Insécurité à Madjoari: quatre jours sur les traces des déplacés
Le département de Madjaori (colline des forgerons en langue française), situé dans la province de la Kompienga, avec son paysage de verdure, était autrefois un havre de paix. Touché par la pieuvre terroriste qui veut étendre ses tentacules sur tout le pays, il est devenu aujourd’hui un enfer. Enlèvements, exécutions, vols de bétail, intimidations, sommations de déguerpir… sont en effet, le sport favori de ces «hommes armés non identifiés» qui ont juré par tous les …démons de semer la mort et la désolation. «SOS Madjoari se vide», alertaient ses ressortissants à Ouaga le 3 juillet 2021 lors de la marche de l’Opposition politique. Hélas ! Madjoari a plié et a même «courbé l’échine» face à la vermine terroriste. Madjoari s’est vidé et sa population se retrouve à Pama, à Nadiagou, à Kompienga… à Koalou au Burkina Faso et jusqu’à Porga au Bénin voisin. Seul Tambarga est encore sur place, la cause : c’est le quartier jouxtant le détachement militaire. Du 16 au 19 juillet 2021, à Pama puis à Nadiagou, ces «rescapés» de la furie meurtrière nous ont conté leur calvaire.
L’axe Fada-Pama est distant de 105 kilomètres. Mais, insécurité oblige, il vous sera préférable de vous farcir un détour de près de 300 kilomètres. Ainsi avons-nous été obligé de passer par Tenkodogo au Burkina, Dapaong, Ponio au Togo avant de redescendre à Kompienga et à Nadiagou pour y arriver.
Heureusement que par ces temps d’hivernage, dame Nature nous gratifie d’un paysage de forêt et de collines s’étendant à perte de vue. Dans les champs, quelques silhouettes apparaissent. C’est un temps de rêve qui règne ce jour sur cette partie de l’est du Burkina. Mais derrière cette apparence bucolique, dans les bourgades se cache la détresse des personnes déplacées internes du département de Madjoari.
Après une nuit à Dapaong, le samedi 17 juillet, « le cheval blanc », comme l’appelle son conducteur, n’a pas mis de temps pour parcourir la centaine de kilomètres qui sépare Pama de cette ville togolaise.Sur les routes, c’est un ballet incessant de véhicules de transport en commun, de marchandises, de tricycles et de motocyclistes sans compter les « aurevoir la France » en provenance des ports de Cotonou et de Lomé. Il y a également ces déplacés jetés sur les routes pour une destination inconnue, les uns dans des charrettes, les autres dans des tricycles ou sur des motos. Les stigmates des attaques terroristes qui témoignent de la dangerosité de la zone ne manquent pas non plus. Difficile en effet de ne pas apercevoir, à la sortie de Nadiagou, ce bâtiment blanc au pied d’une colline présentant des impacts de balles partout et ses portes défoncées. Ses faux plafonds ont été léchés par des flammes. Plus aucune âme n’y vit, il y a de cela plus de deux ans. « C’est le poste de l’Office national de la sécurité routière que les terroristes ont attaqué (Ndlr : l’attaque a eu lieu le samedi 16 juin 2018 et un policier a été tué) », indique notre guide, qui n’est autre que le deuxième adjoint au maire de la commune de Madjoari, Diérigou Koaré.
S’éloigner le plus possible du danger
Toujours sur cette artère qui mène à Pama, le spectacle désolant qu’offrent ces âmes errantes trimbalant cliques et claques ne peut laisser personne indifférent. Baguia Konboargou, d’une quarantaine d’années, est vêtu d’un survêtement « près du corps ». Il se « cherche » avec son épouse et leur dernier enfant, un garçonnet d’à peine trois ans. Il revient de Nadiagou où il était allé chercher le reste de ses effets. Sur sa Sanili, outre sa petite famille, il transporte un sac de mil, deux seaux, un mortier et un pilon. « Nous avons fui Madjoari pour aller à Pama. Les terroristes ont égorgé trois personnes chez nous et nous ont lancé un ultimatum pour quitter le village », explique ce père de cinq enfants dont quatre l’attendent à Pama. Propos tenus en gulmacéma que le maire adjoint ne s’est pas fait prier pour traduire.
