Pain à base de céréales locales : « En Afrique, les gens ont tendance à croire que ce qui est meilleur vient d’ailleurs », chef André Bayala
En décembre 2019, le groupe bruxellois New School avait entonné, lors d’une manifestation des gilets jaunes, un freestyle dans lequel il disait : « Quand la France a un rhume, la Belgique éternue ». Une manière de dire que ce qui se passe dans un pays peut avoir des répercussions dans un autre. Aujourd’hui, le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est l’invasion de l’Ukraine par la Russie, depuis le 24 février 2022, qui fait tousser le monde entier avec, entre autres, la hausse des prix des hydrocarbures et la pénurie de blé dont 40% est produit par ces deux pays qui ne peuvent plus exporter à cause des sanctions économiques contre la Russie et le blocus des moyens d’exportation pour l’Ukraine. Que faire pour surmonter cette situation ? Au Burkina Faso, l’artisan chocolatier chef André Bayala a saisi cette occasion pour montrer aux Burkinabè qu’il est possible de fabriquer du pain à partir des farines locales. C’est dans ce cadre qu’il nous a accordé un entretien le mardi 5 juillet 2022 dans ses locaux, sis à Ouaga 2000.
Lors de la création de votre entreprise, est-ce qu’il y avait une autre structure comme la vôtre au Burkina Faso ?
Dans le temps, il n’y avait pas de structure qui produisait du chocolat et encore moins du cacao. Et même s’il y avait des plans de cacaoyer, on ne savait pas à quoi ça servait. Donc je suis arrivé dans un milieu où ce produit était totalement méconnu.
Vous avez fait la Côte d’Ivoire, c’est là-bas certainement que vous avez appris à faire du chocolat. Mais qu’est-ce qui vous a motivé à revenir au pays ?
J’ai trouvé qu’il y avait énormément de possibilités car à l’époque, les métiers de bouche peinaient à prendre de l’envol. Voilà pourquoi j’ai décidé de rentrer après ma formation à Genève (Suisse). Et étant donné que le Burkina est voisin de la Côte-d’Ivoire et du Ghana, je me suis dit qu’il serait facile pour moi de me fournir en matières premières.
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Revenons sur votre formation à Genève. Qu’est-ce que vous avez appris concrètement et avec quel diplôme êtes-vous sorti ?
Nous avons appris à fabriquer le chocolat depuis la transformation de la fève de cacao jusqu’au produit fini. Je suis donc sorti avec un diplôme de chef parce que cette transformation de la fève de cacao est en voie de disparition. De nos jours, ce sont plutôt les industriels qui fabriquent le chocolat en Europe et non des particuliers qu’on appelle théobromeurs, c’est-à-dire des fabricants de la nourriture des dieux. En effet, au premier siècle de la découverte du chocolat, on disait que lorsqu’on le mangeait on était en contact avec les dieux.
Mais que faisiez-vous avant votre formation en chocolaterie ?
J’ai été formé sur le tas parce qu’à l’époque il n’ y avait pas de structure, ni au Burkina, ni en Côte d’Ivoire, qui pouvait former des apprenants en la matière et leur délivrer des diplômes reconnus. Alors je me suis d’abord formé sur le tas pour me familiariser avec le métier avant de passer à la spécialisation. Ainsi, j’ai étudié la chocolaterie avant de me spécialiser comme Theobromeur. En pâtisserie, je me suis spécialisé dans le travail du sucre que je transforme en objets d’art.
Combien de temps a durée la formation ?
J’ai été formé pendant 5 ans sur le tas mais dans les spécialisations j’ai fait entre 2 et 6 mois.
En quelle année êtes-vous revenu au Burkina Faso et est-ce que les fruits ont tenu la promesse des fleurs ?
C’est en 2009 que je suis rentré définitivement de l’aventure. J’ai fini ma formation en 2015 et en 2016 j’ai décidé de m’établir au Burkina et de créer mon entreprise après avoir travaillé dans certaines structures de la place. Pendant une année, j’ai fait de la prospection, ensuite j’ai créé une société virtuelle avant de passer à la concrétisation du projet.
