Donsharp de Batoro : « Je fais de la griotique, pas du slam »
Il est né à Yamoussoukro, en Côte d’Ivoire, d’un père pépiniériste d’Etat et d’une mère ménagère . Après une seconde et une première, série C, il vire en D en terminale. Le bac en poche, il rentre au Faso et s’inscrit en Sciences exactes et appliquées (SEA), précisément en MPC (Maths, physique, chimie) de l’université de Ouagadougou. Loin des parents, il commence à mettre en pratique dans l’amusement un de ses talents cachés. Seydou Batoro, alias Donsharp de Batoro, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est un scientifique devenu parolier. Nous l’avons rencontré le 21 avril 2021 dans son studio d’enregistrement. Dans cette interview, il nous parle de son genre musical et des grands moments de sa carrière.
Après l’université, vous entamez une carrière musicale, comment s’est faite votre entrée sur cette scène ?
Il faut dire que la musique était déjà en moi, mais au début je la faisais juste pour frimer un peu, avec le mouvement hip-hop en vogue. C’était juste pour montrer qu’on pouvait aussi imiter les Almighty, les 2PAC et autres. Et cela a pris forme petit à petit dans mon esprit jusqu’à ce que j’entre à l’université, puis un beau jour j’ai pris mon envol.
Quel est au juste votre genre musical ?
Sur ce point, beaucoup confondent un peu tout. Il faut dire que je fais dans l’art de la griotique. La griotique, c’est la revalorisation d’une identité culturelle africaine. Ce que je fais n’est donc pas nouveau, c’était seulement méconnu. C’est un art qui est né dans le royaume mandingue avec les griots qui étaient à côté des rois. Il m’arrive d’ajouter souvent du binôn (Ndlr : danse lyelé, gourounsi de Réo) çà et là, mais de façon générale, je fais de la griotique.
Vous ne faites donc pas du slam ?
On peut le dire. Je fais de la griotique. Il m’arrive souvent de slamer. Le slam n’est pas loin de la griotique. C’est le nom seulement qui a changé. La griotique a plus de 800 ans, pourtant le slam n’a que 30 ans.
Quelle est la différence fondamentale entre le slam et la griotique ?
Le slam épouse les réalités de l’Occident : parler du quotidien, de la vie dans les ghettos, les banlieues, un peu à l’instar du rap. La différence réside dans la façon de faire, dans l’articulation, l’écriture qui respecte le style de la poésie moderne. Par poésie moderne, il faut entendre les rimes croisées. Alors que chez les paroliers, c’est l’intonation, l’utilisation de proverbes africains.
Peut-on dire que le métier nourrit son homme…
Moi, je suis de ceux qui disent que l’art nourrit son homme parce qu’il y a quelques années, ce n’était pas simple. Nos devanciers ont fait la musique par passion mais aujourd’hui elle est entièrement orientée vers le business, même s’il y a par moments du social. Par exemple, si vous prenez n’importe quel artiste qui a un tube qui marche, tout de suite il a un lopin de terre, il a une voiture, sa vie change, il a de l’argent pour se permettre des clips à Dubaï. Les cachets ont connu une nette évolution. Alors que dans le passé, ceux qui avaient des cachets pouvaient se compter sur les doigts d’une main.
A combien, par exemple, se négocie votre cachet ?
Tout comme le salaire du fonctionnaire, il y a des choses qu’il faut garder secrètes.
Et quelle est la clé de répartition ?
A chaque prestation, il y a un staff qui m’accompagne. Il y a les danseurs, le chorégraphe et les travailleurs de l’ombre, pour ne citer que ces personnes. Il y a les productions à venir, un album prépare un autre album, un single en appelle un autre. La carrière d’un artiste, c’est beaucoup d’investissements. Il n’y a pas de clé de répartition fixe. Il revient à l’artiste de s’organiser.
Sauf erreur ou omission, vous êtes à ce jour le seul artiste burkinabè à avoir été invité aux Nations unies pour une prestation. Quels sont les sentiments qui vous habitaient ?
C’était un sentiment de joie et de satisfaction. C’est l’ancienne présidente du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) qui a facilité mon invitation. C’était lors de la 71e assemblée générale des Nations unies, tenue le 16 septembre 2016 à New York. Le thème était « Autonomisation de la femme et dividende démographique ». Un thème qui était assez nouveau pour moi et qui m’a permis d’écrire l’une des plus belles pages de ma carrière.
Côté jardin, Don Sharp est-il marié, combien d’enfants ?
Un artiste est marié à la production de ses œuvres ; autant il crée, autant il a des enfants…
Dans quelques jours, vous serez ministre au musée de Manéga, quelle sera votre mission ?
Les Sages de Manéga m’ont en effet choisi pour être le ministre des Affaires étrangères. C’est inédit, c’est un poste qui n’existait pas ; ils me l’ont donné au regard de ce que je fais comme activité, je suis un panafricaniste, j’aime la diversité et je parle toujours de la conjugaison des forces des filles et des fils du continent africain. C’est la raison pour laquelle je proclame haut et fort que l’Afrique sera terre de la prochaine migration depuis 2011. Ils ont estimé que je pouvais être aussi un ministre qui incite à la visite et à la connaissance de Manéga. C’est ce que le papa Me Frédéric Titenga, le naaba Panantugri, m’a signifié et la cérémonie d’intronisation aura lieu le 16 mai prochain.
C’est encore trop tôt pour parler de ma feuille de route mais déjà à travers l’intitulé du ministère, c’est faire connaître Manéga à l’extérieur et faire connaître l’extérieur à Manéga.
Interview réalisée par
Akodia Ezékiel Ada