L’Afrique! l’introuvable unité
L’Organisation de l’unité africaine devrait célébrer, ce 25 mai 2023, les 60 ans de sa création. Mais elle a été depuis 2009 remplacée par l’Union africaine. A-t-on seulement changé l’emballage et non le contenu ? C’est la question à laquelle le journaliste et ancien rédacteur en chef de la Radio nationale du Burkina, Granou Yaya Tamani, tente de répondre dans cette tribune que nous vous proposons.
L’Afrique noire est mal partie’’ (Réné Dumont) ; «Main basse sur l’Afrique» (Jean Ziegler) ; «Et si l’Afrique refusait le développement» (Axelle Kabou) « Le Rapport Lugano ; la géostratégie du chaos.» (Susan George) ; «L’Afrique doit s’unir» (Dr Kwamé N’Krumah) ; «L’Afrique noire est mal arrêtée et au bord d’un abîme » (Pr Mamadou Koulibaly) ; «A quand l’Afrique ?» (Joseph Ki Zerbo) ; «Les fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral d’Afrique noire» (Pr Cheickh Anta Diop)….
Sans être exhaustif, on peut s’arrêter là. Aucun de ces écrivains et professeurs de renommée internationale n’est contre l’Afrique. On aurait pu ajouter des écrivains et philosophes européens précoloniaux comme Gobineau ou Hegel qui ont, par leurs écrits, par contre cassé du sucre sur le dos des Noirs. Même une intelligence aussi pénétrante que Montesquieu, le père de «l’Esprit des lois» s’était posé la question de savoir si le Noir avait une âme. Bref ! Trois ou quatre rayons d’une bonne bibliothèque ne suffiraient pas à contenir toute la littérature postcoloniale produite sur l’Afrique.
Cet article n’a pas pour objet de faire une critique littéraire, mais d’esquisser un bilan sommaire des 60 ans de la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) devenue l’Union africaine (UA). En 1960, à l’exception de l’Algérie, des colonies portugaises en lutte armée contre le régime fasciste du Portugal, du Zimbabwé, de la Zambie, de la Tanzanie, du Botswana, de l’Afrique du Sud et de la Namibie, la majorité des pays africains étaient ‘’ indépendants’’. C’est donc dans l’euphorie de cette ‘’liberté’’ retrouvée que les dirigeants de ce continent totalement balkanisé se donnèrent rendez-vous le 25 mai 1963 à Addis Abéba pour porter sur les fonts baptismaux l’OUA.
Pendant cette conférence constitutive, deux points de vue s’y étaient affrontés. Le groupe dit de Casablanca avec à sa tête le Ghanéen Kwamé N’Krumah qui voulait d’une union totale et immédiate du continent. L’autre groupe dit de Monrovia et son leader l’Ivoirien Félix Houphouët Boigny qui avait le soutien du plus grand nombre de chefs d’Etat, préconisait une organisation souple, sauvegardant la souveraineté des Etats.
Cette ligne triompha. On entérinait du coup l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Il faut également rappeler que le président ivoirien avait soutenu les autorités françaises en 1956 pour casser les deux grands ensembles qu’étaient l’AOF et l’AEF avec la fameuse loi Gaston Deferre avant qu’il ne se chargea personnellement de faire échouer l’éphémère Fédération du Mali qui regroupait le Sénégal, le Soudan français, le Dahomey et la Haute Volta.
Quant à l’OUA proprement dite, après quatre décennies d’existence, le bilan ne fut pas totalement négatif. Il eut des hauts et des bas, mais plus de bas que de hauts. On peut reconnaître qu’elle a apporté un grand soutien diplomatique aux pays encore en lutte pour leur indépendance même si les approches étaient différentes selon les pays. Nous étions en pleine guerre froide.
L’OUA a, durant son existence, créé des structures de développement et d’intégration qui n’ont malheureusement pas, pour la plupart, fait long feu. Les points sombres Quant aux points sombres, ils sont très nombreux. On en citera seulement quelques-uns. Pendant la guerre civile qui ensanglanta le Nigéria de 1967 à 1970 et qui visait la partition du pays, le soutien de la France et de la Côte d’Ivoire aux sécessionnistes biafrais fut formellement établi. Battu, Le colonel Emeka Odjuku se refugia en Côte d’Ivoire.
Les deux débarquements de mercenaires dirigés par le français Bob Denard avec la complicité de certains pays africains pour renverser les présidents Sékou Touré de Guinée et Mathieu Kerekou du Bénin ont fait chou blanc. Au Tchad, c’est sous les yeux d’une OUA impuissante que le Premier président du pays, François Tombalbaye, fut assassiné dans un coup d’Etat en 1975. Son successeur, le général Felix Malloum, qui ne maitrisait pas la situation démissionna en 1979.
Une guerre civile éclata et plaça Goukouni Oueddei au pouvoir en 1980 avec l’aide de la Libye. Il en sera évincé en 1982 par son ancien allié Hissein Habré qui sera lui-même renversé en 1990 par Idriss Deby assassiné en 2021. C’est le fils de ce dernier qui est l’actuel président du pays. Les guerres fratricides meurtrières au Libéria et en Sierra Léone pour le pouvoir et ensuite contrôler les mines d’or et de diamants avaient des parrains bien connus dans la sous-région.
