Coup d’Etat de 1987: « Sankara m’a dit qu’il n’allait pas être le premier à arrêter Blaise Compaoré », Dénis Bicaba
Cumulativement ancien membre de l’Organisation militaire révolutionnaire (OMR) et du bureau politique du Conseil national de la Révolution (CNR), l’adjudant-chef à la retraite, Dénis Bicaba est témoin des évènements du 15 octobre 1987 dans lesquels Thomas Sankara et douze de ses compagnons ont trouvé la mort. C’est à ce titre qu’il a comparu ce 15 décembre 2021 devant la chambre de première instance du tribunal militaire. Quelques temps avant le coup d’Etat, Dénis Bicaba aurait été approché par Yé Arsène Bongnessan et Gabriel Tamini aux fins de participer au complot.
Après le coup d’Etat d’octobre 1987, l’adjudant-chef Dénis Bicaba a sollicité une retraite anticipée pour s’exiler aux Etats-Unis où il est resté pendant treize ans. Le militaire retraité explique que cet exil a été motivé par une volonté de sauver sa vie. Lorsqu’il raconte au passage cette anecdote devant la chambre de première instance du tribunal militaire, l’adjudant-chef à la retraite veut qu’un lien soit fait entre son exil et ce qu’il savait des évènements ayant conduit à la mort du président Sankara.
Sous la Révolution, Dénis Bicaba fut Cumulativement membre de l’Organisation militaire révolutionnaire (OMR) et du bureau politique du Conseil national de la Révolution (CNR). Sous-officier de l’armée de l’air, il était en poste à la base aérienne. Mais avant d’occuper ces fonctions, Dénis Bicaba a été, de juin 1986 à juillet 87, à Cuba, précisément à l’école de la jeunesse du parti communiste de ce pays. Lorsqu’il est rentré au pays, il s’est installé à Bobo Dioulasso d’où il apprend les divergences entre les leaders de la Révolution. Dénis Bicaba, selon son témoignage, s’est retrouvé dans l’équipe dirigeante de la Révolution suite à un appel à lui lancé par le président du CNR, Thomas Sankara.
« Mon beau m’a dit que Sankara allait être renversé »
Quelques jours avant le coup d’Etat, Dénis Bicaba aurait été approché par son beau-frère, Gabriel Tamini, de la part de Blaise Compaoré, l’invitant à prendre part à un complot qui était en préparation contre Sankara. « Je lui ai demandé quatre jours de réflexion. Et le lendemain, je me suis rendu à la résidence de Thomas Sankara lui porter l’information que j’avais reçu ; le président m’a dit de dire à Tamini (Ndlr : témoin dans le dossier) de venir le voir. Le quatrième jour, j’ai dit à mon beau que le président cherchait à le voir. Il m’a dit que Sankara allait être renversé que je sois d’accord ou pas; Depuis ce jours, il se cachait, avait même disparu de la circulation », a relaté le sous-officier à la retraite.
Le 9 octobre 1987, Dénis Bicaba dit s’être rendu à la présidence pour savoir où est-ce que le chef de l’Etat en était avec l’information du complot qu’il avait reçue. « Sankara m’a dit qu’il ne serait pas le premier à arrêter Blaise Compaoré et que nous avions à riposter si on entendait des coups de feu ». Outre Gabriel Tamini, Yé Arsène Bongnessan (Ndlr : également témoin dans ce dossier) aurait, lui aussi, mené une opération de charme auprès de l’adjudant Bicaba, se souvient ce dernier. « Il m’a proposé le poste de haut-commissaire et le grade de sous-lieutenant contre ma participation au coup d’Etat », a déclaré le sous-officier retraité.
« Mon exécution a été programmée trois fois »
Suite aux évènements du 15 octobre, le témoin dit avoir été arrêté et détenu pendant huit mois par la gendarmerie. Répondant aux questions du parquet militaire, Dénis Bicaba a révélé que son exécution a été programmée trois fois sans jamais aboutir. « Le commandant d’alors de la gendarmerie, Jean Pierre Palm lors d’une visite aux détenus me l’a dit en précisant que c’était fini et que mon exécution n’aurait plus lieu », a expliqué l’homme à la barre.
Pour l’absence de riposte à l’assaut, contrairement à la volonté de Thomas Sankara, le témoin a expliqué que cela s’est justifié par une absence de coordination entre les différentes unités qui devaient vite réagir, à savoir la gendarmerie, l’Escadron de transport et d’intervention rapide (ETIR) et le Bataillon d’intervention aéroportée (BIA).
A l’instar d’autres témoins, Dénis Bicaba, estime que le coup d’Etat a été préparé et que Blaise Compaoré en a été l’instigateur certain. Le témoin se souvient que courant septembre 1987, Blaise Compaoré s’est retrouvé en tête d’une minorité lors d’une réunion de l’OMR au cours de laquelle celui qui dirigera plus tard le Front populaire a même pleuré. « C’est certainement à partir de cette réunion qu’il a commencé à ficeler le complot », croit savoir l’ex-membre du secrétariat permanent du CNR. Autre élément qui conforte le témoin dans sa conviction : « Adama Tinto, un membre de la garde rapprochée de Blaise m’a rapporté que lors d’une visite de Thomas Sankara à Blaise, la garde était en position pour ouvrir le feu sur le président et que Blaise est sorti et à dit ‘’non, ce ne sera pas ici’’ ».
Dans sa déposition, Dénis Bicaba a fait noter que plusieurs officiers étaient à l’avance informés du complot ourdi et que Gilbert Diendéré, faisait partie du lot. Le témoin a précisé que l’ex-chef de corps adjoint du CNEC était dans le secret du coup d’Etat quatre jours avant son exécution. Une précision qui a fait réagir la défense du mis en cause. Me Olivier Yelkouni a voulu savoir comment et par qui Dénis Bicaba a reçu cette information. Et l’homme à la barre de révélé qu’il s’agit d’une information qui lui a été rapportée par un militaire du nom de Casimir Kaboré.
L’audience se poursuit le jeudi 16 décembre 2021 à la Salle des banquets de Ouaga 2000, toujours avec l’audition des témoins.
Bernard Kaboré