Après cette rencontre fortuite, nous voici à la brigade de gendarmerie de Pama. Des barrages faits de troncs d’arbres, de tonneaux remplis de sable et de gravats obligent les passants à marquer un arrêt. De part et d’autre, des hommes en faction veillent au grain. La vigilance est de mise. Pas un seul voyageur ne passe sans avoir montré patte blanche. En effet, cette brigade a subi une attaque des hommes de l’ombre dans la nuit du 27 au 28 août 2018. Si celle-ci n’a pas fait de victime et si les assaillants ont été repoussés, c’est grâce au renfort envoyé qui a payé un lourd tribut. Le véhicule qui a quitté Fada a sauté, en effet sur une mine artisanale en cours de route. Bilan : sept soldats tués. Depuis ces événements, dans ce barrage sécuritaire, les pandores filtrent les entrées et les sorties de Pama au mieux qu’ils peuvent. A force d’y aller et d’en revenir, mes compagnons de route, eux, ne sont plus à présenter. Ils sont bien connus, donc pas de « tracasserie de formalité ». Mais pour les autres passagers, la manœuvre est plus que jamais nécessaire avec les exactions répétées des hordes terroristes : enlèvements, exécutions, attaques. Autant de scènes d’horreur qui ont déplacé des milliers de natifs de Madjoari à Pama, à Kompienga, à Nadiagou, à Koalou et mène à Porga au Bénin. On en compterait plus de 12 600 au total, selon les autorités communales.
« C’est le voisinage qui nous aide »
En cette matinée du 17 juillet, un vent frais souffle sur Pama suite à une pluie avortée. Dans un abri fait de bric et de broc dans le secteur 4 de Pama, une femme se tient debout. Yentema Saga, la cinquantaine, bras gauche sur la poitrine et l’autre soutenant sa tête, est toute songeuse. Derrière elle, une porte métallique dégradée balance au gré du vent. De Tanli, son village natal, elle et sa mère ont fui à Pama « pour se sauver le nez », comme on le dit. « Je ne me porte pas bien et je n’ai personne à côté. Mon époux n’est plus de ce monde et mes enfants sont actuellement bloqués au Bénin », confie-t-elle.
A l’intérieur de la maison en banco de deux pièces, aucun signe de confort. Sa mère, allongée sur une vieille natte sous une moustiquaire en lambeaux et couverte de vieux pagnes tout aussi en lambeaux, frissonne de tout son corps et râle. Elle est encore plus souffrante.
Dans ce ménage, depuis le lever du jour, personne n’a avalé quoi que ce soit et le foyer rapidement bricolé n’a plus abrité de feu depuis belle lurette. « Nous ne préparons pas parce que nous n’avons pas d’ustensiles de cuisine. Nous n’avons rien apporté ici. C’est le voisinage qui nous aide et c’est en fonction de leur disponibilité que nous mangeons », explique Yentema.
Un peu plus loin, toujours au secteur 4, un autre cas de personnes déplacées venues du Maltambima, un autre village de Madjoari. Elles sont là depuis plus d’un mois. Dans ce ménage, une ambiance de désordre : pêle-mêle des chaussures, des morceaux de parpaing, du bois à moitié consumé sont entreposés ; par endroits il y a des flaques d’eau. Au milieu de ce petit capharnaüm, deux marmites vissées sur des foyers de pierres. Une mijote sous la surveillance d’une jeune femme allaitant son nourrisson de quelques mois. Cette famille de 17 personnes dont 12 enfants crèchent dans trois maisonnettes de 10 tôles chacune. Et comme bon nombre de déplacés de Madjoari, ils ont des difficultés pour s’alimenter même si pour aujourd’hui la pitance semble assurée. « Nous éprouvons beaucoup de difficultés pour nous alimenter. Souvent, on se contente d’un seul repas par jour quand il y en a », affirme dame Bindi Koaré qui, de son exil forcé, à Pama, s’est débrouillée pour avoir un lopin de terre. « C’est juste une portion congrue. Je n’appelle pas ça un champ. Mais je ne peux que m’en contenter car je ne suis pas chez moi ».
185 Burkinabè « abandonnés » au Bénin
Comme nous le savons maintenant, jusqu’au Bénin on trouve les déplacés de Madjoari. Mais comment en est-on arrivé là ?
Le 12 juin dernier, des individus armés ont fait irruption dans les villages de Tanli, de Momba et de Nouabtankoagou et ont sommé les habitants de quitter les lieux hic et nunc. Ils se sont donc exécutés et se sont sauvés à travers le parc W vers Porga. Mais à environ 60 kilomètres de leur destination, ils ont été stoppés par les forces armées béninoises. « C’est de justesse qu’ils ont eu la vie sauve. Pris pour des suspects terroristes, les FDS béninoises, dans un premier temps, ont failli ouvrir le feu sur eux. S’ils sont encore en vie, c’est grâce à un seul détail : la présence de femmes et d’enfants parmi eux. Ce fait a convaincu les soldats béninois qu’ils ne sont pas des terroristes parce que ces malfrats ne se déplacent pas avec femmes et enfants », relate M. Koaré, notre compagnon de route.
