Société

Yobi Barry, pensionnaire du PMK: « Déscolarisée, je passais mon temps à pleurer derrière les bœufs »

Nombreux sont sans doute ceux qui ont eu l’écho de cette merveilleuse histoire d’un enfant de troupe contée par le chef d’état-major général des armées lors de la cérémonie de fin d’année scolaire au Prytanée militaire du Kadiogo (PMK), le 26 juin dernier. Scolarisée, déscolarisée puis ré-scolarisée, Yobi Barry, qui a fait la navette entre les bancs de l’école et les pâturages où elle faisait paître le troupeau familial, a exceptionnellement intégré l’école militaire en classe de seconde au titre de l’année 2019-2020.  Comme toujours, la native de Zougbilin s’est montrée à la hauteur de la confiance placée en elle, en se hissant au rang de sous-major de sa promotion. Le 4 juillet dernier, nous avons rencontré l’étoile que nous vous faisons découvrir davantage : son parcours, son intégration au Prytanée, ses ambitions, …

Yobi barry considère son inscription au PMK comme une chance

Au milieu de ses camarades de la classe de seconde C, Yobi Barry se distingue vite par sa taille élancée et son allure gracieuse, même si en elle transpire une certaine timidité qui ne serait pas accommodée des podiums de défilés de mode.

Derrière cette fragilité apparente et cette réserve se cache pourtant une volonté à toute épreuve chez l’adolescente. C’est l’histoire d’une élève dévouée, histoire  relatée par le chef d’état-major général des armées, le général Moïse Miningou, lors de la cérémonie de fin d’année au Prytanée militaire du Kadiogo  le 26 juin dernier et devenue l’une des  mieux partagées sur les réseaux sociaux.

Yobi est originaire de Zougbilin, un patelin perdu dans les confins du Boulgou, dans le Centre-est du Burkina. N’eût été sa ferme volonté d’être inscrite à l’école, elle aurait passé son enfance plutôt derrière le bétail de son père. « Toute petite, j’admirais mes aînés qui savaient lire et écrire. J’étais moi aussi animée par cette curiosité d’apprendre. Mais ce n’était pas l’option de mon père qui voulait que j’aide mon grand-frère à garder son troupeau. J’ai dû insister et il a fini par accéder à ma requête, en m’inscrivant au CP1 », raconte la jeune élève, de sa voix fluette.

L’année perdue

Une fois sur les bancs, Yobi ne tardera pas à faire ses preuves : elle enchaîne de bons résultats. Et cela, en bravant quotidiennement, à pieds, une distance d’au moins 10 kilomètres pour rejoindre les classes. Tout va bien jusqu’en classe de CE1. Elle passait avec brio au CE2, mais son grand frère parti à l’aventure, elle est contrainte de tenir le bâton de garde du cheptel. Cela lui coûtera une année blanche. « J’ai commencé la garde du troupeau les vacances. Je pensais qu’une fois les vacances terminées, je reprendrai le chemin de l’école. Mais ça n’a pas été le cas si bien qu’à chaque fois que j’étais derrière les bœufs je ne faisais que me fondre en larmes », se rappelle-t-elle. Lorsque cet épisode prend fin avec le retour du frère aventurier qui reprend son bâton de… pasteur, Yobi demande à regagner les classes. Demande approuvée.

Le salut militaire, Yobi Barry a eu du mal à l’exécuter au début

Malgré l’année perdue, elle maintient le cap de l’excellence, tant et si bien que dès la classe de CM1, son maître décide de constituer son dossier pour qu’elle prenne part à l’examen du Certificat d’études primaires (CEP) et au concours d’Entrée en sixième, dans une autre école. Elle réussit avec brio à ces deux examens, en occupant la première place dans la province du Boulgou. Avec le soutien d’un de ses enseignants, Issaka Sondé, qui est par ailleurs son oncle, la brillante élève est inscrite au collège Marie-Reine de Tenkodogo, un internat tenu par des religieuses. Là encore, elle tient la tête, et ce, de la 6e à la 3e. Elle passe hauts les mains la session 2019 des examens du Brevet d’études du premier cycle (BEPC) et de l’Entrée en seconde, se fait classer première de la région du Centre-est. A croire que dans son logiciel il n’y a pas un autre rang.

La main salvatrice l’Armée

Mais après ce succès, il y avait une équation à résoudre autrement plus difficile que les théorèmes de Thalès ou de Pythagore : poursuivre ce cursus honorum. Car l’oncle et enseignant, qui avait fait le vœu de la soutenir, ne dispose plus de moyens financiers nécessaires. Ce dernier lance alors, par le biais des réseaux sociaux, un cri du cœur à l’attention de personnes de bonnes volontés. Un appel parvenu jusqu’aux prestigieuses oreilles du chef d’état-major général des armées, le général de brigade Moïse Miningou qui n’est pas resté insensible en entamant des démarches pour l’inscription de l’étoile au PMK. A titre exceptionnelle, puisque d’ordinaire les recrues du PMK y accèdent en classe de 6e ou 2nde uniquement après un concours. Pas moins de deux mois ont été nécessaires pour les démarches, selon le commandant du groupement élèves du Prytanée, le capitaine Serge Lengané. Yobi Barry autorisée à rejoindre le rang des enfants de troupe, elle devait auparavant suivre un cours spécial, celui de l’instruction militaire en vue de son intégration.  Un cours dispensé en août, le mois d’avant la rentrée au prytanée et dont l’entame n’a pas été une mince affaire, se souvient la pmkaliste : « au début, je ne comprenais presque rien, surtout lorsqu’on me parlait d’armes. Mais par la suite j’ai trouvé le module intéressant et beaucoup instructif ».  

