Méthodes contraceptives : cette pilule qui passe facilement chez certains, difficilement chez d’autres
En matière de planification familiale (PF), nombreux sont ceux qui voient encore le verre à moitié vide : « Ce n’est pas bon pour la santé, il y a des effets secondaires, ça rend stérile… » Tous les arguments sont bons pour ne pas prendre la pilule, par exemple. Pourtant, les rumeurs sur les effets secondaires de la contraception ne sont pas toujours fondées et certaines femmes ou jeunes filles auraient pu éviter des situations dramatiques si elles avaient opté de s’y engager. C’est le constat que nous avons fait à Ouagadougou au cours des mois d’août et de septembre 2021.
Jusqu’ici, la vie n’a pas été particulièrement tendre avec Abiba Sawadogo, une jeune femme de 30 ans qui vit à Bang-pooré, un quartier non loti de la ville de Ouagadougou. Orpheline de père, Biba, comme l’appellent affectueusement ses proches, est née dans une famille de classe moyenne. Ce n’était peut-être pas le grand luxe mais tous ses besoins pouvaient être correctement assurés par les siens. Tout allait donc bien dans le meilleur des mondes jusqu’à ce qu’elle se retrouve enceinte à l’âge de 17ans. C’était le début de ses déboires, car plus question pour elle de rester en famille.
En effet, l’homme à qui elle avait attribué la grossesse avait protesté vigoureusement et menacé de lui faire du mal si elle persistait dans ses accusations. Après moult efforts pour trouver le père de son futur enfant, Abiba sera finalement acceptée avec sa grossesse par l’homme dont elle partage aujourd’hui la vie.
Il s’agit de Guietawindé Kaboré, alias John Fassa, un artiste musicien et fabriquant de djembé. Le couple compte aujourd’hui trois enfants et vit dans une maisonnette en banco d’à peine 8m2 sans clôture, ce qui est probablement loin du confort que lui offrait la cour familiale. « Avec le recul, je regrette de n’avoir pas pensé à utiliser une méthode contraceptive. Ça m’aurait permis de bien me préparer et d’avoir mes enfants dans de meilleures conditions. Je me rends compte que les rumeurs autour de la PF ne sont pas fondées puisque je l’ai par la suite utilisée pour espacer mes accouchements », déplore la jeune femme qui, compte tenu de ses conditions de vie difficile, semble beaucoup plus vieille que son âge. Qu’importe ! Durant tout le temps que nous avons passé avec elle, Abiba a fait preuve de bienveillance vis-à-vis de sa progéniture, donnant l’impression d’une femme sereine et mesurée, aussi bien dans le langage que dans le comportement.
A un pâté de maisons d’où vit Abiba, nous avons rencontré Mamounata Ouédraogo, nom d’emprunt, qui portait une grossesse non désirée. Elle est de la même génération qu’Abiba et comme elle, cette femme au foyer, déjà mère de deux enfants, a négligé l’importance de la planification familiale.En effet, après son dernier accouchement il y a un an et demi, Mamounata a opté pour une méthode contraceptive, en l’occurrence l’implant. Mais compte tenu des effets secondaires, elle a renoncé à ce contraceptif sans prendre la peine d’essayer une autre méthode. Elle ne tarda pas à tomber enceinte alors qu’elle a un bébé sur les bras, elle qui vit déjà dans des conditions précaires.
Le point commun de ces deux histoires, c’est qu’elles ont connu un dénouement plus ou moins heureux : garder la grossesse vaille que vaille. En effet, les chiffres montrent à souhait qu’il y a des situations où des femmes, pour essayer de s’en sortir, se tournent vers l’avortement clandestin. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 1,8 millions d’avortements sont pratiqués chaque année en Afrique de l’Ouest avec un taux de 540 décès pour 100 000 avortements.
