Restitution des biens culturels africains : « Faufilés », un projet artistique pour ramener le débat sur la table
Depuis le mémorable discours de Ouagadougou, prononcé en novembre 2017 par le président français, Emmanuel macron, c’est un sujet qui intéresse plus d’un : la restitution des biens culturels à l’Afrique. Mais pourquoi restituer ? Restituer à quelle fin et pourquoi maintenant ? Des questions parmi tant d’autres que se posent Ildevert Méda, Sada Dao et Thierry Oueda, trois artistes burkinabè de la scène, porteurs d’un projet de réflexion et de création dénommé « Faufilés », projet soutenu par le Goethe-Institut de Ouagadougou.
Avant novembre 2017, le sujet était peu abordé, aussi bien en Afrique qu’en Occident. Mais il a suffi qu’un « petit Blanc », l’évoque à Ouagadougou pour qu’il soit vite sur toutes les lèvres, ironise le dramaturge, Ildevert Méda.
Jamais donc la restitution des biens culturels à l’Afrique n’a autant fait les choux gras des plateaux-débats et émissions interactives qu’après ce discours du président français, Emmanuel Macron, fin novembre 2017 à Ouagadougou. De Ouaga à Paris en passant par Cotonou, et bien d’autres contrées, la polémique a vite embarqué nombre de personnes, toutes composantes sociales confondues qui ne se sont pas contentées de la seule thématique de la restitution des œuvres mais plutôt du grand thème de la représentation de la culture africaine en Occident.
Mais plus d’un l’ont constaté, le tollé suscité par cette problématique de la restitution est en passe de s’estomper, en tout cas pour ce qui concerne le Burkina. Tant il y a eu une sorte de désenchantement alors même que le processus est entamé dans certains pays comme le Bénin. « Il y a deux ans, une équipe qui devait travailler sur la restitution a été formée au ministère de la Culture burkinabè mais on n’a pas vu la suite », se souvient la directrice du Goethe-Institut, Carolin Cristgau.
C’est dans un tel contexte qu’est né, en avril 2021, le projet « Faufilés ». Ce projet, de réflexion et de création est porté par trois grandes figures burkinabè de la scène : Sada Dao, scénographe, décorateur, créateur de projets d’arts en espace public, formateur. Thierry Oueda, auteur dramaturge, comédien et metteur en scène. Ildevert Méda alias le Maestro, écrivain, comédien, metteur en scène et dramaturge. C’est d’ailleurs au détour d’une rencontre d’échanges entre le trio et la directrice du Goethe-Institut de Ouagadougou, Carolin Christgau, (28 juillet 2021) que nous avons su davantage sur ce projet.
« Faufilés » a vu le jour, grâce, en partie, au Goethe-Institut de Ouagadougou qui a aidé à son financement à hauteur d’environ 10,5 millions de F CFA. Il est mis en œuvre en partenariat avec des structures muséales et de productions artistiques du Burkina et d’ailleurs.
Dans leurs réflexions, créations et productions de spectacles, les artistes ont opté de privilégier le questionnement, quitte à ce que cela suscite des réponses externes. Au-delà de la restitution des œuvres, il s’agit de remettre en question la pratique d’exposition d’humains qui fut monnaie courante dans l’Occident d’avant. Comment les personnes engagées dans les zoos humains ont-elles façonné leur regard sur elles-mêmes ? Comment identifie-t-on les structures d’exposition ? S’interroge à ce sujet Ildevert Méda.
A côté de ce questionnement, pour parler des espaces d’exposition et de conservation, la réflexion porte sur le comment concevoir et transformer le sens et l’objectif des musées existants. Autrement, les artistes se demandent : quel genre de musées les Africains veulent-ils ou ont-ils besoin ; A qui appartiennent les objets à restituer ? Comment créer de nouveaux musées qui ne sont pas une reproduction des musées européens ?
La démarche des artistes, c’est aussi d’aller vers les universitaires, de faire en sorte que les musées soient des espaces d’enseignement pour les plus jeunes, sans quoi ces musées ne serviront pas à grand-chose.
Les artistes de « Faufilés » se donnent dès lors la mission de recoudre un tissu déchiré par le temps qu’est le musée, et lui donner ainsi un nouveau visage et un autre usage. Il ne s’agit pas de juger qui que ce soit mais de juste questionner, a assuré Ildevert Méda qui veut bien croire que ce questionnement peut amener loin le débat et faire bouger les lignes.
Bernard Kaboré