Visite du musée de l’eau : Immersion dans l’univers d’Alassane Samoura
Ce musée atypique, qui est le premier du genre sur le continent africain, est le fruit d’une initiative personnelle, celle de son directeur, Alassane Samoura, sociologue à la retraite. Au Burkina Faso, pays sahélien où la question de l’eau est centrale et demeure une denrée rare dans certaines de ces parties, le musée a commencé à prendre corps en 2005 sur un site qui n’est pas celui d’aujourd’hui. L’actuel site reflète les ambitions gargantuesques de l’initiateur du projet, il s’étend sur une superficie de 10 hectares. Malgré son éloignement du centre-ville, c’est un endroit qui attire de plus en plus des visiteurs depuis son lancement officiel en mars 2021 qui a coïncidé avec la journée mondiale de l’eau. Le musée a un grand besoin de soutien et son fondateur multiplie les contacts avec les représentants de l’Etat et tente de nouer des partenariats avec les structures internationales. Le mercredi 25 juin, l’établissement a reçu la visite de Marina N’Goyet, ingénieure en sciences et technologies de l’eau, ambassadrice de l’Académie de l’eau en France.
En route pour Saaba où est situé le site, le chauffeur posait des questions assez logiques. Pourquoi un musée de l’eau et à quoi ça sert ? Selon le concepteur et initiateur de l’établissement, il est le tout premier en Afrique. C’est normal, quand on réalise que c’est une denrée vitale et stratégique dans une zone géographique comme le sahel. Sans être ironique, disons que dans une ville comme Saint-Petersbourg en Russie, il y a un musée du pain et même un musée consacré à la vodka. C’est subjectif mais jamais fortuit.
A notre arrivée, Alassane Samoura, directeur du musée, tout en ne quittant pas des yeux l’écran de son smartphone, était en train de donner des directives à ses 2 assistants. L’un d’eux, le vigile des lieux, avait la silhouette d’un lutteur traditionnel sénégalais échappé des arènes. L’autre était tout simplement un élève en vacances, avide de connaissances. Les chaises disposées en demi-cercle attendaient les visiteurs. Juste en face une sculpture en bois majestueusement installée sur son piédestal veille sur les lieux. C’est un « Nommo », génie de l’eau dans la cosmogonie dogon. Après un échange de quelques minutes avec M. Samoura, qui se plaignait du manque de soutien de l’Etat, nous sommes interrompus par l’arrivée des visiteurs. Marina N’Goyet, l’ambassadrice de l’Académie de l’eau de Paris, est accompagnée de ses 2 parents.
Elle est franco-ivoirienne, ingénieure en sciences et technologies de l’eau, diplômée de la célèbre école 2 IE de Ouagadougou et de Polytech Montpelier. L’immersion dans ce musée atypique planté au milieu de la verdoyante nature de Saaba se veut participative et active, car elle débute par une séance de recherche et de détection des nappes phréatiques par la technique ancestrale du sourcier. A l’aide d’un bout de branche taillée en forme de Y grec l’on peut repérer une nappe phréatique, car les forages de puits se font exclusivement selon les indications des hydrogéologues ou des sourciers traditionnels. Le visiteur soumis à l’exercice et qui trouve la nappe ressent une satisfaction morale et réalise que l’Afrique possède des connaissances endogènes mal connues, qui sont malheureusement des richesses en déperdition.