Porga est à seulement 44 km du chef-lieu de Kompienga, après Nadiagou et Koualou. Mais c’est l’un des axes de tous les dangers de la région. Pour y aller, il faut bien faire « Oratio Gilde pro itineris et navigii prosperitate »(1), tant le tronçon Nadiagou-Koualou est redouté et réputé pour les multiples attaques perpétrées par les forces du Mal. Il n’y a pas très longtemps sur ce tronçon, ces hommes aux instincts sanguinaires ont récupéré une ambulance. De quoi raviver notre peur. « Mais il n’y a rien actuellement. On ne risque rien. Chaque jour, je suis sur cette voie », tente de rassurer un usager qui fait régulièrement la navette entre Pama et cette localité béninoise. Mais n’empêche qu’il y ait d’abord eu des conciliabules, des coups de file passés par-ci, par-là avant de se risquer sur cette route. On prend des informations sur ce trajet et la décision finale est prise. « Il faut y aller maintenant. C’est mieux », suggère M. Koaré.
Un natif de Madjoari, M.O. qui connaît bien cet itinéraire accepte de nous conduire dans sa petite Toyota à Porga. Durant la traversée, tenaillé par la peur, personne ne frétille à son aise sur son siège. De temps à autre, une indication ou une explication brise le silence de mort. Au volant de sa voiture, M.O. jongle entre les explications et les crevasses du bitume : « Fréquemment des usagers de la route aperçoivent des terroristes ici. C’est dans cette forêt à votre gauche qu’ils sont logés. Si vous regardez bien vous verrez les pistes qu’ils empruntent régulièrement pour se rendre à Koualou afin de se ravitailler ».
Dans l’après-midi, au poste de police frontalier de Porga, c’est la désillusion. Le commissaire béninois Constant Zannou, capitaine de police, élancé et le visage émacié, est formel. « Il faut que j’aie l’accord de mes supérieurs. Je leur ai écrit mais ils ne m’ont pas encore répondu », fait-il savoir à notre délégation sur un ton chantant.
Le Bénin est sur ses gardes depuis l’enlèvement de deux touristes français dans le parc Pendjari et le meurtre de leur guide le 1er mai 2019. Ce pays frontalier du Burkina est donc conscient qu’il n’est pas à l’abri de la nébuleuse terroriste. « Nous sommes très regardants. Tout ce qui se passe dans les autres pays peut nous arriver et ça va venir », confie le chef de poste frontalier. A l’impossible, nul n’est tenu. Après quelque temps d’attente, nous rebroussons chemin avant que la nuit ne tombe. Nous n’avons donc pas pu voir Porga. Mais qu’à cela ne tienne, nous refusons de rentrer au Burkina bredouille.
Selon un réfugié à Porga que nous avons pu joindre au téléphone et qui a requis l’anonymat, ils ne manquent de rien. L’officier de police béninois, lui, ajoute qu’ils ont reçu de l’UNICEF, la veille, du matériel d’une valeur de plus de 11 millions de francs CFA. Leur problème, poursuit notre interlocuteur en ligne, est qu’ils ne sont pas libres de leurs mouvements et se sentent abandonnés par les autorités burkinabè. « Nous sommes gardés. Nous ne pouvons sortir que sur autorisation pour un temps bien défini. Nous sommes abandonnés par nos autorités. Ni le haut-commissaire de notre province, ni le gouverneur de notre région n’est encore venu s’enquérir de notre situation. Nous sommes abandonnés », dénonce notre interlocuteur au bout du fil.
« Ils l’ont égorgé, l’ont décapité… ! »
Le 18 juillet, le temps dans le patelin est moins frais que celui de la veille. A l’école C de Nadiagou, se trouvent des déplacés qui y séjournent deux semaines environ. Dans cette bourgade de transit qui a perdu son lustre d’antan du fait des attaques terroristes, les personnes déplacées internes venues de Madjoari se comptent par milliers. « A Nadiagou, on compterait 8 mille déplacés. Il n’y a pas de concession où on n’en trouve pas », précise Kabirou Kaodima, du comité d’accueil et d’installation des déplacés.
