rang social, à leur région, au climat politique, etc. A y regarder de près, ce n’est plus la réconciliation nationale le problème, mais la justice !
ILS VEULENT LA JUSTICE SANS LA VERITE !
Le grand paradoxe dans cette affaire, c’est que ceux qui l’exigent comme passage obligatoire pour éviter l’impunité, qui biaiserait la réconciliation, sont généralement les mêmes qui la critiquent vertement en n’hésitant pas à l’accuser d’être aux ordres. Or, on le sait tous, le propre d’une justice aux ordres, c’est de ne dire ni le droit ni la vérité, mais de rendre des décisions pour plaire aux tenants du pouvoir et aux puissants du moment. Dans le même temps, les partisans de « la justice d’abord » se laissent facilement prendre en flagrant délit de parjure puisqu’ils cultivent une véritable omerta sur certains dossiers de justice d’importance nationale pour le simple fait que les victimes présumées sont au nombre de ceux qu’ils vouent aux gémonies. Sans s’en rendre compte ou par pure hypocrisie, ils veulent en fait une justice à la tête du client ; une justice qui soit en même temps à leurs ordres, puisqu’elle doit non seulement juger uniquement « leurs » dossiers de crimes de sang et de crimes économiques mais en plus condamner leurs coupables désignés. Il en ressort un triple constat que les faits mettent à nu. Le premier est que la justice qu’on dit exiger pour les victimes emblématiques pour lesquelles on est mobilisé souvent depuis des décennies a de très fortes chances de ne pas leur être réellement rendue, à moins que le but de la manœuvre ne soit uniquement de faire condamner des accusés déjà « jugés et condamnés » par le pouvoir politique, à travers une clameur publique savamment entretenue. Ni plus ni moins que de petits arrangements entre politiciens sur le dos de la vérité et du droit.
SI LES CULPABILITES ETAIENT ETABLIES, IL Y A LONGTEMPS QUE LES PROCES AURAIENT EU LIEU
C’est un secret de polichinelle que toutes les grandes affaires judiciaires du pays, du dossier Thomas Sankara à celui du putsch manqué en passant par le dossier Norbert Zongo, ceux du dernier gouvernement du président Blaise Compaoré et de l’insurrection sont de cette nature. On doit juger l’affaire Thomas Sankara dont le coupable désigné est le président Blaise Compaoré ; l’affaire Norbert Zongo dont le coupable désigné est François Compaoré ; le dossier du putsch manqué comme celui du dernier gouvernement de Blaise Compaoré dont les coupables désignés sont des caciques de l’ancien régime. Mais on ne pipe pas un mot sur le dossier de l’insurrection avec ses morts, ses actes de vandalisme, ses destructions de travail, ses traumatismes à vie, … ; ni sur celui des vols à ciel ouvert des deniers publics sous la Transition malgré le tollé général qu’ils ont soulevé ; encore moins des crimes économiques de la période des privatisations ! Les choses seraient allées très vite, mais voilà, techniquement on se rend à l’évidence que cela va être très difficile pour ne pas dire impossible car les faits trahissent les intentions politiques puisque très loin d’établir les culpabilités souhaitées ! C’est pourquoi malgré le « fait du prince » et la volonté politique, on n’en finit pas d’attendre la tenue de ces procès. Par ailleurs à voir la résistance opiniâtre des « accusés-coupables » pour ne pas se laisser conduire pieds et poings liés à l’abattoir, on comprend pourquoi malgré tous les moyens et tous les discours on attend toujours le moment propice pour tenter de passer en force. En attendant de pouvoir condamner leurs coupables désignés, ceux-ci sont de véritables otages sous leurs menaces permanentes et contraints à un « exil interne » qui ne dit pas son nom.
SI LA JUSTICE EST LIBRE, JUGEONS ALORS TOUS LES DOSSIERS, SANS EXCLUSIVE !
Enfin en condamnant des gens à tort sur la base de faux éléments, pour juste obéir aux ordres des hommes forts du moment, on crée de nouvelles victimes qui, à terme, vont elles aussi réclamer justice pour accepter la réconciliation. Ainsi, la vérité, qui est censée être le premier chaînon du processus, est bafouée. La justice rendue en dehors de la vérité contribue-t-elle à la réconciliation ? Certainement non ! Sans vérité on ne peut pas prétendre à une vraie justice encore moins à une réconciliation sincère. On comprend dès lors pourquoi les tenants les plus véhéments de la ligne « justice d’abord » soient au nombre de ceux qui professent qu’il n’y a pas de problème de réconciliation dans ce pays. Ils la partagent avec ceux qui jurent par tous leurs dieux que la justice est libre et indépendante au Burkina Faso. A les écouter, il faut tout simplement juger et condamner les coupables désignés et qu’on n’en parle plus. Alors pourquoi ne pas juger tous les dossiers une bonne fois pour toutes ! Il est bien possible d’organiser de tels procès pour vider définitivement tous les placards.
