Procès affaire CNSS « Mon mari n’était pas au courant que j’avais participé au recrutement » (Natacha Ouédraogo, l’épouse du DRH)
Après l’audience du 16 juin 2020, le jugement de l’affaire des recrutements frauduleux à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) a repris en cette matinée du mardi 23 juin devant la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Ouagadougou. Natacha Ouédraogo, la femme du principal accusé dans cette affaire, le Directeur des ressources humaines (DRH), Norbert Zéda, était à la barre pour répondre de faits de substitution de copies. Un DRH accusé d’avoir frauduleusement déclaré sa femme et son petit frère parmi les admis au concours organisé par la CNSS.
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Du nom de Natacha Ouédraogo, l’accusée, après avoir écouté les charges qui pèsent sur elle, a déclaré n’être de près ni de loin impliquée dans une quelconque affaire de fraude et de substitution de copie.
Nous vous proposons un extrait des échanges entre l’épouse de Norbert Zéda et les membres du Tribunal.
Tribunal (T): Madame Natacha Ouédraogo, quel lien y a-t-il entre vous et monsieur Zéda
Epouse Zéda (EZ): c’est mon époux
T : Avez-vous postulé au recrutement qui fait l’objet de procès aujourd’hui ?
EZ : Oui
T : Quel poste ?
AZ : Assistante administrative
T : Etiez-vous là lors de la proclamation ?
AZ : Oui
T : Avez-vous été déclarée admise ou non admise ?
AZ : Admise
T : Quel rang avez-vous occupé sur la liste définitive des admis ?
AZ : Je l’ignore
T : Vous avez été déclarée 8e ex-æquo sur la liste des admis. Mais avant, dans quelle structure étiez-vous ou étiez-vous sans emploi ?
AZ : J’étais à la Poste
T : Et quelle était votre fonction là-bas ?
AZ : J’étais agent de bureau
T : Madame Ouédraogo, est-ce qu’avant de postuler pour le poste à la CNSS, vous aviez informé votre mari ?
AZ : Non
T : Pourquoi ?
AZ : Rien
T : Mais vous saviez au moins qu’il était DRH de la CNSS ?
AZ : Oui
T : Et pourquoi vous ne l’avez pas au moins informé ? Sans compter que vous étiez à la Poste ?
AZ : Rien
T : Pour une décision assez importante, vous ne songez même pas à informer celui avec qui vous partagiez le lit conjugal ?
AZ : …(Silence)
T : Donc votre mari n’était même pas au courant que vous avez postulé pour le recrutement ?
AZ : Il n’était pas au courant
T : Depuis le tirage au sort à l’ANPE jusqu’à la proclamation finale en passant par la composition à l’ENAM, il n’a pas été informé ?
AZ : Non
T : Malgré qu’il soit le président du jury et que si vous êtes admise vous serez dans le même service, vous ne prenez même pas la peine de l’aviser, ne serait-ce que pour la forme ?
AZ : …(Silence)
T : Madame Ouédraogo, il est ressorti dans les enquêtes, dans le cadre de cette affaire, que des copies de compostions ont été manipulées ou remplacées et vérifications faites, il ressort que la vôtre en fait partie. En effet sur votre copie qui a servi à faire la délibération, dans une matière, il est écrit que vous avez eu la note de 13/20 mais après confrontation, il ressort sur la fiche de la personne qui a corrigé la copie que vous aviez eu 10/20. D’abord quelle est votre appréciation sur cet état de fait ? Est-t-il possible que votre copie ait été remplacée ?
AZ : Non, je ne pense pas
T : Et le fait troublant est que avant et après les corrections, les copies étaient déposées dans le bureau de votre mari pendant près d’un mois. Le constat qui se dégage, en tout cas pour nous, c’est que vous avez récupéré votre copie, après correction, repris en changeant des réponses et vous-vous êtes notée vous-même. Le tout, en complicité avec votre mari qui avait toutes les questions et réponses des épreuves par devers lui, en sa qualité de président du jury.
AZ : …(Silence)
T : Madame Ouédraogo, après la proclamation des résultats, avez-vous informé votre mari ?
AZ : Non
T : Il était au courant alors ?
AZ : Non
T : Il ne vous a pas aussi demandé ?
AZ : Non
T : Ayiiii…
(Rires dans la salle)
T : Madame, vous êtes en séparation de couple ? Vous et votre mari, tout allait bien ? Vous dormiez dans le même lit ?
AZ : Pendant la composition, j’étais en famille. On ne dormait pas ensemble.
(Rires dans la salle)
T : Donc madame, vous, vous déposez un concours sans piper mot à votre mari alors que ce dernier est le DRH de l’entreprise en question. Pendant la composition, vous n’avez jamais parlé de ça ensemble malgré qu’il était le président du jury. Vous êtes ensuite admise et vous ne lui dites rien, lui aussi ne vous pose pas la question. Donc c’est jusqu’à ce qu’il y ait procès qu’il apprend ça. Madame, est-ce que vous pensez que c’est possible ça ?
AZ : Oui c’est possible
(Rires dans la salle)
Après ces échanges, le tribunal appelle la correctrice de ladite matière pour donner sa version des faits en qualité de témoin. Salimata Sawadogo, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, a été sans langue de bois à la barre concernant la copie de la dame Ouédraogo : « la copie que moi j’ai corrigée avait la note de 10/20 et non 13 et la signature qui y est inscrite n’est pas la mienne ».
