Procès Marcel Tankoano et autres : le parquet évoque un objectif commun de “déstabilisation du régime”
Le procès des journalistes et leaders d’OSC dans le cadre du dossier sur l’appel à incendier la cour du Moogho Naaba s’est poursuivi ce vendredi 23 juin 2023 au Tribunal de grande instance Ouaga I. A cette audience, les débats ont porté sur des conversations tenus entre des prévenus et avec d’autres personnes non poursuivies. Dans des messages ou audios échangés sur les plateformes WhatsApp et Signal, le parquet y a vu des preuves à charges contre les mis en cause qui auraient partagé l’objectif commun de déstabiliser le pouvoir de la transition. Ce que les prévenus ont balayé du revers de la main.
L’audience de la veille n’avait pas permis de vider le dossier en son aspect conversation entre les prévenus et avec d’autres personnes. Le tribunal s’y est consacré donc pour la deuxième fois en appelant à la barre, dès l’ouverture de l’audience, les journalistes Alain Traoré alias Alain Alain et Lookman Sawadogo ainsi que l’activiste, Abdoul Karim Baguian dit Lota. Ce dernier, selon le parquet, à l’instar d’Alain Alain, a échangé des messages WhatsApp et Signal avec l’activiste Aminata Rachow courant fin avril et début mars 2023.
D’autres conversations avec d’autres personnes ont eu lieu dans la même période. Si le parquet s’y attarde, c’est parce qu’il estime que ces conversations ne sont pas anodines et qu’elles ne sont pas non plus dissociable au projet d’enregistrement des audios appelant à incendier le palais du Moogho Naaba, projet dont le leader d’OSC, Marcel Tankoano, serait l’instigateur, « celui qui a fait faire », pour reprendre les termes du ministère public. Pour rappel, il est reproché à monsieur Tankoano d’avoir incité des tiers, dont les témoins Zakaria Tagnan et Mamadou Zigui, à enregistrer deux audios, l’un appelant à incendier la cour royale et l’autre à s’y opposer. Dans l’audio appelant à l’incendie, il s’agissait, selon l’instruction, à l’attribuer aux activistes pro-Russie.
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Dans une conversation attribuée à Aminata Rachow et Lota, ce dernier décrit à son interlocutrice ce qu’il intitule « le mode opératoire », sans préciser l’objet. Dans ce mode opératoire, il est question de « regrouper des centaines de jeunes dans des marchés et yaars » ; de « mettre en place des cellules pour occuper les différents carrefours et y brûler des pneus », de mobiliser des bouchers des marchés. Pour l’exécution de ce mode opératoire, le présumé auteur du message établit le budget à 25 millions, en précisant que 20 millions reviennent aux acteurs du terrain et 5 aux leaders d’OSC. Aminata Rachow, selon un audio diffusé dans la salle d’audience, informe Lota, de ce qu’elle a échangé avec « le monsieur en Italie ». Et d’ajouter dans le même message sonore : « j’ai dit qu’il faut que le travail soit rapide. On ne peut pas attendre, il fut qu’on enchaine. Il va appeler les gens et j’attends son retour », a ajouté l’interlocutrice présumée de Lota qui aurait répondu en ces termes : « Il faut leur dire d’agir ». Pour soutenir ses pièces à conviction, le procureur a précisé que le Lota s’est rendu au palais du Moogho Naba le 2 mai, soit après la diffusion des audios. En réaction aux messages à lui attribués, Lota a contesté leur authenticité, arguant qu’il n’a pas été associé à l’expertise de son téléphone. Il a même brandi le message à Aminata Rachow sur « le mode opératoire » qui commence par « Bonjour grand frère », pour dénoncer un tripatouillage des conversations, pourtant tirées de son téléphone, selon le parquet.
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Des messages échangés entre Lota et Lookman Sawadogo, entre Pascal Zaïda et Lookman Sawadogo, entre Alain Alain et Lota ou Zaïda et Aminata Rachow, sont présenté comme les éléments d’un puzzle. «Entre Lookman Sawadogo qui écrit « Le régime a opté pour la violence mais nous on peut faire plus que la violence » à Lota et ce dernier qui, en parlant de mobilisation, assure à son vis-à-vis que « le jour où on sifflera le match tu verras », il y a anguille sous roche, estime le ministère public qui reste convaincu que l’objectif était de déstabiliser le régime de la transition et le remplacer par une « troisième transition inclusive » dirigée par un « président civil », instaurer « un gouvernement d’union nationale », comme évoqué dans des messages attribué à Lookman Sawadogo.
Il faut dire que parmi une multitude de messages présentés comme éléments matériels, le parquet s’est particulièrement attardé sur des morceaux pour bétonner ses arguments. Comme le « Il nous faut des leaders pour lancer l’assaut » de Lota à Alain Alain ; « le problème ce sont les partis politiques » de pascal Zaïda en réponse au « Ils se trompent, les choses vont aller plus vite », de Lookman Sawadogo. Il y a encore le message de ce dernier invitant Marcel Tankoano à prendre les dispositions lorsqu’il a été interpellé.
En réaction aux arguments du ministère public, les prévenus ont opposé, eu aussi, les leurs, non sans reconnaitre, en dehors de Lota, les messages à eux attribuer. Parlant de troisième transition, Lookman Sawadogo a défendu une opinion toujours exprimée, jusque dans son troisème ouvrage. En disant pouvoir « faire plus que la violence », Lookman Sawadogo s’est réclamé « un homme de paix », et a expliqué ce « plus que la violence » comme pouvant être « une grève de la faim ». Mieux, ses conversations avec ses coprévenus s’inscrivent, selon lui, dans le cadre des actions du Collectif des victimes de menaces dont il est membre. Cet argument a aussi été brandi par Alain Alain. Ce dernier ajoute que certains de ses messages se rapportent juste à ses opinions sur l’actualité nationale et rien de plus. C’est dans ce sens, dit-il, qu’il écrit à Aminata Rachow que « la troupe veut descendre le capitaine mais les armes font défaut ». Pascal Zaïda a embouché la même trompette. Il a assuré avoir l’habitude d’échanger avec Aminata Rachow sur les questions en lien avec l’actualité nationale.
L’audience se poursuivra samedi 24 juin 2023 au Tribunal de grande instance de Ouaga I.
Bernard Kaboré