Terrorisme au Burkina : un aperçu de l’organisation des groupes armées et de leurs trafics mafieux
A la faveur d’un forum organisé par La Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest, en collaboration avec le Centre national de presse-Norbert Zongo, des communications ont été animées. L’une d’entre elle, faite par l’expert, Mahamoudou Savadogo, chercheur et consultant sur les questions de l’extrémisme violent au Sahel, a porté sur la situation et les attitudes que les journalistes doivent adopter par rapport à ce sujet.
Selon ce chercheur, le nombre d’incidents des trois derniers mois est nettement en hausse par rapport aux mois passés. « C’est la première fois cette année qu’un tel niveau de violence est atteint. Ce mode opératoire qui consiste à cibler les populations civiles s’est observé depuis le début du second semestre de 2021. De 86 personnes civiles tuées dans 105 incidents sécuritaires entre le 1er janvier et le 31 mars 2021, on est passé à 298 civils tués dans 115 incidents sécuritaires entre le 1er avril et le 14 juin 2021. Soit une augmentation de presque 250% des civils tués entre le premier et le deuxième trimestre ». Il a ajouté que les chiffres au Burkina Faso sont expressifs et ont grimpé comparativement à des pays qui sont à 10 ans de conflits comme le Niger et le Mali. Pour le mois de juillet 2021, on note au Burkina Faso 86 morts pour 91 incidents, au Mali 28 victimes pour 60 incidents et au Niger 31 morts dans 08 attaques. Au Burkina Faso, selon l’expert, on trouve des hommes armés du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) ainsi que de l’Etat islamique au grand Sahara (EIGS).
La zone Nord et le GSIM
M. Savadogo dans sa présentation est également revenu sur l’organisation des terroristes. « L’émir de la zone sahel est Abdoul Salam alias Djafar Dicko. Ce dernier dispose d’au moins 400 combattants (motos, véhicules blindés et pick-up). Djafar Dicko dans ses opérations peut compter sur une unité spéciale : la katiba Serma qui est lié directement à Koufa.
Concernant l’EIGS les chefs de Katibat règne dans le Soum/Seno, l’Oudalan et le Yagha. Un Emir dans le Gourma coordonne les activités avec des chefs de Katibats. Le caractère dynamique fait la spécificité des groupes armés qui règnent sur des régions du Burkina. Au niveau de l’Est, Jaffar est l’émir de la région. Le Gourma et la Komandjari sont coiffées par des katibas. Il en est de même pour les localités de Nassougou, de la Kompienga, de Matiacoali, à cheval entre le Komandjari et la Tapoa. L’EIGS, lui est présent dans le Komandjari, la Tapoa et le Yagha », a-t-il confié.
Dans la zone de l’Ouest, la menace est désormais présente car les GAT ont réussi leur processus d’endoctrinement et d’endogénéisation. Cela est facilité par le fait que c’est une zone des trois frontières qui facilite leurs mouvements entre le Mali et la Boucle du Mouhoun, entre le Burkina et la RCI, entre le Burkina et le Ghana. Sur cette partie du territoire, les Koglweogos sont présents jusqu’à la Boucle du Mouhou. Les chasseurs dozos restés en marge ont rejoint la lutte pour préserver leur espace et bénéficier des armes, a-t-il expliqué dans son développement.
Des groupes organisés en bande criminel
De l’avis du chercheur et consultant sur les questions de l’extrémisme violent au Sahel, les groupes terroristes qui opèrent au Burkina bénéficient de l’existence de réseaux bien établis d’une criminalité organisée et prégnantes dans l’espace sous régional à travers des filières opérant au Bénin, au Ghana et au Togo principalement. « L’axe reliant le Togo au Ghana – passant par Bittou et Cinkansé pour traverser une partie de la région du Centre-Est serait une des principales filières. Une seconde viendrait du Sud de la Kompienga, des villages de Tantiagou et Toutourgou, et réjoindrait les villes togolaises de Dapaong et Barkoisi. Les acteurs de trafic d’armes sont généralement liés aux groupes terroristes, certains appartiennent à ces groupes. L’un d’eux, opérant entre le Ghana et le Burkina, est originaire de l’Est mais a vécu de nombreuses années au Ghana dans l’univers de la contrebande. La circulation accrue des armes aurait drastiquement fait chuter le prix. Une kalachnikov serait accessible à 150 000 FCFA contre 600 000 FCFA en 2017, soit avant la crise », a-t-il confié.