Pour l’enseignante de formation, au-delà de la note, il y aurait également quelques détails qui figurent sur la copie notée 13/20 qui ne sont pas conformes à une correction normale. « En effet, la copie ne comporte aucune faute soulignée, aucun mot barré, aucune mention d’appréciation (passable, assez bien, excellent, …) ». Une telle copie, à en croire ses explications, mériterait alors la note de 20/20 et non 13/20.
A la suite du témoin, l’ex DRH, Norbert Zéda, fut appelé à la barre pour réagir sur les propos de sa femme.
Tout en reconnaissant d’emblée que sa femme n’était pas au domicile conjugal pendant la composition des épreuves, l’accusé a déclaré avoir appris que sa femme était candidate pour le concours, contrairement à ce que son épouse a déclaré. « Je l’ai appris lorsqu’on a affiché la liste des candidats qui étaient présélectionnés pour l’épreuve de composition. Ma femme n’a pas voulu me dire qu’elle avait postulé parce qu’elle savait que je serais contre ».
Et le Tribunal de lui demander la raison. Réponse : « Parce que j’étais DRH de la boite ».
Tribunal (T): Mais c’est une Burkinabè non ? Pourquoi, parce que vous, vous êtes DRH dans une entreprise, aucun membre de votre famille ne doit postuler à une offre ?
DRH Zéda : Par dignité
(Rires dans la salle)
T : Mais alors, qu’avez vous fait lorsque vous avez su ?
DRH Zéda : Rien
T : Vous en avez parlé avec elle ?
DRH Zéda : Non
T : Pourquoi ?
DRH Zéda : Rien
T : Ok. C’est bon
Si pour le parquet, la culpabilité de la femme de l’ex DRH dans cette affaire de fraude ne souffre d’aucun débat, le sentiment de l’avocat de l’accusée, Me Amidou Ouattara est autre. Pour lui, la partie poursuivante n’a rien contre sa cliente à part « le manuscrit de la correctrice ». L’avocat s’est également entretenu avec le témoin du jour et quelques accusés. Nous vous proposons la quintessence des différents échanges.
Maître Amidou Ouattara (Me AO) et la correctrice de la copie Salimata Sawadogo (SS)
Me AO : Madame Ouédraogo, vous avez déclaré n’avoir pas corrigé la copie qu’on vous a montrée ce matin ? Donc pour vous, ça été modifiée ?
SS: Je ne saurai être affirmative que ç’a été modifié mais ce n’est pas la copie que moi j’ai corrigée.
Me AO : Ok. Madame, est-ce que vous pouvez vous tromper ?
SS: Je suis un humain, mais je ne pourrais pas me tromper dans la reconnaissance d’une feuille que j’ai corrigée.
Me AO : Madame, tout homme peut se tromper et comme vous êtes un humain, je déduis que vous pouvez-vous tromper
SS: Maître, je peux me tromper mais pas sur une copie qui comporte mes remarques, ma note et ma signature.
Me AO : Madame, est-ce que lorsque vous avez fini de corriger, vous avez remis les copies avec un relevé de notes ? Parce que je vois ici que vous n’avez que vos notes manuscrites.
SS : Lorsqu’on faisait la correction, il n’avait pas été expressément dit qu’on devait relever les notes. Dans certains concours ça se fait mais ce cas-ci non. Mais les correcteurs doivent relever eux-mêmes les notes afin d’être préparés lors de la délibération.
Me AO : Donc en réalité, tout ce que dit le parquet n’est basé que sur vos notes manuscrites. Il n’y a pas un relevé qui puisse corroborer que ma cliente n’a pas eu 13 mais 10/20
SS : Maître, ce jour-là, on ne faisait pas la correction sachant qu’un jour, il y aura problème et procès. Je n’ai pas pris ces notes pour le jugement d’aujourd’hui. Je l’ai fait pour moi-même en cas de problème lors de la délibération.
Me AO : Ok merci
Echanges entre Maître Amidou Ouattara (Me AO) et la secrétaire du DRH (Liliane Saré)
Me AO : Madame Saré, connaissez-vous Madame Ouédraogo, la femme du DRH ?
Liliane SARE : Je la connais mais pas dans le cadre professionnel. On se connaissait ailleurs
Me AO : OK. Donc même dans le noir, vous pouvez la reconnaître ?
Lilihane SARE : Oui
Me AO : Ok. Est-ce que pendant cette période-là, vous l’avez aperçue dans le bureau de votre chef hiérarchique direct, c’est-à-dire le DRH Zéda ?
Liliane SARE : Non
Me AO : Ok. Merci. Vous voyez, monsieur le président (Ndlr : du Tribunal), à part ce bout de papier qui n’est pas une preuve formelle, il n’y a rien contre madame Ouédraogo.
Me AO : Monsieur le président, on dit qu’il y a substitution de copie. Donc cela suppose qu’il y a une copie A et une copie B. Mais ce matin, on nous montre la copie supposée remplaçante sans la remplacée. Où est la copie qui a été remplacée ? Ça ne figure nulle part dans les pièces du dossier. On ne se base que sur des suppositions: que si elle n’a pas dit à son mari, si son mari ne lui a pas demandé, alors ce n’est pas normal et donc elle est coupable. C’est quoi ça ? J’ai beaucoup d’autres observations mais je préfère les faire au moment de ma plaidoirie finale.
Lorsque le Tribunal suspendait l’audience du jour, c’etait la Secrétaire Générale de la CNSS au moment des faits, dame Zida (citée comme témoin dans l’affaire), qui était à la barre pour donner sa version des faits.
La reprise est prévue pour le mardi 30 juin 2020.
Boris Anicet ZONOU
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