Une des étapes intéressantes de la visite était l’itinéraire de la corvée d’eau. Il s’agissait d’imiter le parcours d’une femme en milieu rural qui fait une dizaine de kilomètres en moyenne par jour à la recherche du précieux liquide, un canari sur la tête. Maintenant, les temps ont évolué et les habitudes avec. La femme rurale économise son temps, la corvée quotidienne d’eau s’allège. Elle est débarrassée du lourd fardeau porté sur la tête. Elle l’a transposé et, à l’aide d’un pousse-pousse à roues, peut ramener du puits des bidons d’eau de 20 à 80 litres à la maison. Le forage à pompe du site est original et ne débite de l’eau que lorsque l’on pédale, et pour ce faire il faut avoir des jambes solides. Un mur bas l’entoure, il joue un rôle de protection et de support, car celui qui vient puiser à la source est abreuvé de dictons et de proverbes : « Protéger l’eau, c’est protéger la vie », « Des milliers d’hommes ont survécu au manque d’amour, mais aucun n’a survécu au manque d’eau », ou encore, « L’eau est rare, fantasque et précieuse. Elle impose respect et crainte ». Plus loin, c’est la rangée des pompes à eau datant des temps coloniaux à nos jours. Une d’elle, de fabrication italienne, est appelée « la pompe qui soulève les jupes ». Elle est manuelle et il faut peser de tout son poids pour l’appuyer vers le bas, puis dans un mouvement de retour l’on est projeté vers le haut. Dans nos contrées, ce sont les femmes qui en majorité vont chercher l’eau, alors on devine pourquoi cette curieuse appellation, même si elles sont rarement en jupes. Dans l’héritage colonial il y a des objets ou des techniques qui ont contribué à améliorer la conservation et l’accès à l’eau. L’objet suivant qui a attiré notre attention, c’est un puits bardé de puisettes, ces récipients qui servent à faire remonter l’eau des profondeurs. Il est le concentré du vécu quotidien en milieu rural.
Le puits au village est un lieu de rencontre des femmes mais elles semblent ignorer que le forage a des oreilles. Sur la margelle, un écriteau projette le visiteur dans l’univers de la sagesse africaine et du conte. « La grenouille dit que c’est du fond du puits qu’elle entend et écoute les nouvelles du village, tôt le matin par les voix des femmes » ; qu’en pense-t-on ? Lampedusa, cette petite localité côtière du Sud de l’Italie, fait l’objet d’une installation sur le site, car le conservateur de l’établissement sait être inventif.
Lampedusa, porte d’entrée en Europe pour les migrants africains, est tout un symbole. L’eau de la Méditerranée, qui a englouti des milliers de vies, est le symbole de l’eau source de danger et de la mort. Un appel est ici lancé à l’endroit des politiques pour plus de démocratie afin d’arrêter la tragédie.
Pour Marina N’Goyet, ambassadrice de l’Académie de l’eau, ce musée est une institution d’utilité publique très importante. « Pour un pays sahélien où la problématique de la gestion de l’eau est cruciale, avoir un musée de l’eau aussi pédagogique tel que M. Samoura l’a conçu permet d’éveiller les consciences au sujet d’une denrée aussi précieuse comme l’eau », a-t-elle indiqué.
A la sortie de l’immersion, MM. N’Goyet a confié être venue « découvrir les lieux, savoir ce qui est fait, comprendre les besoins exprimés et éventuellement nouer un partenariat en vue d’apporter de l’aide ». C’est une collaboration qui s’instaure entre deux structures dans la perspective de la tenue du forum mondial de l’eau à Dakar en mars 2022. La visite de M.N’Goyet est une bouffée d’oxygène pour le promoteur et directeur du musée qui a tant de mal à obtenir le soutien de 3 ministères avec lesquels l’institution est en rapport. Il s’agit du ministère de la Culture, du ministère de l’Eau, et de celui de l’Environnement. Un ex-ministre aurait même conseillé à M. Samoura de fermer ses portes, car le budget disponible ne permettait pas de s’occuper de structures aussi exotiques.
Avant de se séparer, le directeur du musée a fait venir Amnis, son chameau de 3 ans qui broutait paisiblement les feuilles des arbustes non loin de là. Il n’a pas voulu se faire photographier avec nous, mais ce n’est pas grave, car l’on comprend qu’il a été interrompu pendant qu’il profitait de la verdure. La présence d’Amnis n’est pas anodine pour tout ce que représente le musée. C’est un animal emblématique, irremplaçable dans les zones arides et qui sait avec son flair repérer les rares points d’eau dans le désert.
Dieudonné Ouédraogo