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Devant ces nombreuses pertes en vies humaines de femmes qui meurent parce qu’elles ne sont pas prêtes à donner la vie, l’importance de la contraception n’est plus à démontrer. Et même si des efforts sont faits par les gouvernements, il faut reconnaître que ce n’est pas suffisant.
La délégation des tâches pour que plus de femmes adhèrent à la contraception
Au Burkina Faso, la prévalence contraceptive est passée de 28,1% en février 2020 à 31,9% en mars 2021, selon les résultats du round 8 de la plateforme de recherche PMA (Performance monitoring for action), étude réalisée entre décembre 2020 et mars 2021. En 2012, la prévalence était de 16%. Avec la crise sécuritaire, attaques terroristes depuis 2016 qui ont entraîné plus d’un million de déplacés, les besoins non satisfaits en matière de PF se sont accrus. Par ailleurs, à cause de la maladie à coronavirus, en Afrique de l’Ouest, un supplément de 49 millions de femmes a un besoin non satisfait en contraceptifs modernes. On note également 15 millions de grossesses non désirées supplémentaires au cours d’une année. Fort heureusement, des mécanismes sont mis en place pour résoudre chaque problème qui se pose à la bonne marche des services de PF.
A titre d’exemple, le Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) de Zagtouli, périphérie ouest de Ouagadougou, a vu son taux de fréquentation dégringoler, aussi bien pour la PF que pour les autres types de services, avec la découverte de cas de covid 19 dans le pays. C’est du moins ce qu’a expliqué son infirmier major, Philippe Tassembédo. « Heureusement, avec la sensibilisation, les activités ont fini par reprendre », s’est-il réjoui.
Et ce n’est pas la responsable de la maternité, Bernadette Nassa, qui dira le contraire. Selon elle, les résultats, en ce qui concerne la PF, sont assez satisfaisants. A son avis, ce rendement a été possible grâce à la délégation des tâches, une stratégie mise en place dans les pays du Partenariat de Ouagadougou et qui permet aux agents de santé de première ligne (APL) de dispenser, à tout moment, des services de planification familiale, notamment les méthodes de longue durée. « Cela nous a permis de recruter de nouvelles utilisatrices. Nous ne sommes que six sages-femmes. Nous ne pouvions pas tout faire. Parfois, les femmes venaient pour des insertions et l’agent de santé présent n’était pas qualifié pour le faire. Mais depuis la formation des APL, le travail avance bien. A titre illustratif, les méthodes longue durée représentent 42,03% des services de PF et la part des APL est de 30,02% », a expliqué la maïeuticienne.
De ce que nous avons pu comprendre, les APL font également le counseling, c’est-à-dire prodiguent des conseils, pour aider les utilisatrices à faire le choix de la méthode, tout en s’assurant qu’il n’y a pas de contre-indication en fonction de la personne qu’ils ont en face. De plus, avec la délégation des tâches, il est désormais possible de former les femmes afin qu’elles soient capables de s’administrer elles-mêmes la méthode contraceptive choisie en cas de besoin. C’est le cas avec les injectables. « Elles injectent la première dose devant nous et on leur donne la deuxième qu’elles emportent à la maison. Le jour-j, elles se l’injectent. C’est une bonne stratégie même si elle a des insuffisances », a indiqué Bernadette Nassa, expliquant que certaines femmes ont peur de l’aiguille.
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Si de plus en plus les femmes comprennent l’importance du planning familial, ce n’est pas encore le cas de certains hommes qui sont des obstacles à la bonne marche des services de PF. Nous en avons d’ailleurs fait les frais dans le cadre de ce reportage. En effet, un cinéaste, contacté via les réseaux sociaux, dont nous ne citerons pas le nom nous a traitée de pseudo journaliste parce que nous lui avons demandé de nous expliquer les raisons pour lesquelles il est contre la PF. Pour lui, l’Afrique est assez riche pour ses enfants. « Ceux qui vous ont enseigné ses pensées diaboliques sont les mêmes qui ont mis en esclavage vos arrières grands parents… Comment vivaient vos aïeux sans contraception ? » Dixit ce cinéaste, Africain de la diaspora, qui dit avoir beaucoup tourné dans le monde.