La petite histoire de l’intégration

S’agissant de son intégration à l’école militaire, la prytane dit n’avoir pas éprouvé de difficulté majeure. « Je n’ai pas eu grand souci à m’adapter à la vie du Prytanée. Je me suis  vite rendu compte d’ailleurs que le règlement intérieur, si on excepte le caractère militaire, n’était pas si différent de celui qui est appliqué à l’internat d’où je viens ». Mais elle reconnaît qu’au début, elle ne se sentait pas dans son milieu. « J’avais l’impression d’être isolée, coupée du reste du monde. Mais au bout d’une semaine, mes camarades se rapprochaient plus de moi, la familiarité s’est installée et je m’étais faite beaucoup d’amis », se souvient-elle. Et à propos de ce début d’intégration difficile, des anecdotes ne manquent pas.

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 Si du côté des camarades de promotion,  on se rappelle surtout cette présence « gênante » d’une nouvelle recrue qui prend le train en marche, pour  les cadres militaires de l’école, c’est le salut militaire mal exécuté qui était le hic. Qu’à cela ne tienne, les choses sont vite rentrées dans l’ordre, et la ‘’sodabila’’ (1) entrée dans les rangs sur le tard n’est plus si… différente de ses camarades, si ce n’est par son abnégation au travail et l’excellence de ses résultats. Au terme de l’année scolaire, l’ex-pensionnaire du Collège Marie-Reine est classée sous-major de sa classe, c’est-à-dire deuxième, avec une moyenne de 15,85/20.

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Pour Yobi Barry, le secret de la réussite réside dans la volonté. « Je suis les cours comme il se doit, je prends à cœur tout ce qui est dispensé comme enseignement en prenant beaucoup de notes », explique-t-elle. A ce  sujet, elle n’est contestée ni par ses enseignants, ni par ses camarades, encore moins par le commandement de l’école. « C’est une élève particulière en ce sens qu’elle est très attentive en classe, motivée dans l’apprentissage. », note le professeur principal,  Salimata Doussa/Dao. Et si madame la principale note une polyvalence du brillant élève, elle relève néanmoins que la philosophie est sa petite bête noire, quand bien même elle a d’assez bonnes notes. Explication ? « Je fais le lien avec la particularité de la matière qui veut souvent que l’apprenant aille au-delà du cours. Mais j’ai foi qu’elle va vite trouver la meilleure approche pour mieux s’en sortir d’autant que la matière est telle que plus on avance en niveau, mieux on comprend »,  espère madame Doussa.

L’étoile rêve d’une vie…d’astronaute

Plus qu’un élève-modèle pour nombre d’acteurs de l’éducation, Yobi est plus que jamais une fierté pour ses parents : « mon père dit souvent ne pas regretter de m’avoir inscrite à l’école. Il me le répète d’ailleurs à chaque fois que je rentre en fin d’année les mains chargés de cadeaux. Je crois d’ailleurs que mes résultats l’ont inspiré à inscrire aussi mes cinq petits frères et sœurs», se réjouis Yobi, qui considère comme une chance et un hasard  d’avoir bénéficié de la main tendue par l’Armée pour poursuivre son cursus au prytanée.

Du sous-major de la classe de 2nde C, le professeur principal, Salimata Doussa parle d’une élève ”attentive et studieuse

Avec un parcours prometteur, l’enfant prodige de Zougbilin nourrit de grandes ambitions. Elle rêve d’une vie de médecin ou d’astronaute : « pour le moment j’ai le cœur qui balance entre les deux options », confie-t-elle, tout en n’excluant pas une carrière dans l’Armée. Les objectifs ainsi fixées, pas de temps à perdre pour ce qui peut attendre, juge-t-elle. De ce fait, la go en tenue se démarque d’une génération d’adolescents précocement active dans la vie amoureuse : « Pour le moment je m’intéresse plus à mes études, me disant que la vie amoureuse ne passe pas et viendra après ».   

En attendant de découvrir la classe de première C, Yobi ne compte pas se priver de ses loisirs au cours des vacances, elle qui est passionnée de lecture. A ce sujet, la jeune fille ne cache pas son penchant pour la littérature africaine qui, selon elle, lui permet de découvrir d’autres cultures que la sienne, la culture peule. Les classes closes, c’est aussi un cordon bleu que ses parents retrouvent à la maison. « J’aime beaucoup faire la cuisine, surtout les spécialités africaines ».

Le PMK partira-t-il du cas de Yobi pour intégrer à l’avenir d’autres recrues dans la même situation ? « Cela dépendra du haut-commandement de l’Armée qui jugera de l’opportunité de reconduire l’expérience », répond le Capitaine Serge Lengané.

Bernard Kaboré

  • (1): En mooré, ‘’petit soldat’’, terme par lequel on désigne le prytane

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Un commentaire

  1. Félicitation et du courage à elle.Il faut poursuivre de la sorte pour être un modèle pour la jeunesse burkinabé. Que Dieu continu de t’aider et bénisse les bonnes volontés qui te soutiennent. Que cette belle histoire inspire nos milliers d’élèves au Burkina et partout en Afrique !

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