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Avez-vous eu des difficultés dans la mobilisation des ressources ou bien la cagnotte était déjà là ?
Non, je n’ai pas commencé avec une cagnotte mais avec des fonds propres parce qu’un tel projet, personne ne voulait y mettre de l’argent, y compris les banquiers. D’ailleurs c’était mes premiers partenaires mais aucune institution financière n’a osé investir dans ce projet, estimant qu’il n’était pas viable dans un pays comme le Burkina Faso. En son temps, on disait que le chocolat était un produit de luxe et le pouvoir d’achat des Burkinabè ne leur permettait pas de se l’acheter.
Finalement, trois mois après le lancement de l’entreprise Chez chef André, on a commencé à prendre de l’envol. C’est à ce moment-là que le public a commencé à parler de nous. Les clients ont eu le temps de tester nos produits et les uns et les autres ont constaté que la structure grandissait de jour en jour.
Aujourd’hui Chef André compte combien d’employés ?
A Ouaga 2000 nous sommes à 32 personnes et à samandin nous sommes à 17 personnes.
Qu’en est-il de Bobo ?
A Bobo nous sommes en voie d’installation. Nous sommes en train de créer le centre de formation, un premier champ de suivi du cacao qui va bientôt naître.
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Un champ de suivi du cacao. De quoi s’agit-il exactement ?
Nous voulons créer un champ qui réponde aux normes de plantation du cacao au Burkina.
Vous êtes sûr que ça peut marcher ?
Oui parce que nous avons déjà effectué des tests. J’ai planté des pieds de cacaoyer dans les différents secteurs de Bobo Dioulasso et ces plants de cacaoyer ont bien donné. Même chose à Ouaga. La floraison a commencé à donner et nous sommes sûr que d’ici l’année prochaine, on aura les premières cabosses à Ouaga.
Et qu’en est-il du Centre de formation des métiers de bouche ? Est-il déjà fonctionnel ?
Oui il est fonctionnel. Il est situé à Ouagadougou, vers l’université Thomas Sankara. Là-bas, nous avons eu à développer la fabrication du chocolat. Nous y avons aussi créé ce nouveau pain et actuellement nous sommes en train de développer de nouvelles recettes de pâtisserie. Dans cet établissement, nous enseignons comment faire la cuisine, la pâtisserie, le chocolat, etc.
Vous avez environ combien d’élèves?
Nous formons actuellement vingt personnes
La formation dure combien de temps?
Il faut deux ans pour être un professionnel.
On sort avec quel diplôme?
Le CQP (Certificat de qualification professionnelle) ou le CQB (Certificat de qualification de base).
Revenons maintenant à l’actualité. On sait que l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022 à occasionné une pénurie de blé qu’on utilise dans la fabrication du pain. Depuis, vous avez montré aux burkinabè qu’on peut faire du pain à partir de farine locale. Est-ce que vous le faisiez déjà avant ou c’est à cause de cette situation que vous avez commencé à diversifier les produits du pain ?
Moi je suis dans la dynamique de la transformation de tout ce qui est local parce qu’il faut donner de la valeur à ce qu’on a. C’est conformément à cette même vision que je voulais donner une identité à mon chocolat. Chef André ne pouvait pas par exemple fabriquer du chocolat avec des produits venant de l’Europe. Et à mon avis, c’est en faisant la promotion de nos produits que nous allons tous tirer un avantage, que ce soit les producteurs, les transformateurs et même les clients.