Au soleil levant, une petite marmite en aluminium bout devant une des salles de classe. Alors que des gamines se pourchassent dans la cour de l’école, des femmes conversent sans quitter des yeux la marmite sur le feu. Au sol, des nuées de mouches s’acharnent sur des tas de noix de karité çà et là.
Ici également, comme dame Yentama et sa mère que nous avons laissées à Pama, personne n’a rien avalé. Que leur réserve la petite marmite que nous avons vu bouillir ? Faute de mieux, Natama Thiombiano, la soixantaine, le corps usé ; Mounpoa Thiombiano, plus en forme, et leurs enfants devront se contenter d’une simple sauce de feuilles de boulvanka,(2) c’est-à-dire sans le complément d’accompagnement, la fameuse pâte de mil généralement connue sous le nom de tô.
Mais en attendant que ce repas de misère soit prêt, les deux dames ont le temps de conter les scènes d’horreur qui les ont obligées à abandonner leur Madjoari natal.
Tout remonte au 29 juin 2021, quand ces barbares ont violemment ôté la vie à un jeune du village du nom de Taguia Thiombiano dit Awilo. « Ils l’ont lâchement égorgé chez lui », lâche en larmes l’aînée de la victime, Mounpoa Thiombiano. Après ce forfait, les terroristes reviendront endeuiller de nouveau le village. C’était le 4 juillet 2021 ! « Ce jour ils ont enlevé le fils de ma coépouse, du nom de Diatagua Thiombiano. Il était âgé de 25 ans. Ils l’ont égorgé puis décapité. Ils ont déposé la tête du pauvre sur sa poitrine. C’est après cet assassinat que nous avons entamé notre fuite vers Nadiagou », raconte Natama Thiombiano. Combien de jours pour parcourir les 65 kilomètres qui séparent Madjoari de Nadiagou ? « Deux », raconte Natama.
« Nous sommes partis à pied pour Nadiagou. Mais à dix kilomètres de notre destination, la nuit était déjà tombée. Nous avons dormi en cours de route dans un village du nom de Sambo avant de reprendre notre marche le lendemain », poursuit Natama Thiombiano.
Au sud de Nadiagou, voici une autre concentration de personnes déplacées internes, de ressortissants des villages de Maltambima et de Niabtankaougou. Ils sont à leur 45e jour dans ce patelin.
Autour du forage, au milieu des concessions, grouillent femmes et enfants venus pour la lessive ou la vaisselle. Eux aussi ont fui leur village pour les mêmes motifs sécuritaires. « Ils entrent dans nos concessions et enlèvent des hommes qu’ils égorgent aux yeux de tous les habitants. C’est le sort qui a été réservé à Dani Koaré, un homme d’environ trente ans », indique une vieille dame.
En repartant de cette périphérie sud de Nadiagou, nous tombons sur une scène insoutenable : aveugle, la jambe droite fracturée, une femme se traîne à même le sol. Pour avancer, elle fait du bottom-shuffling (elle se déplace sur ses fesses). Que lui est-il arrivé ? Explications de sa belle-fille : « Elle s’était déjà brisé la jambe dans une chute… Ses enfants qui étaient retenus en captivité par des terroristes ont pu s’échapper et ont décidé de quitter précipitamment Madjoari pour se mettre à l’abri. C’est dans cette fuite que le pied déjà brinquebalant a été brûlé par un pot d’échappement », précise une de ses belles-filles.
Tentative de suicide
Non loin de là, en remontant vers le côté est de Nadiagou, nous apercevons la concession provisoire d’un conseiller municipal de Madjoari, Mindieba Tankoano, encore en captivité au moment où nous écrivions ces lignes. Il n’y a pas de mur de clôture, une maisonnette en banco en ruine et un arbre déraciné trônent au milieu de la concession. Sous l’ombre d’un manguier et au milieu de ces décombres, ses deux épouses se tournent les pouces. « Il a accompagné son oncle malade au Bénin, à Porga plus précisément où ils ont fait trois jours. Ils sont revenus à Nadiagou le mardi 1er juin. C’est le jour suivant qu’ils ont démarré d’ici pour le village. Mais jusqu’aujourd’hui, il n’est pas encore arrivé », marmonne Boundia Tankoano, le cœur meurtri.
