Justice

Assassinat Thomas Sankara : la table d’écoute a enregistré Jean-Pierre Palm et Blaise Compaoré

C’est toujours l’étape des témoignages dans le cadre du procès de l’assassinat de Thomas Sankara. Ce 22 novembre, après Yé Bongnessan Arsène, c’était le tour de l’adjudant-chef-major, Boukary Douamba de livrer sa déposition et de se prêter aux questions des différentes parties.  Boukary Douamba, 68 ans, était le chef du service de la table d’écoute au moment des faits. Placé en détention après le coup puis libéré un mois plus tard, il dit avoir enregistré des échanges téléphoniques entre Blaise Compaoré et Jean-Pierre Palm quelques temps avant le jour fatidique.

Blaise Compaoré (à d.) et Pean-Pierre Palm auraient été enregistrés par la table d’écoute

A 68 ans, Boukary Douamba présente un physique qui ne trahit pas l’effet du temps. L’air d’un homme fatigué, c’est du moins ce que cet officier à la retraite laisse voir lorsqu’il marche. Convoqué à la barre de la Chambre de première instance pour dire ce qu’il sait des évènements du 15 octobre 1987, c’est aux pas mesurés que l’adjudant-chef-major à la retraite a rejoint la chaise placée tout juste à la barre, laquelle est réservée aux accusés et témoins incapables de tenir longtemps sur leurs jambes.

« Dites-nous tout ce que vous savez et qui est en lien avec le coup d’Etat du 15 octobre 1987 au cours duquel le capitaine Thomas Sankara et 12 de ses compagnons ont été tués » : à cette invite du président de la chambre, Urbain Méda, le témoin a entamé le déroulé de son agenda du jour où le président du Conseil national de la révolution a été assassiné : « Ce jour-là, j’étais en service à la gendarmerie nationale où j’étais le chef du service de la table d’écoute. A midi, je suis rentré à la maison pour me changer en tenue de sport. Lorsque je suis revenu au service, aux environs de 16 heures, j’ai entendu des tirs qui venaient du Conseil. Immédiatement je suis retourné à la maison me changer en tenue de combat pour éventuellement défendre la caserne », a fait savoir le témoin.

Les canaris d’une dolotière comme cachette

Dans sa tenue de combat, Boukary Douamba ne pourra pas rejoindre la caserne. La raison ? « Arrivé au niveau du pont du barrage de Tanghin, il m’était difficile d’avancer ;  il y avait une foule qui s’échappait dans tous les sens.  A ce même endroit, des militaires aux bérets renversés étaient en train de mettre en place des dispositifs de sécurité. N’ayant pas mon arme sur moi et ne sachant pas trop ce qui se passait, j’ai changé de direction et je me suis caché dans les foyers d’une dolotière, sous des canaris », a expliqué l’officier retraité, précisant qu’il est resté dans sa cachette jusqu’au lendemain. Et lorsqu’il regagne son service le 16 octobre, il y apprend que le président a été assassiné. Le service d’écoute se poursuit, mais le commandant d’alors de la Gendarmerie, Ousséni Compaoré injoignable, Boukary Douamba prend la responsabilité de demander l’interruption des écoutes auprès de l’ONATEL qui en assurait la connexion de la table.

Dans l’entretemps, soit deux ou trois jours après le coup, le service d’écoute reçoit une visite de Jean-Pierre Palm accompagné d’un « Blanc ».   Avant de repartir, ce dernier conseille ceci à Palm : « il faut arrêter ce monsieur car il est dangereux », a relaté Boukary Douamba. Et quelques jours après cette visite, le chef du service de la table d’écoute a été arrêté par deux gendarmes qui le conduiront à l’escadron de la gendarmerie, précisément à la salle ”C”, où il sera placé en détention pendant un peu plus d’un mois.

20 ans à l’état-major particulier de la présidence

Libéré, Boukary Douamba dit avoir été affecté à Dori. Mais se retrouvera plutôt à Kombissiri où il a passé 4 ou 5 mois, avant d’être ramené à la gendarmerie, précisément au service de la table d’écoute, sur ordre de Jean-Pierre Palm, alors commandant de la gendarmerie. Puis, celui qui a terminé sa carrière adjudant-chef-major sera mis à la disposition de l’état-major particulier de la présidence pendant une vingtaine d’années.

Questions d’éclairage du président de la Chambre : « Comment fonctionnait la table d’écoute ? Relativement au coup d’Etat, qu’est-ce que vous écoutiez et qui écoutiez-vous ?  A ces questions, le témoin a révélé que des connexions étaient établies avec des services de l’ONATEL et que des numéros étaient remis par le commandement de la gendarmerie, puis transmis à la téléphonie. « On enregistrait les conversations et avant de les effacer, on les transcrivait puis on transmettait les fiches de transcription à la gendarmerie », a expliqué l’officier. Concernant l’identité des personnes sur écoute et la teneur de leurs conversations, Boukary Douamba dit n’avoir plus de souvenirs exacts mais assure que la plupart des interlocuteurs enregistrés parlaient de rendez-vous et que les agents du service avaient fini par reconnaitre des voix récurrentes dont celles de Blaise Compaoré et de Jean-Pierre Palm.

Suite à cette déposition du témoin, les différentes parties ont voulu en savoir davantage. D’abord le parquet militaire qui a voulu que l’homme à la barre revienne sur les conditions de son arrestation, notamment ce qui lui était reproché et les personnes qui ont ordonné cette arrestation. Boukary Douamba croit savoir que c’est Jean-Pierre Plam qui a ordonné sa mise en détention au cours de laquelle il n’avait accès à peu de personnes. « Quand je suis arrivé au Conseil, j’ai trouvé ensemble, Djibril Bassolé, Gaspar Somé et Jean-Pierre Palm. C’est ce dernier qui a ordonné que je sois conduit à la salle ”C ”».  Le témoin  a par ailleurs indiqué que durant cette détention, son compte bancaire a été bloqué.

« Gaspard et moi étions comme chien et chat »

Entre les questions de la partie civile et de la défense qui se se sont notamment attardées sur l’implication supposée de Jean-Pierre Palm dans son arrestation et les enregistrements faits par la table d’écoute, le président de la chambre a convoqué à la barre celui que l’on accuse d’avoir effacé des éléments de la table. Jean-Pierre Palm s’est défendu en faisant savoir qu’il n’y avait pas d’archives à faire disparaître de la table d’écoute et que les fiches de renseignements étaient conservés par l’autorité demanderesse, chose qu’a admise le témoin. Au sujet du « Blanc », l’accusé a expliqué qu’il s’agissait d’une mission officielle allée inspecter ce service. Quid de sa présence au Conseil aux côtés de Bassolé et Somé, l’accusé a fait savoir qu’il n’était pas à l’époque en odeur de sainteté avec Gaspard Somé qui avait assassiné son meilleur ami, Seydou Bancé. « Gaspard et moi étions depuis lors comme chien et chat, nous ne nous fréquentions pas du tout », s’est défendu celui qui est poursuivi pour complicité d’atteinte à la sûreté de l’Etat.

Pour Me Mathieu Somé de la défense, le témoin n’a rien à apporter à la  Chambre pour la manifestation de la vérité, et cela, après s’être assuré que Boukary Douamba ne dispose pas du contenu exact des enregistrements que ses souvenirs le trahissent sur l’identité des personnes mises alors sur écoute.

Passé la déposition de l’adjudant-chef-major, c’est le témoin Patrice Ouédraogo qui a été appelé à la barre.

Bernard Kaboré

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