C’est pour cette raison que j’avais déjà commencé à proposer du pain préparé avec de la farine locale. Malheureusement, en Afrique, les gens ont tendance à croire que ce qui est meilleur vient d’ailleurs. Du coup, il y avait très peu de personnes qui s’y intéressait. En conclusion, au départ, ce produit n’a pas eu beaucoup de succès. Et maintenant que le problème de l’Ukraine s’est posé, je me suis dit que les Burkinabè attendaient ma voix. Et comme on le sait, l’Afrique dépend de ces deux pays. 90% de notre blé vient de la Russie. Même si la guerre prend fin aujourd’hui nous allons souffrir des conséquences pendant deux ans au moins. D’où l’idée de relancer ce pain fabriqué à partir de farine locale. C’est alors que j’ai commencé réellement à exploiter les fruits de l’INERA (Institut de l’environnement et de recherches agricoles) à savoir les céréales génétiquement modifiées pour pouvoir développer le gluten et passer à la planification. Il faut donc souligner que ce n’est pas tous les types de céréales qui fabriquent le pain.
Je ne peux donc pas aller acheter une tine au marché pour fabriquer mon pain ?
Non pas du tout. Il y a une variété planifiable que l’INERA a développé pour cela. Pour la reconnaître, c’est assez simple. Au delà de son nom, on peut faire la différence au niveau des ménagères. En effet, lorsqu’elles commencent à préparer par exemple le tô, on a l’impression qu’il est élastique. Tout de suite, elles vont que ce n’est pas bon mais c’est simplement parce que cette variété est faite pour le pain.
Mais quelles sont les céréales que vous utilisez actuellement ?
En ce moment, nous travaillons avec le maïs, le petit mil, le sorgho blanc, le sorgho rouge et le manioc. Nous sommes en train de tester la patate douce et le fonio pour voir ce que ça peut donner.
C’est 100% de céréale locale ou c’est mélangé avec la farine de blé?
A 100%, c’est du pain sans gluten que nous faisons. Il est destiné à ceux qui ont des problèmes de glycémie, d’hypertension ou d’autres pathologies en lien avec le gluten. Et pour répondre à votre question, il y a un certain pourcentage que nous apportons aux céréales locales pour pouvoir gérer le problème de gluten. On est donc passé de 80% de farine de blé à moins de 80%. C’est plutôt la farine locale qui a pris le dessus. Je ne peux pas rentrer dans les détails parce qu’il faut préserver le secret de la fabrication pour permettre à ceux qui veulent apprendre à faire ce pain de le faire dans des conditions adéquates. J’ai un processus qui est complètement différent de ce que nous avons l’habitude de voir sur le marché. C’est un procédé qui est long et s’il n’est pas respecté, il ne va pas donner les résultats attendus.
Pensez-vous que ce pain à base de farine locale a de l’avenir?
Ce que je peux dire, c’est qu’il y a des boulangers qui se sont manifestés pour se former non seulement dans la fabrication de la farine mais aussi dans la transformation de cette farine. Ce pain a de l’avenir parce qu’il est dit pain complet. Cela signifie que les céréales sont broyées avec tous leurs sons qui constituent l’élément nutritif de la farine. Ce pain dit complet rentre dans le traitement de plusieurs maladies comme la constipation, la colopathie, etc. En mangeant cet aliment, les personnes qui en sont atteintes peuvent trouver un soulagement.
Sur le plan nutritif, ce pain joue son rôle. C’est vrai qu’il est cher mais si on le prend, on ne peut manger que trois tranches dans un pain de 350g. On peut le consommer en quatre jours, contrairement au blé blanc qu’on peut manger en une fois, seul, à 180g. C’est le premier constat que j’ai pu faire. Et auprès des clients, j’ai fait un sondage et je me suis rendu compte que les gens achètent ce pain parce qu’ils trouvent qu’il a une saveur qui attire la clientèle.
Justement, quel est le profil de cette clientèle?
A ma grande surprise, même le Burkinabè lambda était là. Je vais vous dire qu’il n’est pas rare de voir un mécanicien qui gare son vélo et qui rentre pour acheter ce pain. C’est ce qui m’a amené à comprendre que les gens étaient vraiment dans le besoin. Ce n’était plus une question d’argent pour du blé mais une question de blé pour sa santé.
Vous avez dit tantôt qu’il y a des boulangers qui vous ont approché, vous n’avez pas peur qu’ils vous contrebalancent surtout que ceux-ci sont dans la fabrication industrielle?