Sa famille, une vingtaine d’âmes qui mènent une vie difficile à Nadiagou et qui se contentent, elles également, d’un seul repas par jour quand il y en a, espère le retour du chef. Quant à ses épouses, difficile de leur arracher le moindre mot. Ces instants sont toujours redoutés par la famille car ils ravivent de mauvais souvenirs. « Je ne voudrais pas que vous interrogiez les femmes. Je sais de quoi je parle », s’interpose le fils du conseiller au moment où nous nous apprêtons à tendre le micro à ses mamans. « Une d’entre elles a avalé des comprimés pour se suicider. Nous ne voulons pas réveiller les mauvais souvenirs. Il faut la laisser », ordonne Boundia qui a piqué une colère noire…
Le 19 juillet, peu avant 10 heures, dans les encablures du marché de Nadiagou, nous retrouvons un miraculé de la furie terroriste. Souglipo Dadjoari, un quadragénaire de taille moyenne boitille encore et manie difficilement son membre supérieur gauche. Il a affronté un groupe de terroristes mais est resté sur le carreau, laissé pour mort. Courant mai, selon ses dires, de retour de Tambarga au niveau de leur hameau de culture, Diabili, ses épouses l’informent que son fils Maldia, âgé de 28 ans, a été enlevé par des hommes armés qui ont également emporté ses deux bœufs de trait. Il décide donc de les poursuivre. « Je suis allé à la recherche des terroristes qui m’ont pris mon enfant et je suis tombé sur un autre groupe qui a voulu m’enlever. Quand ils ont voulu me ligoter, j’ai tenté avec le bras gauche de donner un coup de poing à l’un d’entre eux qui l’a esquivé. J’ai percuté un rocher et me suis fracturé l’avant-bras. Comme c’était sur une colline, j’ai glissé et j’ai eu des déchirures de ligaments à la cheville droite. Blessé, je ne les intéressais plus. C’est au petit matin que j’ai pu être secouru», se remémore le survivant qui est toujours sans nouvelles de son fils. Toujours à Nadiagou, une jeune mère de quatre enfants ne cache pas sa détresse. Cela fait deux mois que Zenab Thiombiano trime avec ses rejetons à Nadiagou. Son mari est en captivité et elle peine à subvenir aux besoins de ses enfants. « Les gens, par pitié et par compassion, nous donnent des vivres que je rationne. C’est en fonction des pleurs des enfants que je prépare. Je ne peux pas me permettre de préparer comme les autres, car nous n’avons pas grand-chose », affirme la jeune dame allaitant son dernier-né. Et pourtant le couple avait vu le malheur venir et a anticipé les choses. « Après l’ultimatum de quitter Kodjoari lancé par les terroristes, nous avons décidé de quitter notre hameau de culture avant que la situation ne se dégrade. J’ai même précédé mon époux avec la charrette chargée de nos effets et de vivres. Mais après mon départ, il est allé faire part de son intention de quitter le hameau de culture à deux de ses frères. Ils lui ont suggéré d’y passer la nuit pour que le lendemain matin, ils puissent faire chemin ensemble jusqu’à Tambarga… Mais il n’arrivera jamais puisque cette nuit les terroristes les ont enlevés », narre la mère de quatre gosses.
Si des ménages, les plus chanceux, ont déjà reçu de quoi faire bouillir la marmite de la part de l’Etat, à savoir un sac de mil, des désespérés, qui voient rouge, demandent encore secours.
Tout comme la mère des quatre gosses, beaucoup de ressortissants de Madjoari attendent des parents égarés pendant la fuite ou simplement enlevés ou sont à leur recherche. Souglipo Dadjoari, Boundia Tankoano, Zenab Thiombiano et bien d’autres espèrent le retour d’un fils, d’un époux ou d’un père.
Lévi Constantin Konfé
- Au Moyen Age, celui qui quittait son cadre de vie habituel et partait en voyage se livrait aux dangers d’un monde incertain. Aussi, avant de partir, le voyageur prononçait-il une longue prière où il demandait protection à Dieu et à tous les saints. Ainsi, la prière appelée «Oratio Gilde pro itineris et navigii prosperitate», prononcée à l’occasion d’un voyage par un moine anglo-saxon romanisé du VIe siècle commence par ces mots.
