L’horlogerie à l’ère du numérique : « Sans montre, je me sens… nu »
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’invention et la vulgarisation du téléphone portable qui offre aujourd’hui d’infinies possibilités à travers ses différentes fonctionnalités et autres applications, n’a pas complètement mis à sec le marché de la montre. En effet, si de nos jours, certains utilisent ce « bijou » pour frimer, d’autres ont simplement du mal à se défaire de cet objet de parure devenu une seconde nature au point qu’un habitué des montres nous a dit se sentir nu quand il n’en porte pas. Constat sur la situation de l’horlogerie à Ouagadougou à l’ère du numérique.
Des montres, Enzo en porte depuis son adolescence. Expatrié italien, nous l’avons rencontré dans un restaurant de la place. C’est donc en dégustant un copieux petit déjeuner avec un plaisir non dissimulé que le cinquantenaire a accepté de faire un retour dans le passé, évoquant avec nous un pan des traditions de son pays en matière d’horlogerie, sans pour autant jugé nécessaire de nous donner son identité complète.
Selon monsieur Enzo, à l’époque, il était de coutume d’offrir ce bijou hors prix aux jouvenceaux, une manière de leur donner un enseignement sur la valeur des choses afin qu’ils mettent un point d’honneur dans leur entretien. C’est ainsi qu’il a reçu sa première montre dès l’âge de 12 ans, à l’occasion de sa première communion. Avec l’habitude, il dit se sentir nu sans ce bracelet. Celui qu’il a actuellement, il le porte depuis au moins une dizaine d’années. « J’y tiens beaucoup. C’est un cadeau de mon frère, une Festina », a-t-il indiqué avec fierté, lui qui ne voit plus beaucoup les siens compte-tenu de son engagement religieux qui le conduit dans les quatre coins du globe pour exercer la charité chrétienne.
Se laissant emporter par la fièvre de la discussion, notre interlocuteur finira par retirer la gourmette de son poignet pour nous permettre de l’examiner sous toutes les coutures. « Elle fait partie de moi… j’ai plusieurs fois fait changer les piles, la vitre, les maillons, etc. », a-t-il certifié comme pour montrer à quel point il en prend soin.
Cette histoire, c’est aussi celle de Bertrand Ouédraogo, à une différence près. Agé d’un peu moins de 30 ans, le jeune homme se sent mal à l’aise lorsqu’il n’a pas cet objet attaché à son poignet. « C’est la dernière chose que je prends avant de quitter la maison. C’est devenu une routine », a-t-il déclaré, en tâtant avec délicatesse cette montre qu’il porte depuis un peu plus de sept mois. « Elle ne marche plus mais je n’arrive pas à m’en séparer. C’est un cadeau cher à mon cœur. Quand je ne l’ai pas, j’ai l’impression qu’il me manque quelque chose », s’est-il empressé d’ajouter. Pourquoi donc ne pas la faire réparer ? A cette question, le jeune homme, sans vouloir entrer dans les détails, a indiqué qu’il préfère acheter une nouvelle montre, comme c’est le cas de la plupart des gens.
En effet, c’est une tendance qui se renforce dans le monde : dès qu’on a un objet qui ne fonctionne plus, on préfère le jeter à la poubelle au lieu de la faire réparer. Ce mode de consommation ne porte-il pas préjudice aux réparateurs de montres ? Pour Dieudonné Ouédraogo, copropriétaire de l’horlogerie OK, il n’en est rien, même s’il reconnaît que les affaires ont pris un petit coup, précisément à partir des années 2010 où les Burkinabè avaient de plus en plus les moyens de s’offrir des téléphones portables. Né d’un père horloger, cet homme qui regorge d’anecdotes a appris le métier dans les années 81. Et c’est à bras ouverts qu’il nous a accueilli dans sa boutique située non loin du Commissariat central de Ouagadougou. Du peu que nous en savons, le travail dans cet atelier se fait dans une ambiance bonne enfant. Très à l’aise sur le sujet, cet électronicien, habillé d’une chemise rose foncée et d’un béret noir, n’a pas manqué de se remémorer ses débuts. « C’était la belle époque ! Nous étions des apprentis mais on voyait clairement que nos patrons étaient à l’aise », a-t-il déclaré, nous gratifiant d’un large sourire.
Aujourd’hui, malgré la baisse de la clientèle, le dépanneur affirme néanmoins gagner bien sa vie. Il est d’ailleurs convaincu que dans l’horlogerie, il y a encore des sous à se faire. « En plus d’être un instrument de mesure du temps, la montre est et demeure un bijou. Certains sont prêts, encore aujourd’hui, à débourser près de 300 000 francs CFA pour s’en offrir », a ajouté le spécialiste de l’électronique qui sait de quoi il parle.
Et ce n’est certainement pas Léa Cissé qui dira le contraire. Engagée dans une vive discussion avec le technicien qu’elle a l’air de bien connaître, dame Cissé ne tardera pas en effet à confirmer les propos de Dieudonné Ouédraogo. Remarquant le regard furtif que nous avons lancé à son poignet, elle a vite fait de confesser : « Elle ne marche pas. Pour moi, c’est juste un bijou. Comme la plupart des gens, je lis l’heure sur mon téléphone ». A la droite de cette dame est assis un client venu réparer sa montre. Il n’est pas du même avis qu’elle. Refusant de nous communiquer son identité, il nous fera tout de même savoir qu’il tient à la montre pour laquelle il a effectué le déplacement à l’horlogerie OK dont le propriétaire, compte-tenu de ses compétences dans le domaine de l’électronique a décidé d’ajouter de nouvelles cordes à son arc.
