Assassinat Thomas Sankara : « Sa famille ne réclame que le franc symbolique comme indemnisation », Me Bénéwendé Sankara
Après deux semaines de suspension, le procès sur l’assassinat de Thomas Sankara et douze de ses compagnons a repris ce 25 avril 2022 à la Salle des banquets de Ouaga 2000 avec les débats sur les intérêts civils. En attendant le verdict prévu le 10 mai, les parties civiles ne se sont pas accordées sur leurs prétentions. Alors que les ayants droits de la famille Sankara ont, par la voix de leurs conseils, plaidé la restitution des objets appartenant à l’ex-président et le paiement d’un franc symbolique à titre de préjudice moral, d’autres victimes réclament des indemnisations pécuniaires tandis que l’Agent judiciaire de l’Etat qui a fait valoir sa constitution en tant que partie civile a souhaité qu’un montant d’un peu plus de 1,145 milliard soit reversé à l’Etat par les condamnés au titre des dommages.
A se fier à la mobilisation de l’assistance, on croirait que cette étape du procès qu’est celle des débats sur les intérêts civils ne représente pas grand-chose. Certainement pas pour le grand public, en témoigne une salle à moitié vide. Mais pour les ayants droits des victimes du 15 octobre 1987, c’est une partie tout aussi importante que le jugement au pénal. Ils étaient là et en nombre.
Dès la reprise de l’audience, la parole a d’abord été donné à la partie civile, précisément aux avocats de la famille Sankara dont le porte-voix n’est personne d’autre que Me Bénéwendé Stanislas Sankara, celui-là-même qui aura assisté aux multiples rebondissements du dossier depuis la première plainte en 1997.
Dans ses observations, Me Sankara a fait noter que le combat de la famille du défunt président et les avocats constitués à ses côtés a toujours été fondé sur la manifestation de la vérité. « A ce titre, nous ne réclamons rien », a déclaré le conseil. Pas surprenant, d’autant plus qu’à la faveur d’une indemnisation des victimes de violence politique au début des années 2000, la famille du Père de la Révolution avait déjà décliné l’offre d’une commission mise alors en place à l’effet de réparer les torts.
Seulement un franc symbolique pour la famille Sankara
Ce que la famille Sankara réclame, c’est plutôt le paiement d’un franc symbolique « pour le préjudice moral subi ». Même réclamation que les avocats constitués et inscrits au barreau burkinabè, à savoir Me Stanislas Sankara, Me Prosper Farama, Me Julien Lologo, Me Ambroise Farama et Me Désiré Sébego. Au-delà de la réclamation symbolique, ces avocats souhaitent que solidairement, les condamnées et l’Etat burkinabè, considéré comme civilement responsable, paient des frais et charges auxquels ont été exposés les avocats venus de barreaux étrangers, à savoir Me Anta Guissé, Ferdinand Nzépa et Olivier Baldolo. Des frais qui s’évaluent à 50 millions de FCFA, selon Me Bénéwendé Sankara.
L’autre souhait exprimé par les avocats et qui est très important pour les ayants droits de feu Thomas Sankara, c’est la restitution d’objets appartenant à l’ancien chef de l’Etat. Me Sankara a cité, entre autres, un magnétoscope, des effets d’habillement, un pistolet, une bague d’alliance, un album photo. Par ailleurs, il est attendu de l’Etat, de délivrer, via ses services de santé, un certificat de décès de Thomas Sankara conforme aux faits de l’assassinat, a plaidé l’avocat porte-voix de la famille. « Mais que faire au cas où les objets à restituer n’existent plus ? » A cette question du président de la chambre de jugement, Urbain Méda, Me Sankara a rappelé que les objets évoqués ont été enlevés par les services de l’Etat et que la partie demanderesse, devant l’incapacité de retrouver ces objets, avisera ultérieurement.
L’argument de forclusion qui n’arrange pas des ayants droits
Contrairement à la famille Sankara, les autres ayants droits souhaitent une indemnisation à la hauteur du préjudice subi. Les requêtes de dédommagement sont adressées à l’Agent judiciaire de l’Etat (AJE) et les condamnés. Mais le hic, c’est la constitution même des autres ayants droits en tant que partie civile qui est jugée irrecevable, et par l’AJE, et par la défense. Dans ses écritures, l’AJE a brandi l’argument de forclusion, avançant le début de l’instruction du dossier sans la constitution de ces familles de victimes, hormis celle de Thomas Sankara. Sauf que le Code de justice militaire prévoit que « c’est le parquet qui cite le prévenu à comparaitre », et que « la constitution de partie civile peut se faire soit avant, soit pendant l’audience », suivant le Code de procédure pénale qu’a évoqué Me Prosper Farama, conseil des ayants droits de cinq compagnons d’infortune de Thomas Sankara, dont Gouem Abdoulaye et Sawadogo Noufou.
Pour le rejet de la constitution de certains ayants droits par la défense, l’argument soulevé est qu’une indemnisation a déjà été perçue en 2002 au profit de ces familles de victimes sur le fondement d’un décret de juin 2001 portant création du fonds d’indemnisation des victimes de violence en politique. Au total, 430 millions de FCFA auraient été reversés aux victimes qui le souhaitaient. Me Prosper Farama a dit attendre des preuves de cette indemnisation, attaquant ainsi l’inexistence d’une convention de transaction. Et Me Séraphin Somé, un autre avocat de la partie civile d’enfoncer le clou en ces termes : « c’est le comble de l’indécence ; on a profité de la situation de misère et d’indigence de nos clients en leur disant ’’ maintenant qu’on vous voit miséreux, venez prendre quelque chose pour calmer votre misère »
L’indemnisation de 2002 en question
Si la constitution de certains ayants droits est contestée, il n’en est pas moins pour l’Etat lui-même que la défense et la partie civile citent pour civilement responsable des évènements tragiques au Conseil de l’Entente le 15 octobre 87. Au même titre que les accusés, l’AJE a décliné la responsabilité de l’Etat, non sans pointer du doigt des infractions personnelles détachables des services de leurs auteurs. « Mais sauf que l’Etat a adoubé la faute après sa commission en apportant du soutien aux fautifs », a relevé Me Prosper Farama avant que Me Séraphin Somé ne conclue : « si l’Etat ne se sentait pas civilement responsable, il n’aurait pas pris l’initiative d’un décret d’indemnisation en 2002».
Comme pour départager en attendant que les juges tranchent, le parquet militaire a ressuscité une affaire, celle dite Lompo Banhanlo Alphonse, en date de 2015, qui vaut jurisprudence de la présente responsabilité de l’Etat. Et de rappeler que dans cette affaire de meurtre d’une jeune dame, Bernadette Kiendrébeogo, par son copain militaire, l’accusé a été condamné à mort et l’Etat à l’indemnisation des ayants droits à hauteur de 30 millions car civilement responsable. « L’Etat s’est acquitté parce qu’il a armé ce fantassin », a argué le parquetier. « Non, l’Etat n’était pas associé à cette affaire privée, il a été mis devant le fait accompli et n’avait qu’a exécuter la décision de justice », s’est défendu l’AJE, s’indignant que « condamner ici l’Etat pour civilement responsable, c’est encourager la criminalité ; on ne forme pas un militaire pour qu’il fasse un coup d’Etat ».
L’agent judiciaire de l’Etat souhaite que la faute soit imputée aux condamnés. Qu’ils paient, solidairement, à titre de dommage, la somme d’un peu plus de 1,145 milliard de F CFA. La chambre de première instance du tribunal militaire de Ouagadougou rendra son délibéré le 10 mai prochain.
Bernard Kaboré