Société

Insurrection populaire d’octobre 2014 : neuf ans après, « une remise en cause des acquis »

Il y a 9 ans, fin octobre 2014, une insurrection populaire emportait le régime de Blaise Compaoré. En renversant le régime Compaoré, les insurgés étaient animés par beaucoup d’espoirs, notamment celui d’une gouvernance meilleure. Qu’en est-il 9 ans après ? C’est la question centrale que s’est posée le mouvement Balai citoyen en initiant une conférence publique tenue ce mardi 31 octobre 2023 à Ouagadougou. Une conférence animée par le coordonnateur national du Mouvement, Olo Mathias Kambou alias Kamao et le journaliste Inoussa Ouédraogo. Les conférenciers, certes, reconnaissent une consolidation des acquis mais estiment que sous le MPSR, il y a une grande tendance à la remise en cause de ces acquis qui se manifeste entre autres par une « patrimonialisation du pouvoir d’Etat » et un recul des libertés individuelles et collectives.

Un certain 31 octobre 2014, une marée humaine s’est déversée dans les rues de plusieurs villes du Burkina Faso. Cela a marqué l’épilogue de 27 ans de règne du président Blaise Compaoré, contraint ainsi à la démission.

Mais qu’est-ce qui a pu bien pousser la rue à cet extrême ? Pour Olo Mathias Kambou, la chute de Blaise Compaoré peut être expliquée par une tentative de ce dernier d’instaurer un régime dictatorial. Et cela, alors que les années et les décennies antérieures ont été marquées par des luttes pour l’émancipation et pour les libertés. Pour le journaliste Inoussa Ouédraogo, par ailleurs patron de la Société des éditeurs de presse (SEP), l’insurrection populaire de 2014 est le résultat d’un combat des populations, d’abord contre la « patrimonialisation du pouvoir ». « Le pouvoir était concentré entre les mains d’un individu avec sa famille », a expliqué le journaliste. Et ce n’est pas tout : « les gens sont sortis aussi pour s’opposer à l’impunité ; aux crimes de sang et aux crimes économiques. Ils voulaient élargir les espaces de libertés ; ils voulaient renforcer la démocratie, l’Etat de droit, la bonne gouvernance, la séparation des pouvoirs, la limitation du pouvoir ; ils réclamaient la fin de l’électoralisme ; revendiquaient la justice pour tous, le retour des militaires dans les casernes, l’alternance au sommet de l’Etat ; la redistribution des fruits de la croissance ; la réduction du train de vie de l’Etat ; la lutte contre la corruption ; refusaient de voir nos hôpitaux continuer d’être des mouroirs ; … », a égrené Inoussa Ouédraogo.

Inoussa Ouédraogo

Selon Kamao, des acquis post-insurrection ont été engrangés, notamment lors de la transition de 2015. Il a cité entre autres, le Programme socioéconomique d’urgence de la transition (PSUT) qui a permis de réaliser plusieurs infrastructures ainsi des réformes à travers l’adoption de lois dont celle contre la corruption ou celle sur les pupilles de la nation. Qu’en est-il de la consolidation de ces acquis sous le régime du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR)? Kamao le reconnait, on doit aux militaires au pouvoir des éléments de cette consolidation. Et de citer « la lutte antiimpérialiste ; l’affirmation de la souveraineté nationale par la dénonciation de certains accords avec l’ex-puissance coloniale ; les audits qui ont abouti à des procès tel que celui de Vincent Dabilgou ; l’adoption de lois telles que celle sur l’immobilier et celle sur la méritocratie ».

Olo Matgias Kambou alias Kamao

Mais, pour le coordonnateur du Balai citoyen, il est bien plus question, sous le MPSR, d’une remise en cause que d’une consolidation des acquis de l’insurrection d’octobre 2014, tant au plan matériel qu’immatériel. « L’avènement en soi du MPSR est une remise en cause des acquis », estime d’emblée Kamao. Puis, il dénonce : « une catégorisation et une division de la population, surtout dans la phase 2 du MPSR ;  une intolérance de certains défenseurs du régime ; des véléités de remise en cause de l’indépendance de la justice ». Exemples d’une remise en cause de cette indépendance ? « Le retour au Burkina de Blaise Compaoré el la descente musclée de militaires dans un palais de justice », déplore Olo Mathias Kambou. Et de pointer par ailleurs « une tentative de remise en cause des libertés individuelles et collectives » matérialisée par des « enlèvements et enrôlements de force »; une « milicisation » des partisans du pouvoir ; « une émergence de groupes extrajudiciaires qui procèdent à des enlèvements ». « Il y a même le rejet de la démocratie et une haine du savoir, de la science et des intellectuels », analyse Inoussa Ouédraogo. Et d’ajouter : « Ce sont des choses contre lesquelles des femmes et des hommes se sont battus en 2014 ». Kamao résume la situation post-insurrection sous le MPSR en « une dérive qui est en train d’émerger sous un silence interrogateur des autorités ». En fait, estime Inoussa Ouédraogo, les insurgés ont vite crié victoire. Car, dit-il, « l’insurrection de 2014 n’a réellement pas été achevée ».

Quelles perspectives ? Pour poursuivre l’idéal des martyrs d’octobre 2014, Inoussa Ouédraogo estime qu’il faut « résister ». Une résistance qui s’entend comme le refus du citoyen à renoncer à ses devoirs, ceux « d’interpeller, de critiquer et de donner son avis sur la gestion de son pays ». Pour Inoussa Ouédraogo, cela appelle au courage dans l’engagement politique, en « traduisant les aspirations des insurgés en projet de société ».

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A l’endroit des autorités actuelles, les deux conférenciers ont appelé à un ressaisissement. Kamao a notamment invité les autorités de la transition à « s’auto-recadrer » et éviter ainsi la « dérive » en travaillant à renforcer les acquis. Alors que des aspirations revendiquées, comme la liberté d’expression, sont parfois présentées comme antonimiques à la crise sécuritaire que traverse le Burkina depuis 8 ans, certains comme Inoussa Ouédraogo ne le perçoit de cette manière. « la diversité des points de vue, loin d’être un obstacle à la lutte contre le terrorisme, peut en être un fervent », explique-t-il. Et d’attirer l’attention des dirigeants actuels en ces termes : « Il y a une majorité silencieuse qui ne s’exprime pas et le jour où elle va s’exprimer, ce sera peut-être trop tard ».

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