Quand des femmes jouent à cache-cache avec leurs conjoints !
Selon Pauline Yo, accoucheuse au CSPS de Zagtouli, elle a, au cours de sa carrière, rencontré plusieurs femmes qui se cachent pour faire la contraception. « Certaines laissent leur carnet avec des proches pour éviter que le mari ne s’en aperçoive. Personnellement, je garde le carnet de quelques patientes et quand la date prévue pour administrer le produit arrive, je les appelle et elles viennent », a déclaré cet agent de santé. Si l’on se réfère à ses explications, les femmes dans cette situation optent parfois pour des contraceptifs qu’elles n’auraient pas choisis mais juste parce qu’elles peuvent cacher cela à leur conjoint. « Avec les pilules, il peut voir la boîte à la maison. Si c’est l’implant, il peut le sentir avec les caresses… mais avec l’injectable par exemple qui se fait tous les trois mois, c’est ni vu ni connu », a précisé Mme Pauline Yo.
Mais pourquoi certains hommes sont hostiles à l’emploi de la contraception par leurs conjointes ? Pour la directrice de la santé de la famille, le Dr Valérie Marcella Zombré/Sanon, certains d’entre eux pensent qu’avec la PF, leur partenaire peut les tromper. « En ce qui nous concerne, nous estimons que ça dépend de l’éducation de base de la femme. De plus, elle n’a pas besoin de méthodes contraceptives si elle veut vraiment être infidèle », a-t-elle affirmé.
Pour battre en brèche les arguments des hommes qui évoquent les effets secondaires des méthodes contraceptives pour en interdire l’utilisation à leurs épouses, les agents de santé expliquent que les produits administrés sont comme tout autre médicament et que la « patiente » peut changer de méthode quand ça ne va pas. « La rumeur la plus fréquente est celle qui dit que ça empêche la conception. Ce n’est pas vrai. D’autres disent que ce sont des méthodes abortives mais il faut savoir que les contraceptifs, c’est pour empêcher le spermatozoïde et l’ovocyte de se rencontrer soit en modifiant l’espace utérin ou en ralentissant le mouvement du spermatozoïde. S’il n’y a pas eu conception, on ne peut donc pas parler d’avortement », a tranché la spécialiste, Valérie Zombré/Sanon, convaincue que la planification familiale peut permettre à la famille de s’épanouir surtout quand les deux conjoints sont sur la même longueur d’ondes.
Un avis que partage Clarisse Bénao, une jeune femme qui a accouché de sa première fille à l’âge de 20 ans. Elle et son petit ami, 25 ans à l’époque, étaient tous les deux étudiants. « Il a fallu qu’on s’installe ensemble. C’était difficile car nous n’avions pas de revenus », explique la jeune femme âgée aujourd’hui de 29 ans. La main posée sur son ventre arrondi, elle nous a parlé, avec une mine rayonnante, de la chance qu’ils ont eue d’avoir des parents financièrement bien assis qui les ont soutenus, gardant le bébé quand il le fallait pour leur permettre de terminer tous les deux leurs études. Par la suite, chacun d’eux a réussi à décrocher un bon emploi. Le mari est transitaire et la femme comptable. « Durant tout ce temps, nous avons utilisé toutes sortes de méthodes pour éviter une deuxième grossesse. Après cette incartade, nous voulions prendre le temps de bien gagner notre vie pour pouvoir donner le meilleur à nos enfants et former ainsi une famille heureuse et épanouie », a indiqué Philippe Bogoré qui semble heureux d’accueillir bientôt son deuxième bébé. « Ma première est assez grande. A 9 ans, j’ai bon espoir qu’elle sera d’une grande aide pour s’occuper de ses petits frères », a confié Clarisse, le visage illuminé par un large sourire.
Zalissa Soré