Il ressort de la communication qu’une seconde filière porteuse depuis le Ghana et le Togo est celle des motos, principal mode de déplacement des groupes djihadistes dans la bande sahélienne. « Le prix d’une moto depuis cette filière serait 50 à 60 % moins cher. Un second axe d’approvisionnement en motos existe depuis le Nigeria via le Bénin, un axe également utilisé pour la vente de carburant nigérian en contrebande. Les ressources naturelles font également l’objet d’un trafic plus soutenu depuis la pénétration des groupes terroristes. Le braconnage a considérablement augmenté et les filières de trafic de peaux et de défenses d’éléphants se sont développées avec le Niger en particulier. La faune existante à l’Est a drastiquement chuté depuis 2018 ».
L’exploitation de l’or artisanal est également facilitée par les groupes terroristes à l’Est comme ailleurs au Sahel (ICG, 2019), relate l’expert Savadogo. « Ils en retirent un bénéfice financier direct et plusieurs sources concordantes soutiennent que cette dynamique s’est considérablement accentuée depuis 2019 à propos des mines dans la région de l’Est et la province du Yagha, profitant autant à l’EIGS qu’au GSIM ».
De l’or à l’Est
Par ailleurs, de la présentation du chercheur, on peut retenir que le site de Kabonga est réputé être depuis longtemps sous le contrôle des groupes armés. « Il semblerait qu’il en soit de même des sites de Bouradjime, de Kankanti, tandis que deux autres sites à Gayeri et à Foutouri sont suspectés d’être sous leur influence également. Le potentiel aurifère à l’Est, comme d’ailleurs dans les autres régions du Burkina est considérable: la Komondjari compte 16 sites, la Tapoa 12, le Gourma 14 et la Gnagna 20 sites. A Pama aussi, les sites aurifères se sont multipliés depuis 2016. L’écoulement de l’or est l’objet de chaines d’approvisionnement bien structurées qui permettent facilement de faire redescendre la production dans le sud, notamment au Togo qui fait figure de hub dans la vente d’or alors que le pays n’en produit pourtant pas (OCDE, 2018). Selon d’autres sources, l’or pourrait faire l’objet d’une économie troc, en échange d’approvisionnement logistique, dont les armes », a-t-il poursuivi.
Sur le plan humanitaire
A la date du 30 Juin 2021, le Burkina Faso connait une croissance du nombre de déplacés internes estimé à 1 312 071 soit une augmentation de 4,7% par rapport au mois précédent.
22 289 réfugiés
2.244 écoles fermées
305 000 élèves affectés et dissipés dans la nature
2, 86 millions de personne menacée par l’insécurité alimentaire
Les régions d’accueil des déplacés sont le Centre-Nord, du Nord et le Sahel avec un taux cumulé de 80,4% PDI au 30 juin 2021. Cet accroissement est dû au fait que les incidents ciblent principalement les populations civiles depuis maintenant le début du second trimestre de 2021. Les régions du Centre Nord, du Sahel et de l’Est continuent d’être les plus affectées. Durant les trois derniers mois, dans tout le pays, environs 200 000 personnes ont dû fuir leur domicile pour chercher sécurité, expliqué l’expert.
Pour le consultant Mahamoudou, la situation sécuritaire délétère que vit le Burkina est liée, entre autres, à la mal gouvernance et le pays n’est pas près de sortir de cet engrenage, puisqu’après avoir neutralisé les terroristes, les acteurs de la lutte contre les GAT qui auront les armes en leur possession vont devenir incontrôlables et constituer un danger pour nos sociétés.
Synthèse de
W. Harold Alex Kaboré