A la barre : un sexagénaire escroc dans l’âme
S’il n’avait pas l’escroquerie dans l’ADN, Jean-Paul, 58 ans, n’aurait pas de nouveau vendu des terrains fictifs comme il l’a fait il y a deux ans. Il n’aurait donc pas été, pour la deuxième fois en moins de trois ans, traduit devant les juges du tribunal de grande instance de Ouaga pour s’expliquer. Reconnu coupable pour la deuxième fois, il a été condamné à 3 ans de prison et à une amende de 500 000 F C FA, le tout ferme.
C’est à croire que l’escroquerie n’a pas d’âge. Mais s’elle avait tout de même un visage, on pourrait lui attribuer celui du vieux Jean-Paul (nom d’emprunt). En 2019, cet agriculteur a été condamné à deux ans de prison fermes. En cause, des manœuvres frauduleuses dans la vente de biens immobiliers.
Après avoir purgé une moitié de sa peine, il a bénéficié d’une semi-liberté. En clair, le père de quatre enfants peut passer ses journées hors de son établissement de détention, même s’il doit se présenter régulièrement devant l’administration pénitentiaire.
Mais c’est à croire que la justice a trop fait confiance au condamné. Ou si vous préférez, ce dernier a abusé de la faveur à lui accordée. En effet, le vieux Jean-Paul va de nouveau succomber à la tentation du gain facile. En quoi faisant ? La même chose que ce qui lui a conduit en tôle il y a moins de deux ans : il propose à des acheteurs des terrains qui n’existent que dans son imaginaire.
Le processus est bien ficelé : natif et habitant de Garghin, un quartier périphérique de Ouagadougou, Jean-Paul se fait passer pour un propriétaire terrien dans ledit quartier. Une société immobilière y veut acquérir des terrains pour réattribution. En sa qualité de proprio, il a droit à plusieurs parcelles et peut en faire bénéficier qui le souhaite. Mais à condition de prendre part à une souscription qui s’élève à 12 500 pour un terrain à usage d’habitation et à 25 000 F s’il s’agit d’une zone commerciale.
« Vous n’avez vraiment pas la chance »
A certains potentiels acquéreurs, le sexagénaire se présente comme un agent de la mairie de Komsilga, bourgade située à la périphérie sud de la capitale, où les autorités municipales envisagent une opération de lotissement. Selon le prétendu agent municipal, cette opération débute par des souscriptions dont il est le responsable. Les montants sont les mêmes que ceux indiqués ci-haut.
Le piège semble ne pas avoir de faille. Plusieurs personnes n’y échapperont pas. Au nombre de ces personnes, le pasteur d’une église dont Jean-Paul est l’un des fidèles et un infirmier dont il a été le patient quelques années plus tôt. Ce dernier qui voulait ouvrir une clinique privée a souscrit pour un espace commercial et un terrain à usage d’habitation. S’il n’avait pas cru à une œuvre de gratitude de son ex-patient, argument avancé par ce dernier, il n’aurait pas cédé à une telle proposition. l’infirmier a même recommandé le prétendu agent municipal à des connaissances qui ont, elles aussi, participé à la souscription.
Le doute viendra de l’attitude du vieux Jean-Paul devant les exigences de ses clients, lui qui collecte les pièces d’identités des souscripteurs, encaisse des sommes d’argent sans délivrer de reçus ni aucun autre document, preuve de ses encaissements. Lorsqu’on lui réclame un récépissé de souscription, il appelle à la patience. Il finit par devenir injoignable au téléphone lorsque se multiplient les demandes de remboursement des sommes perçues. Désespérés, quelques souscripteurs ont saisi le procureur. Et voilà de sexagénaire de nouveau dans des ennuis, lui qui a escroqué, en tout, des centaines de milliers, voire des millions de F CFA et qui se réjouissait d’avoir pu achever la construction de sa villa avec une partie du butin.
Devant les juges, c’est un Jean-Paul à l’apparence fragile qui a comparu. Frêle dans une chemise bleue, les cheveux grisonnants, il a prétexté une difficulté à se tenir droit et obtenu l’autorisation de livrer sa déposition en étant assis. Il a reconnu tous les griefs à lui reprochés, sauf l’usurpation de l’identité d’un agent municipal. Il a par ailleurs demandé la clémence du tribunal. Promettant de ne plus succomber une troisième fois à la tentation si toutefois il est relaxé.
Trois ans fermes
Mais il a oublié que ce sont les mêmes juges qui l’ont jugé deux ans plus tôt lorsqu’il tenait à la barre les mêmes propos. Il s’en est souvenu lorsque cette déclaration lui a été adressée : « Monsieur, vous n’avez vraiment pas la chance. Il y a deux ans, vous avez joué le même jeu. Vous nous aviez demandé qu’on vous accorde une chaise, parce que souffrant. Nous avons accédé à votre requête. Vous promettiez aussi de ne plus récidiver. Nous avons cru en vous. Nous vous avons considéré comme un homme sincère. Et vous voilà encore pris pour les mêmes faits et avec la même ligne de défense… »
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« On sait donc qu’il n’est pas malade », a renchérit le procureur qui a estimé que les faits parlent d’eux-mêmes et que la culpabilité du sexagénaire est clairement établie. C’est pour cela qu’il a requis contre le prévenu 5 ans de prison fermes et une amende de 3 millions de F CFA. Culpabilité également établie aux yeux des juges qui ont prononcé une peine d’emprisonnement de 3 ans et une amende de 500 000 F CFA, le tout ferme.
Ce temps derrière les barreaux ajouteront sans doute quelques cheveux blancs aux vieux Jean-Paul. Mais au risque de retourner en prison une fois sa peine purgée, il ne s’adonnera plus à l’escroquerie. Contrairement à ce qu’avait conseillé l’écrivain français, Alexandre Vialatte, il tâchera de ne pas garder ce vice pour la vieillesse.
Bernard Kaboré