- Une plante comestible dont le nom scientifique est le Corchorus tridens (ou boulvaka en langue mooré)
Encadré 1 La traque d’un présumé terroriste à Pama Le 18 juillet, alors que l’astre du jour s’incline peu à peu, un présumé terroriste sur un vélo s’est introduit à Pama. Etait-il le précurseur d’un groupe qui s’apprêtait à commettre l’irréparable comme il se susurrait déjà dans les débits de boissons et autres lieux ? Pama, qui baigne dans la suspicion vis-à-vis de l’inconnu est en alerte maximale ; l’information est vite transmise aux pandores. Commence donc une traque ! Rattrapé sur la route à la sortie ouest de Pama, il a tenté de se fondre dans la nature. Les « boys » ont donc ouvert le feu, le touchant mortellement. L.C.K. |
Encadré 2 «Son arme en bandoulière rasait le sol» Harouna Sawadogo est conseiller municipal de Madjoari et était établi à Namouyouri. Aujourd’hui, il réside à Nadiagou où lui et les siens louent leurs services aux agriculteurs à raison de 15 000 francs CFA l’hectare. De retour de Pama, où il a pris part à une réunion, il est sur son chemin, le 30 mai 2021, tombé sur des terroristes qui l’ont retenu quelque temps avant de le libérer. S’il est encore en vie, c’est que l’un d’entre eux, qui avait déjà fait partie d’une expédition comminatoire à Namouyouri, l’a reconnu et plaidé en sa faveur.« Après avoir déguerpi Kodjoari, des terroristes, au nombre de 36, sont venus dans notre hameau pour nous sommer de partir aussi. Mais ils s’exprimaient en fulfuldé et comme je comprenais cette langue, ils m’ont demandé de traduire leur message aux autres. Chose que j’ai fait sans broncher. C’est l’un d’entre eux qui m’a reconnu et c’est ainsi qu’ils m’ont épargné », explique le miraculé. Et de poursuivre : « Ce jour, ils m’ont emmené avec eux dans la forêt. Ils étaient vraiment nombreux. Combien étaient-ils ? Je ne saurais répondre ! Il y avait même un enfant parmi eux. Il portait une arme dont le canon rasait presque le sol. C’est le seul qui sait lire. C’est à lui qu’ils remettent les papiers d’identité de tous ceux qu’ils enlèvent ». L.C.K. |
Encadré 3 Madjoari, la rumeur… A Pama comme à Nadiagou ce samedi 17 juillet, un nom, Adama Dicko, alias Zacky, est dans toutes les conversations des déplacés de Madjoari. L’audio qui relate les faits est transféré de portable en portable. Il faut le dire tout net, la situation sécuritaire de la commune est aussi source de toutes les rumeurs. Si ce n’est pas la visite surprise d’un ministre, c’est une opération militaire qui fait courir des bruits de botte. Il est question d’une opération de l’armée au cours de laquelle un natif de la commune de Madjoari, bien connu par les services de sécurité pour ses multiples faits de braquage et qui s’est reconverti en terroriste a été neutralisé avec huit autres présumés. Quelque temps après, une autre version des faits est donnée : il n’a pas été tué mais blessé et il serait en fuite. Mais à Madjoari, on cherche en vain les traces d’une telle opération. « Nous n’avons pas vu un seul corps de terroriste. Ni de celui de Zacky ni de celui d’un autre. Nous ne sommes pas au courant d’une opération », tranche une autre source à Madjoari et jointe au téléphone. L.C.K. |
Encadré 4 Les dernières incursions terroristes – 3 juin : enlèvement de quatre personnes à Madjoari – 7 juin : ultimatum de quitter de Kodjoari – Du 10 et 15 juin : enlèvement de cinq personnes à Diabili – 16 juin : trois personnes égorgées à Tambarga – 29 juin : une personne décapitée à Madjoari – 4 juillet : une personne égorgée à Madjoari – 20 juillet : un paysan de Madjoari saute sur une mine. |
Encadré 5 Goulélé Onadja garde l’espoir «Mon fils Taladia Onadja, vigile à la caisse populaire de Pama, est venu m’informer de son intention de se rendre à Madjoari sur l’invitation d’un de ses amis. Il disait que c’était pour aller connaître chez ledit ami. Effectivement, il est parti. Plus de 24 heures après son départ j’étais sans nouvelles. J’ai contacté son ami en question, que je ne connaissais d’ailleurs pas, qui m’a déclaré qu’il n’était pas encore arrivé chez lui. Et jusqu’à présent, il n’est pas encore arrivé. Je tente régulièrement ses numéros mais ça ne passe jamais. Jusqu’aujourd’hui je suis sans nouvelles de mon enfant. Si je gagne un peu de sous, je fais consulter. Et on m’assure qu’il est toujours en vie. J’ai aussi foi qu’il vit. Son ami chez qui il partait ne me décroche plus. J’ai supprimé son numéro». Propos recueillis par L.C.K. |
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