Dans cette macabre litanie, on ne saurait oublier le génocide tutsi de 1994. Ces 60 années ont été également jalonnées d’assassinats politiques au plus haut sommet des Etats. Après Patrice Lumuba en 1961 (avant la création de l’OUA), ce fut Tafawa Balewa en 1966, Sylvanius Olympio en 1963, Marien Gouabi en 1977, Anouar el-Sadate en 1981, Thomas Sankara en 1987…
Si on y ajoute ceux qui étaient en lutte armée pour l’indépendance de leur pays comme Edouardo Mondlane du Mozambique dont la tête explosa en ouvrant un livre piégé et Amicar Cabral de la Guinée Bissau et du Cap Vert abattu par son propre garde du corps, un infiltré de la PIDE Portugaise. L’OUA se contentait toujours des formules diplomatiques consacrées. « Nous sommes préoccupés » ou « nous sommes inquiets ».
Sauf dans le cas de Thomas Sankara où les Présidents Rawlings du Ghana et Sassou N’Guesso du Congo Brazzaville qui n’ont pas pris de gants pour condamner fermement les auteurs du coup d’Etat du 15 octobre 1987 en les qualifiant de traitres et d’assassins. Comme partout ailleurs, une des plus grandes sources de conflits entre les hommes depuis la plus haute antiquité est l’occupation de l’espace.
La conférence de Berlin qui a dépecé l’Afrique sans tenir compte des réalités socio-anthropologiques a laissé un héritage confligène aux Africains. Le problème du Sahara occidental que le Maroc considère comme une de ses provinces n’est toujours pas résolu. Le Soudan du sud sécessionniste a obtenu son indépendance en 2011 après une longue guerre civile contre le pouvoir central de Khartoum.
L’Erythrée s’est détachée de l’Ethiopie en 1993. Les anglophones du Cameroun veulent créer un autre pays, l’Ambazonie. Les Casamançais ne se sentent pas Sénégalais. La Libye et la Somalie sont pratiquement dans l’anarchie. Qu’est-ce que ça veut dire tout ça ? Sur le plan économique, l’Afrique ploie sous le poids de la dette. Pour le professeur Mamadou Koulibaly, appuyé par sa collègue, le professeur Guidy Wandja, le continent ne fait que s’endetter pour rembourser ses dettes.
Pour eux d’ailleurs le francs CFA n’est pas une monnaie. Ils préconisent donc d’en sortir. La CEDEAO a déjà dans ses tuyaux la création d’une nouvelle monnaie appelée ECO. Mais quand sera-t-elle effective ? S’agissant de la libre circulation des personnes et des biens, elle constitue toujours un problème avec les nombreuses tracasseries policières et douanières aux frontières.
En remontant dans le temps, il faut être amnésique pour ne pas se souvenir de l’expulsion massive des étrangers africains du Nigéria en 1983, celle des Sénégalais de Mauritanie en 1990, ou encore celle moins connue des Dahoméens de Côte d’Ivoire en 1963. En Afrique du Nord, de nombreux jeunes subsahariens y ayant vécu en ont gardé une amère expérience. Toute chose qui bat en brèche cette fameuse libre circulation des personnes et des biens proclamée urbi et orbi, ressassée à cor et à cris.
Les étudiants burkinabè revenus récemment d’un Soudan inhospitalier est un exemple illustratif. Avec l’Union africaine créée le 9 juillet 2002 en Afrique du Sud sur les cendres de l’OUA, on a changé l’emballage. Mais a-t-on réellement changé le contenu ? Sur le plan politique, il y a une légère amélioration déjà amorcée depuis les années 1990. Les partis uniques ont fait place à des démocraties multipartisanes même si elles sont bancales par ci, claudicantes par-là, et une tendance à la monarchisation d’un autre âge comme au Togo, au Gabon, au Tchad et peut-être demain en Guinée Equatoriale.
Des tares subsistent Une des grandes décisions de l’UA est sans conteste la suspension de ses rangs des pays dirigés par des hommes arrivés au pouvoir après un coup d’Etat. Mais cette sanction est-elle efficace ? On peut en douter. L’Union africain traine toujours une des tares de l’OUA. De nombreux chefs d’Etat africains sont bien connus pour être des absents notoires aux sommets de cette tribune panafricaine, préférant aller faire du ski alpin ou d’autres villégiatures.
Que l’on organise un sommet Afrique-France, et les voilà dévalant de tout monticule ventre à terre, s’en aller gaiement vers l’Elysée ou le pays africain organisateur de la rencontre. Une rencontre d’où généralement il ne ressort pas grand-chose sauf en 1990 à la Baulle quand François Mitterrand, s’adressant aux présidents africains comme à des enfants, leur a dit en toute clarté que l’aide de son pays irait prioritairement et avec enthousiasme vers les pays démocratiques.
On se rappelle encore le charivari que cette déclaration avait suscité en Afrique. Aujourd’hui, la liberté de presse et d’expression est plus moins garantie dans la plupart des pays africains. Les Etats n’ont plus le monopole des médias audiovisuels et de la presse écrite. Mais les réseaux sociaux constituent un véritable problème d’éthique et de déontologie. A côté de la presse, existe un autre pouvoir dans le paysage démocratique. C’est la société civile.
La presse et la société civile constituent un véritable groupe de pression sur les gouvernants. L’Union africaine doit donc en tenir compte et non se considérer comme un syndicat des chefs d’Etat. 60 ans après la création de l’organisation panafricaine, ses pères fondateurs ne sont plus de ce monde. Cet anniversaire doit être l’occasion pour la nouvelle génération d’une introspection-bilan pour mieux envisager l’avenir dans un monde de haute compétition économique et politique où les Etats nains, les micros-Etats et les protonations ne sont pas viables face aux pays-continents comme les Etats-Unis, la Chine, l’Inde, le Canada, le Brésil ou la Russie.
On pourrait déjà, comme le préconisent certains analystes, renforcer les organisations sous régionales que sont : la CEDEAO, la CEAC, avant d’envisager une véritable union à l’échelle du continent. Il ne faut donc pas désespérer de l’Afrique.
GNANOU Yaya Tamani