Enquête sur les migrations : les Burkinabè en Côte d’Ivoire transfèrent de moins en moins d’argent vers le pays natal
« Migration pour le d’développement et l’égalité » ou MIDEQ. Si cet acronyme ne vous dit rien, retenez qu’il s’agit d’un ambitieux projet lancé en 2020 qui regroupe un pool d’experts de 13 pays asiatiques, européens, africains et américains en six corridors de migration. Son objectif est de répondre au défi de développement durable en s’assurant que la migration sud-sud réduit les inégalités socioéconomiques. Deux ans après, l’équipe du Burkina qui a travaillé sur le corridor ivoiro-burkinabè a présenté le vendredi 4 mars 2022 les résultats d’une enquête qui révèle que les Burkinabè en Côte d’Ivoire transfèrent de moins en moins d’argent vers le pays natal.
En cherchant à « comprendre les relations entre les migrations et inégalités dans les pays du Sud », les porteurs du projet Migration pour le développement et l’égalité (MIDEQ) n’entendaient sans doute pas prêcher dans le désert. Car, à l’évidence, les mouvements migratoires ont des impacts dans les vies des migrants, celles de leurs familles aussi. Mieux, les spécialistes estiment que les problèmes liés à la mobilité migratoire, s’ils ne sont pas maîtrisés, peuvent entraver le développement socioéconomique.
Le MIDEQ, c’est un pool d’experts de 13 pays asiatiques, européens, africains et américains repartis en six couloirs de migration avec diverses thématiques d’étude abordées. Pas anodin d’avoir opté de s’intéresser au flux migratoire entre pays du Sud, puisque celui-ci constitue 80% des mouvements migratoire dans le monde selon les statistiques.
L’étude du corridor Burkina-Côte d’Ivoire, qui considère le Pays des Hommes intègres comme une zone de départ, a été scindée en deux volets : une enquête quantitative et une autre, qualitative. L’enquête quantitative, dont les résultats ont été présentés à l’Association des journalistes et communicateurs pour la population et le développement, a pris en compte trois axes d’investigation intitulés respectivement comme suit : « Migration, pauvreté et inégalité de revenus » ; « Inégalités dans l’enfance liées aux migrations » ; « Migration et transfert de fonds ».
Quatre régions et deux villes
L’enquête a concerné six zones à fort taux de migrations : les régions du Plateau central, du Centre-ouest, du Centre-est, du Sud-Ouest et les deux grandes villes du Burkina, à savoir Ouagadougou et Bobo-Dioulasso. Au passage, l’investigateur principal pays, Dr Hubert Bonayi Dabiré explique, que la région de l’est, aussi réputée être une zone de départs de Burkinabè vers la Côte d’Ivoire a été épargnée, car inaccessible aux enquêteurs du fait de l’insécurité qui y sévit. Au total, 3841 ménages ont été enquêtés, soit 1857 ménages avec expérience migratoire et 1984 sans expérience. 2730 émigrés en Côte d’Ivoire ont par ailleurs été recensés, 627 migrants de retour. Plusieurs thématiques sont couvertes : les aspirations migratoires des ménages, la situation des enfants dont les parents ont émigré, le transfert d’argent des migrants, leurs caractéristiques de retour au pays natal, pour ne citer que celles-là.
Pour le moins que l’on puisse dire les résultats sont saisissants. Pour ce qui est considéré comme effets négatifs des migrations, l’enquête révèle par exemple que les ménages avec expérience migratoire rencontrent le plus d’incertitude pour assurer les dépenses basiques, selon Marc Meda, responsable du work package 3 ou si vous préférez, l’axe de réflexion « Migration, pauvreté et inégalité de revenus ». En outre, ajoute-t-il, les ménages ayant connu l’expérience migratoire sont les plus sensibles aux incertitudes environnementales et alimentaires. « Le manque de nourriture ou la famine affecte plus les ménages migrants (30%) que les ménages non migrants (26% », illustre Marc Meda. En matière d’hygiène et d’assainissement l’étude révèle que 46% des ménages sans expérience migratoire possèdent des latrines avec dalles, les plus couramment utilisés, contre 36% chez les ménages sans expérience.
Transférer l’agent pour soigner et éduquer
Concernant le flux des ressources (finance, commerce et connaissance), les chiffres sont tout aussi parlants. En effet, plus de la moitié des émigrés (52%) ne transfèrent pas de l’argent à leurs familles dans le pays d’origine. La minorité de personnes qui transfèrent de l’argent à leurs proches le font pour des soins médicaux et l’éducation, selon Dr Alexandra Tapsoba, responsable du work package 6 « Migration et transfert de fonds ».
Mais l’émigration vers la Lagune Ebrié n’a pas que des effets négatifs. Selon les enquêteurs du couloir Burkina-Côte d’Ivoire, ce flux migratoire est aussi bénéfique pour les émigrés, quand bien même ces bénéfices sont moindres. A titre d’illustration, 33% des émigrés enquêtés affirment avoir pu améliorer les conditions de vie de leurs ménages grace à des compétences acquises en pays d’accueil.
En attendant le bouclage de l’enquête qualitative, l’équipe des chercheurs est parvenue à une conclusion : la Côte d’ivoire ne constitue plus cet eldorado d’antan pour les émigrés burkinabè. Malgré l’absence de chiffres officiels sur les ressortissants burkinabè dans ce pays autre fois première destination, Dr Hubert Bonayi Dabiré veut croire, à partir des données du projet MIDEQ, que les regards sont de plus en plus tournés vers d’autres pays quand les candidats à l’émigration ne sont pas simplement dissuadés par bien d’autres facteurs pour finalement renoncer au voyage.
Rappelons que la présente enquête s’est dérouler du 20 octobre au 26 novembre 2020, soit un peu plus d’un mois. Elle a été réalisée par une équipe de huit chercheurs de l’Institut supérieur des sciences de la population de l’Université de Joseph Ki-Zerbo, avec le partenariat de la United Kingdom research innovation (UKRI) et le Global challenges research fund (GCRF). Tout en saluant ce « fructueaux » partenariat, le directeur général de l’ISSP, Pr Abdramane Soura, nourrit l’espoir que « ces résultats pourront aider à la prise de décision en matière de politique migratoire ».
Pour sa part, Boureima Sanga, responsable de l’AJC-PD, tout comme d’autres journalistes participants, estime que les données de l’enquête serviront beaucoup à un traitement mieux approfondi des sujets relatifs à la population et au développement.
Bernard Kaboré