Justice

15 octobre 1987 : « En sortant de chez moi, j’ai croisé un commando qui venait me tuer », Ousseni Compaoré

En qualité de témoin, Ousseni Compaoré, ex-commandant de la gendarmerie nationale a été appelé ce 24 novembre 2021 devant la chambre de première instance du tribunal militaire pour dire ce qu’il sait des évènements du 15 octobre 1987. Ce jour-là, dit-il, un commando qu’il a vu à son domicile a manqué de justesse de le tuer. Comme d’autres témoins, le fonctionnaire des Nations-Unies à la retraite croit savoir que le coup a minutieusement été préparé.

L’ex-commandant de la gendarmerie, Ousseni Compaoré

Après une journée de suspension pour des raisons sécuritaires, le procès de l’assassinat de Thomas Sankara et 12 de ses compagnons s’est poursuivi avec l’audition des témoins. Finies la déposition de Victor Zongo et les questions adressées à ce dernier, le Colonel Ousseni Compaoré a été appelé à la barre. Fonctionnaire à la retraite et ministre de la Sécurité dans un passé récent, il était le commandant de la gendarmerie nationale au moment des faits.  Avant d’assurer qu’il est encore « costaud » malgré ses 66 ans, le témoin a opté de livrer débout sa déposition.

A la question du juge de savoir si le témoin a des liens particuliers avec certains accusés, Ousseni Compaoré a fait savoir que Jean-Pierre Palm fut son cadet à l’Académie de Police et son adjoint au commandement de la gendarmerie. Gilbert Diendéré, lui, est originaire d’un village voisin au sien et qu’ils ont longtemps collaboré dans le cadre de la sécurité.

Selon le témoin, Jean-Pierre Palm (à d.), son adjoint, lui a dit être placé commandant adjoint de la gendarmerie par Blaise Compaoré (à g.)

« La chambre voudrait entendre de vous ce que vous savez des évènements du 15 octobre 1987 au cours desquels le capitaine Thomas Sankara et douze autres personnes ont été tués », a lancé le président à l’attention de l’ex-commandant de gendarmerie.

Avant de dérouler ce qui sait de ces évènements tragiques, l’officier à la retraite a demandé qu’il lui soit permis de livrer au préalable « des informations connexes ». Il a déclaré avoir été nommé commandant juste après le coup d’Etat du 4 août 1983, alors même qu’il  était hors du pays. Et de raconter au passage cette anecdote : « C’est au tarmac de l’aéroport que j’ai appris ma nomination. Un officier m’en a informé et m’a fait savoir que j’avais une audience avec le président ». Avec son adjoint, Jean-Pierre Palm, Ousseni Compaoré dit avoir eu des incidents de commandement. « Comme incident, il m’a dit une fois que je n’ai pas d’ordre à lui donner parce que c’est Blaise Compaoré qui l’a mis à son poste », a expliqué le témoin.

Blaise contre Sankara, un coup imparable

Les mois suivant sa nomination, Ousseni Compaoré dit avoir fait l’état sécuritaire du pays. De cet état, explique-t-il, il est ressorti que l’appareil sécuritaire était principalement tenu par le Centre national d’entrainement commando (CNEC) qui assurait la sécurité du président et qui bénéficiait de l’appui des autres corps lorsque le besoin se faisait sentir.

Dans cet environnement, toujours selon Ousseni Compaoré, amplifiait une rumeur selon laquelle Blaise Compaoré a fait le coup d’Etat d’aout 83 et que Sankara en a bénéficié. « A côté de cela, l’organisation des services de sécurité ne fonctionnait pas comme il se devait. La gendarmerie, par exemple, n’avait pas mieux à faire que du renseignement », a expliqué l’officier retraité.

Selon Ousséni Compaoré, Thomas Sankara était au courant du coup d’Etat qui se préparait contre lui

Qu’en-est-il de ce qui est arrivé au père de la Révolution et douze de ses compagnons ? « Ce n’était pas caché que Blaise Compaoré voulait perpétrer un coup contre Thomas Sankara. Ce dernier lui-même avait dit que s’il arrivait que Blaise veuille faire un coup contre lui, ce serait imparable », a déclaré le colonel de gendarmerie avant de dérouler son agenda du 15 octobre.

« Ce jour-là, j’étais à la maison quand il y a eu les coups de feu. Je n’ai pas entendu les tirs, c’est ma femme qui est revenu du centre-ville et m’en a informé. J’ai récupéré son véhicule pour me rendre à la gendarmerie. Quand je sortais de chez moi, j’ai vu un commando qui venait pour me tuer ». Arrivé à la gendarmerie, j’ai demandé la position du président. On m’a dit qu’il était au Conseil. J’ai tenté de joindre Gilbert Diendéré mais il était injoignable. Avec un gendarme, Laye Guiré, qui m’a rejoint dans mon bureau, j’ai appris que le Conseil a été attaqué. La gendarmerie a été mise en défense caserne. J’ai compris que le président était mort quand j’ai vu sa 206 noire conduite par le chauffeur de Blaise Compaoré  », a relaté Ousséni Compaoré. Par la suite, dit-il, « il y a eu la déclaration du Coup d’Etat, puis des  propos injurieux contre le président à la radio ainsi qu’une chasse à l’homme engagée ».