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En effet, en plus donc des montres, Dieudonné Ouédraogo et son associé, Clément Ouédraogo, réparent aussi des portables, des commandes de voiture, etc. Par semaine, le duo peut recevoir une quarantaine de clients au moins, rien que pour la réparation des montres. Si le temps de réparation d’une montre est assez bref, apprendre le métier d’horloger n’est pas simple, car cela demande beaucoup de temps si on veut être bien formé.
« A l’époque, on touchait 150 francs… »
Comme nous l’a si bien expliqué notre interlocuteur, il faut au moins quatre ou cinq ans pour se faire la main dans ce métier. « De nos jours, les jeunes ne sont pas prêts pour cela. A l’époque, nous on touchait 150 francs par jour en tant qu’apprentis. Personnellement je prenais 50 francs à midi pour manger et 100 francs le soir, à la descente. Avec ça j’ai pu m’inscrire en cours du soir », a déclaré le technicien, l’air nostalgique. Pour lui, le secret de la réussite, c’est d’aimer ce que l’on fait. Un conseil qu’il dédie à la jeune génération. Son maître, celui-là même qui lui a appris ce métier, ira plus loin dans les exhortations. Il s’agit de Benoît Parkouda, fondateur de la célèbre boutique, Horlogerie moderne, sise en face du grand marché de Ouagadougou.
Pour ce doyen, les jeunes doivent désormais trouver des idées pour mieux faire valoir ce métier, surtout que, dit-il, le marché n’est plus ce qu’il était. « Ça ne va plus mais je suis trop vieux pour me reconvertir », nous a confié l’octogénaire qui articule difficilement les mots compte tenu de son âge. En prêtant un peu plus l’oreille, nous avons appris que ce natif de Koupéla est arrivé dans la capitale burkinabè en 1959. Il était alors âgé de 19 ans. A l’époque, le jeune homme a travaillé pour une entreprise de construction, autrefois installée sur le terrain du Commissariat central, avant de s’intéresser à l’horlogerie. Parallèlement, il a suivi des cours du soir jusqu’en classe de CM2. C’est en 1973 qu’il a ouvert la première horlogerie de la ville. « Au début, je faisais uniquement la réparation. J’étais dans un local de 3 m2. C’est en 1986 qu’on a cassé la maison d’à côté pour agrandir ma boutique. J’ai donc commencé à vendre les montres, les lunettes, les bracelets, les pièces de montres, etc. »
Aujourd’hui, le magasin Horlogerie moderne compte deux techniciens qui travaillent à l’arrière-boutique et trois vendeurs. Ses produits dont les coûts vont de 5000 à un peu plus de 100 000 F CFA, sont vendus avec garantie et l’entreprise dispose des pièces de rechange en cas de panne. Mais après plusieurs années de gloire, la société semble être en plein déclin malgré les articles de marque et les services qu’elle met à la disposition de la clientèle. « Qu’est-ce-qui n’a pas marché ?», pourrait-on se demander.
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Vendeur de montres et de portefeuilles, Alidou Tiemtoré semble avoir la réponse à cette question. Installé depuis 2012 à quelques encablures de la pharmacie Rood-woko, il estime qu’il ne suffit plus d’avoir des marchandises de qualité. Pour lui, il est plus que vital d’aller vers la clientèle, surtout qu’il y a des boutiques à tous les coins de rue. La concurrence est donc devenue rude. Dans son cas, Alidou Tiemtoré vend plus à travers les réseaux sociaux, notamment sur sa Page Facebook « Papa Alidou » et son numéro WhatsApp où il met les articles en statut. Avec lui, le client n’a plus besoin de se déplacer : Un coup de fil et il vous livre le produit de votre choix.
Est-ce la solution ? Se servir du numérique pour continuer à prospérer dans l’horlogerie ?
Zalissa Soré
Les montres connectées ou ordinateurs de poignet
De nos jours, on rencontre aussi les smartwatch ou montres intelligentes qui, au-delà du simple affichage de l’heure et du chronométrage, présentent des caractéristiques comparables à celles d’un PDA (personal digital assistant). D’aucuns les considèrent même comme des ordinateurs de poignet. En effet, connus aussi sous le terme de montre connectée, certains disposent de connexion sans-fil avec des technologies telles que le Bluetooth et le Wi-Fi.
Si les premiers modèles, apparus dans les années 80, permettaient de faire des calculs, d’organiser des événements, de faire des traductions ou des jeux, les smartwatch modernes peuvent exécuter des applications mobiles, fonctionnent sur un système d’exploitation mobile, ou encore proposent des fonctions de téléphonie mobile. Parmi les autres applications courantes, on trouve la lecture de fichiers audio ou vidéo, la réception radio FM ou encore la mesure de l’activité physique du porteur.
Sources Wikipédia