Sanctions de la CEDEAO contre le Mali: “Et si nous faisions fausse route”, Cheick Sidi Diarra
Cheick Sidi Diarra, ancien Secrétaire général adjoint des Nations unies, dans une tribune que vous lirez ci-dessous, donne son point de vue sur les sanctions de la CEDEAO contre le Mali. Il appelle les premières autorités de Bamako à renouer le dialogue avec cette institution régionale.
CE QUE JE PENSE: Et si nous faisions fausse route !
Depuis l’adoption des sanctions disproportionnées, illégitimes et inhumaines par la CEDEAO, nos autorités se sont installées dans une posture de défiance.
En attestent:
- les mobilisations populaires massives d’une Nation rétive face à l’injustice. Cela est dans l’ADN du Malien que de détester l’injustice, surtout quand il a le sentiment d”en être victime!
- la recherche effrénée de corridors alternatifs pour contourner la fermeture des frontières à nos biens et services;
- la recherche effrénée de nouveaux amis et partenaires politiques, y compris les sociétés civiles africaines et autres, face à ceux qui veulent nous subjuguer;
- la persistance de la défiance dans le discours politique tant au niveau des hautes sphères de l’État et du citoyen lambda;
- l’initiative visant à engager les institutions bancaires à faire montre patriotisme en honorant les engagements vis à vis de la Nation;
- l’assurance donnée à la Nation qu’un Plan de riposte permettrait de minimiser l’incidence des sanctions;
- enfin, l’absence de tout signe indicateur de contact formel avec la CEDEAO.
S’il est vrai que “tous les chemins mènent à Rome”, à mon avis, nous nous semblons avoir volontairement choisi le “chemin de croix”, celui de la victimisation et de la martyrisation.
Voilà pourquoi:
- la Nation qui s’est mobilisée contre l’injustice mérite d’être protégée contre les retombées négatives de sanctions si elles venaient à durer;
- la mise en place de nouveaux corridors ne se réalise pas en un jour.
Les corridors sont une composante d’une stratégie de long terme, pas le produit d’actions ponctuelles résultant de situations d’urgence.
Les corridors se mettent en place avant que les crises n’éclatent, pas quand on est acculé par la crise;
- les nouveaux amis extérieurs, qu’ils soient des États, des Organisations de la société civile, que l’on se fait en période de détresse sont souvent animés par des intentions de régler leur compte avec ceux qui sont devenus vos adversaires communs;
- la réussite du Plan de riposte économique suppose que les acteurs du secteur privé, les amis extérieurs collaborent sincèrement;
Pendant ce temps, les sanctions sont en cours depuis dix jours. Les incidences finiront par se faire ressentir. Ce n’est qu’une question de temps.
Nous n’avons aucune certitude que les démarches en cours produiront leurs effets à temps pour réduire ceux des sanctions.
Dès lors la question est celle de savoir si nous avons choisi la bonne voie ou si toute notre réaction est guidée par l’émotion ou le désir de maintenir un élan “patriotique”, quitte à en devenir des victimes ?
Je pars du postulat que la CEDEAO est “notre environnement naturel”. Quel que soit notre degré d’ire et de déception, nous Maliens n’avons aucune possibilité de déplacer la carte géographique du Mali ailleurs hors de la CEDEAO.
Nous n’avons aucune possibilité de changer la configuration sociologique du Mali. Le Sénoufo est au Mali et en Côte d’Ivoire. Le madingue est autant au Mali, en Guinée, au Sénégal, en Gambie, au Libéria, en Sierra Léone qu’au Burkina faso.
Nous Maliens nous avons près d’un million de nos compatriotes en Côte d’Ivoire.
Nous avons des communautés maliennes bien intégrées dans chacun des 14 autres pays de la CEDEAO.
Nous Maliens, nous recevons d’importants transferts de fonds de nos compatriotes expatriés en Côte d’Ivoire et dans le reste de la sous région.
Nous oublions assez souvent que leur entrée et séjour dans ces pays sont le résultat d’un accord de la CEDEAO sur la libre circulation des personnes et des biens.
Si le Mali sortait de la CEDEAO, nos compatriotes devront prendre le visa d’entrée et de séjour chaque fois qu’ils sortiront du Mali en direction d’un des pays membres.
Nos biens et services produits au Mali entrent présentement dans l’espace CEDEAO sans droits de douane. Nous devons nous préparer à les payer si nous décidons autrement.
Nous sommes tellement confortables dans cette situation que l’on en arrive à oublier qu’il a fallu des sacrifices, des concessions entre les membres riches de la communauté et ceux qui ne le sont pas, entre pays continentaux et pays maritimes et de transit pour arriver au niveau d’intégration actuel.
Soit dit en passant, la CEDEAO est l’institution d’intégration sous régionale la plus avancée en Afrique, hormis l’Afrique de l’Est, peut être !
Tout cela n’est pas un droit acquis. Ça s’acquiert par le respect des engagements communautaires. Ça ne se fait pas par la diversion, la fuite en avant et la politique de terre brûlée chaque fois qu’on est inconfortable face à certaines règles communautaires.
Le chemin le plus court pour lever nos craintes en tant que Maliens ce n’est pas le saut dans l’inconnu en cette période d’incertitudes.
Nous devons dialoguer avec notre communauté les yeux dans les yeux, sans complexes, sans préjugés pour aplanir les divergences.
Pour nous préparer au dialogue avec la Communauté, nous devons nous asseoir entre Maliens, tous animés que nous sommes par notre ardent désir de survie en tant que Nation, pour nous entendre sur un chronogramme consensuel et acceptable pour mettre fin au défi des sanctions.
Ce chemin est plus court, moins coûteux.
Il permet d’éviter d’attendre que les effets des sanctions soient durables et affectent négativement la haute estime dans laquelle les populations tiennent la transition !
C’est dire donc que le temps joue contre l’attentisme qui nous anime !
Un tel choix est politique. Il se fait au niveau le plus élevé de la représentation nationale, pas ailleurs.
Un adage de chez nous dit que “on choisit ses amis. On ne choisit pas sa famille”.
La CEDEAO est notre famille.
Nous ne pourrons jamais la quitter. Nous étions le centre de cette communauté au temps des grands empires de Ouagadou, du Mali. Nous le resterons encore aujourd’hui!
J’ai écrit ceci et je l’offre comme contribution au débat.
Cheick Sidi Diarra
Ancien Secrétaire général
Adjoint des Nations Unies