Je pense justement que c’est le côté industriel qui va changer les choses étant donné qu’il a la production de masse contrairement à l’artisanal qui cherche la qualité. Mais dans tous les cas, je pense que si nous nous tournons vers la farine locale, que ce soit l’un ou l’autre, si nous devons travailler sur les recettes que j’ai vraiment mises en place, chacun va tirer son épingle du jeu. Que ce soit la qualité ou la quantité, si c’est vraiment la farine locale et au pourcentage que j’ai donné, il n’y aura pas de perte. Et puis d’ailleurs, moi j’encourage la concurrence. Dans une société où il n’y a pas de concurrence, on est paralysé, on ne bouge pas.
En termes de quantité, pensez-vous que vous produisez suffisamment aujourd’hui?
Actuellement, nous sommes à 700 pains jour et nous sommes arrivés au stade où on a réussi à imposer au moins deux pains par personne. On ne pouvait pas aller au delà de ça. Maintenant, si les boulangers s’intéressent à ce pain et décident de le vulgariser, ils ont ma bénédiction.
Est-ce que certaines institutions de la République (Premier ministère par exemple) ou les ambassades se ravitaillent auprès de vous?
Déjà, j’ai reçu la visite du ministre en charge du Commerce qui, dès qu’il en a entendu parler, était là 24 heures après. Il est parti avec une grande quantité et nous avons eu un retour. Des institutions se sont aussi annoncées, je préfère taire les noms. Au niveau mondial, il y a eu des retours de certains organismes qui nous ont encouragé pour cette initiative.
Est-ce que vos produits, notamment le chocolat, arrivent à quitter le Burkina?
Tout à fait. Notre chocolat voyage beaucoup mais comme je le dis, je ne suis pas encore dans l’exportation parce que je n’arrive déjà pas à nourrir tous les Burkinabè. Il faut dire qu’à Ouaga, nous sommes à une demi tonne par mois de fabrication du chocolat et je n’ai pas la capacité d’aller au delà de ça. De plus, ma vision est de fabriquer des produits de qualité et non en quantité. Dès l’instant où je vais passer à l’industriel, je pense que je vais perdre une grande partie de mes clients parce la qualité prendra un coup.
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Un mot à l’endroit de la population…
Mon message s’adresse d’abord aux boulangers. Comme on le dit, la fabrication du pain est liée aux mœurs d’une culture. Je m’explique. Si vous prenez par exemple le pain russe, ici au Burkina on ne peut pas le manger parce qu’il est rustre. Et quand je reviens à la France, elle a développé des pains dits de tradition. Cela signifie qu’ils sont fabriqués sur une période de 72h contrairement à nos baguettes qui, elles aussi, sont venues de la tradition française mais que les Français ne mangent plus parce qu’elles n’avaient pas été fabriquées pour être consommées sur le long terme puisqu’elles développaient des maladies. Les Français ont développé un autre type de pain.
Et pour moi, nous aussi, nous pouvons le faire. Nous pouvons mettre en place une recette qui sied à notre culture et à notre alimentation quotidienne. Je pense que ce pain que nous venons de mettre sur le marché répond à ce besoin. Je veux donc interpeler les boulangers à mettre à jour leur façon de fabriquer le pain et de rentrer plutôt dans le pain traditionnel, notamment la fabrication à base de levain. Les professionnels savent de quoi je parle. La baguette que nous consommons est née en 1914 et aujourd’hui l’alimentation a changé. Pour cela, nos manières de faire doivent changer. Je les invite donc à m’approcher et de mettre à leur disposition des techniques de nouvelles fabrications du pain.
Je veux interpeler également la population burkinabè parce que moi je suis un professionnel du pain et je sais ce que ce produit représente dans l’alimentation d’une personne. Qu’ils se réfèrent donc à nous pour prendre conseil et comprendre comment cet aliment se mange car c’est parce qu’il est mal consommé qu’il entraîne souvent des problèmes.
Interview réalisée par
Zalissa Soré