Quand le pouvoir et une bonne partie de son opposition se retrouvent à partager les mêmes positions, l’immense majorité des sans voix n’a aucune chance de se faire entendre. C’est ce qui explique la difficulté à faire émerger des propositions alternatives. Sinon du landerneau politique aux forces sociales telles que les coutumiers et les religieux en passant par les grands notables, on ne cesse de dire que la réconciliation nationale est un impératif vital et que la vérité et la justice doivent être des moyens de l’asseoir et non être ce qui l’empêcherait. On le dit souvent, toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire ; il en est de même de la mise en œuvre de la justice qui, dans certaines circonstances, peut fortement nuire à la société ou au groupe social. Les vérités et les « justices » qui ne favorisent pas la réconciliation doivent être traitées avec délicatesse pour ne pas entraver notablement celle-ci.
COMMENT LE PEUPLE A-T-IL PU SUPPORTER LA REVOLUTION ET NE PEUT PAS SUPPORTER LA RECONCILIATION ?
Quand on fait le tour du problème, on ne peut pas ne pas se poser cette question à la fois anodine et lourde de sens : comment un peuple qui a pu faire la révolution, qui a pu frapper les imaginations à travers le monde, qui a pu faire violence sur lui-même pour changer radicalement en quelques mois est-il autant incapable de dépassement de soi pour assumer son histoire et se réconcilier avec elle ? Si certains se croient blancs comme neige aujourd’hui au point de s’affranchir de toutes les douleurs que notre peuple a pu supporter dans son histoire, c’est tout simplement que, par pudeur ou par peur, voire par pure hypocrisie, d’autres n’osent pas avouer les torts, les violences et les misères que cette révolution, dont on chante les succès à travers le monde, leur a fait subir.
Le bilan de 4 années de révolution lorsque le Front Populaire avait eu le courage de demander cet exercice sous la poussée de la classe politique, qui exigeait une sorte d’audit du climat sociopolitique et économique du pays avant de s’engager dans l’ouverture démocratique promise, est passé par là. Juge et partie, le pouvoir révolutionnaire avait su user de son expérience des synthèses adoptées avant la tenue des réunions dont elles sont censées rendre compte, pour faire avaler la couleuvre pour ne pas dire le boa de ces 4 années dont de nombreux Burkinabè gardent les pires souvenirs. La mise en œuvre au pas de charge de la lutte des classes a eu des conséquences terribles sur les plans social, culturel et économique dont la mise à mal de la cohésion sociale du pays, l’ébranlement de ses valeurs traditionnelles multiséculaires, la mise à sac d’une économie en devenir, le développement d’une classe moyenne solide porteuse de richesses en devenir. On a proprement gommé la case « passif », et « instruit » uniquement à décharge, ce qui a permis d’asseoir la légende de la révolution sur la base de son avènement héroïque avec Blaise Compaoré à la tête de son « avant-garde armée », les commandos de Pô, et de porter aux nues le mythe de son leader charismatique, Thomas Sankara. Cela a permis à notre pays de tourner cette page de son histoire sans trop de heurts en évitant le sort de la Guinée de Sékou Touré ou d’autres exemples beaucoup plus tristes partout ailleurs.
QUE CHACUN BALAIE DEVANT SA PORTE !
C’est l’écriture partisane de cette période de l’histoire du pays qui est à la base de ce quiproquo dont use à profusion et à l’excès et en toute impunité une certaine race de politiciens ! C’est vrai qu’à chaque élection le peuple fait payer ses douleurs aux candidats qui se réclament de cette histoire en leurs accordant très peu de suffrages, mais une catharsis est nécessaire si on refuse la case réconciliation dont d’ailleurs ils ne veulent pas en se croyant sans reproche. En quelque sorte si on veut s’en sortir par le haut, que chacun balaie devant sa porte. A défaut de cela, aujourd’hui c’est untel, demain ça sera tel autre ! La roue tourne et tournera ; il ne faut pas se faire d’illusion !
Cheick Ahmed