« Ma famille a été maltraitée »

Pour le témoin, « le coup a été bien préparé et la date du 15 octobre n’était qu’un dénouement ». Il en veut pour preuve le fait que des gens aient été tués presque au même moment que le président alors même qu’ils n’étaient pas au Conseil, comme c’est le cas du commandant de l’ETIR, Michel Koama.

Suite à sa déposition, le président de la chambre a voulu que le témoin revienne sur l’épisode de sa rencontre avec le commando à domicile et les circonstances de son arrestation quelques jours après les évènements. « Comment saviez-vous que le commando venait pour vous tuer, » A cette question, Ousseni Compaoré n’a pu s’empêcher un rire avant de renvoyer le juge au contexte d’alors : « Pensez-vous, monsieur le président, que ces gens-là venaient pour m’embrasser ou me dire bonjour ? Non évidemment ». Concernant son arrestation, le témoin a fait savoir que cela a eu lieu à Ouahigouya où il avait trouvé refuge avant d’être conduit à Ouagadougou, précisément dans une villa du Conseil où il a été détenu 8 à 9 mois durant avec Nongma Ernest Ouédraogo et Abdoul Salam Kaboré. « Hormis ma famille qui a été maltraité quand le commando est venu me manquer à la maison, j’ai été bien traité de mon arrestation jusqu’à ma détention », a assuré Ousseni Compaoré

« J’ai demandé à Blaise de résoudre le différend avec Sankara, il a souri »

Afin que le témoin livre plus de détails sur les faits, le parquet militaire a souhaité un flashback sur certaines de ses déclarations devant le juge d’instruction. C’est ainsi qu’Ousseni Compaoré a confirmé avoir rencontré Blaise Compaoré avant le 15 octobre et lui a demandé de résoudre politiquement le différend avec Sankara dans le but d’éviter une effusion de sang. « Il m’a simplement répondu, en souriant, qu’il a compris », a détaillé l’ex-commandant de la gendarmerie.

Pour l’officier à la retraite, la version selon laquelle Blaise Compaoré projetait d’arrêter Thomas Sankara et non de l’assassiner ne tient pas la route : « Pour ceux qui savaient ce que représentaient Sankara, il était impensable de l’arrêter. Il y aurait eu une réaction populaire. La seule option était de l’éliminer », a déclaré l’homme à la barre. Le général Diendéré pouvait-il être derrière cette élimination ? Répondant à cette question du ministère public, le témoin a indiqué que vu la hiérarchie militaire à l’époque et vu la personnalité de Diendéré, ce dernier, sans un mentor, ne pouvait prendre la responsabilité de tuer le président. Quid du complot de 20h selon lequel Thomas Sankara projetait d’arrêter Blaise Compaoré ? « Ce fameux plan de 20h devait même être celui de Blaise », croit savoir Ousséni Compaoré qui a précisé que le jour du coup, l’agenda du président a été modifié en mi-journée.

« C’était normal de mettre Jean-Pierre Palm sur écoute »

Au sujet de la table d’écoute de la gendarmerie, Ousséni Compaoré a fait savoir qu’il pouvait décider de la mise sur écoute toute personne sur qui pesaient des soupçons. Aussi, a-t-il ajouté, des agents du service d’écoute avaient une marge d’initiative. Et si Jean Pierre Palm, son adjoint était sur écoute, « c’était tout à fait normal d’autant plus qu’il parlait beaucoup et qu’il se montrait en faveur de Blaise Compaoré, lequel était suspecté de préparer un coup ».

Pour la partie civile, d’autres déclarations du témoin en instruction ont aussi toute leur importance. Par exemple, celles qui citent des pays étrangers comme soutiens au coup d’Etat. Par ses services de renseignement d’alors, Ousseni Compaoré dit avoir infiltré le sommet l’Etat ivoirien et en a appris qu’un complot était ourdi avec Blaise Compaoré. « Ce qui a été formel est qu’un certain nombre de chefs d’Etat, dont Houphouët Boigny, soutenaient le coup de Blaise Compaoré. Je crois d’ailleurs savoir que dans une ultime tentative de faire comprendre à Blaise Compaoré préparait un coup, Sankara le lui a dit clairement ».

Sur l’ingérence du président ivoirien, Ousseni Compaoré a fait savoir que l’intérêt d’Houphouët Boigny et l’opposant burkinabè Jean-Claude Kamboulé de voir la Révolution s’arrêter pouvait bien concorder avec l’ambition de Blaise Compaoré de prendre le pouvoir. Pour le témoin, la France a également joué un rôle, d’autant qu’à la date du 15 octobre des vols de Paris pour Ouaga ont été déconseillés.

Bernard Kaboré

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