François Djèkombè député tchadien: « Je pense que le Tchad ne rejoindra pas immédiatement l’AES »
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Ancien journaliste, François Djèkombè est aujourd’hui député et 6e vice-président de la l’Assemblée nationale du Tchad sous la bannière de l’Union sacrée pour la République (USPR). C’est ce député de la 4e législature que votre journal lobspaalga.com a interviewé au téléphone le 16 février 2025. Dans cet entretien, il nous parle sans détour de ses motivations à faire de la politique, du départ des forces françaises de son pays, de sa vision de la lutte contre le terrorisme et de son regard sur l’Alliance des Etats du Sahel (AES). Une Alliance que le Tchad ne rejoindra pas immédiatement selon lui. Pour lui, plus que jamais, le moment est venu pour l’Afrique de se faire respecter.
Le Tchad a fermé définitivement la page de la Transition avec l’installation officielle de la 4e législature dont vous êtes membre. Vous êtes le 6e vice-président du Parlement. Est-ce un défi relevé pour vous ?
Il faut remercier le Seigneur qui a donné au président Mahamat Idriss Déby Itno la sagesse et l’intelligence dans la conduite de la transition intervenue en avril 2021, après la mort tragique du Maréchal Idriss Déby Itno. C’est justement un grand défi pour moi d’occuper ce prestigieux poste de 6e vice-président de l’Assemblée nationale. J’aime naturellement faire face aux situations qui nécessitent des défis, donc j’ose espérer avec l’aide de Dieu que je pourrais relever ce défi et être à la hauteur de cette lourde responsabilité que m’a confiée mon groupe parlementaire Toumaï1.
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Vous placez votre législature sous quel signe ?
Je place ma législature sous le signe du travail. Vous savez, la seule chose qui marque la différence entre un homme et ses semblables, c’est le travail, mais surtout le travail bien fait. Le meilleur cultivateur se démarquera des autres par le travail, le meilleur élève se démarquera des autres par le travail, le meilleur président se démarquera des autres par le travail, le meilleur journaliste est celui qui se démarquera des autres par son travail. Il en sera ainsi du meilleur parlementaire. Donc pour moi, c’est d’abord le travail, ensuite en bon croyant, je crois fortement au destin et donc toutes mes actions doivent être soutenues par la foi en Dieu et la prière. Si ces trois choses, le travail, la foi en Dieu et la prière sont réunies, rien ne peut empêcher un homme de réussir dans tout ce qu’il entreprend.
Pourquoi vous êtes engagé en politique, le journalisme ne nourrit pas bien son homme ou quoi ?
Non, ce n’est pas que le journalisme ne marche pas bien ou ne nourrit pas son homme. Vous savez, que ce soit au Tchad où j’ai exercé le journalisme pendant 11 ans avant d’être recruté par la BBC pour aller travailler à Dakar, je gagnais bien ma vie. Mais c’est une question de destin, je crois, comme je le disais tantôt. Et quand le destin vous appelle, vous êtes exactement comme un corps qui est attiré par un aimant. En quittant volontairement la BBC en 2016 pour retourner au Tchad, certains amis m’avaient pris pour un fou. Et ils avaient raison, parce que j’étais quand-même, sans vous indiquer mon salaire, bien payé. Et une fois rentré, j’avais créé une radio (Radio Oxygène) qui marche encore très bien aujourd’hui à N’Djaména. Donc, certes, j’ai une très grande passion pour le journalisme, mais le destin m’oblige à choisir aujourd’hui entre le journalisme notamment la radio que j’aime tant et la politique. J’ai parlé de destin, car tout petit déjà, je me suis mis dans la tête que je pourrais, une fois devenu grand, jouer un rôle politique dans mon pays.
Je vous raconte une anecdote. Vous savez, j’ai fait presque toutes mes études secondaires et supérieures en Côte d’Ivoire. Mon père y était réfugié pendant plus de 20 ans, de 1985 à 2007. Quand j’étais en classe de première, l’employeur de mon père m’avait suggéré de prendre la nationalité ivoirienne. Il était préfet dans une région ivoirienne. Je ne voulais pas le décevoir en refusant ouvertement sa proposition. Cependant il faut avouer que j’aimais et j’aime toujours beaucoup la Côte d’Ivoire, mais je n’avais jamais songé à prendre une autre nationalité que celle tchadienne. Sans demander mon avis, il s’était rendu à la préfecture d’Abidjan pour me retirer une pile de dossiers à remplir pour ma naturalisation. Il voulait que j’obtienne la nationalité ivoirienne de sorte qu’après mon Bac, j’aie la facilité de trouver une bourse d’études. Mais j’ai décliné, si je peux le dire ainsi, son offre, pour des raisons personnelles, mais surtout politiques, car intérieurement, je m’étais dit, en prenant la nationalité ivoirienne, si plus tard, Dieu le veut et que je dois présenter ma candidature à l’élection présidentielle au Tchad, est-ce que ça ne me créerait pas de problème. Donc en clair, pour moi, il y a un temps pour faire le journalisme, ce temps est maintenant derrière, bien que certains trouvent que j’ai d’excellentes qualités journalistiques, mais pour le moment, mon choix est tourné vers la politique.
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Quelle analyse faites-vous du départ des troupes françaises de votre pays ?
L’armée française était présente au Tchad depuis plus de 125 ans. Le moment était venu qu’elle parte et les dernières troupes françaises ont quitté le territoire tchadien le 30 janvier 2025. Je tiens à saluer la décision courageuse du Maréchal Mahamat Idriss Déby Itno de faire partir l’armée française. C’était une décision très populaire, audacieuse et appréciée par tout le monde, y compris les adversaires politiques du président Déby. Vous savez, s’il n’y a pas un seul soldat tchadien sur le sol français pour ‘’protéger’’ les Français, c’est une anomalie de penser que le contraire est acceptable. Mais faire partir l’armée française, ce n’est pas développer un sentiment anti-français, comme on a l’habitude de lire dans la presse française. Le 11 août 1960, le Tchad était devenu indépendant, mais nous n’étions pas souverains. Depuis le 31 janvier 2025, je peux dire que nous sommes souverainement indépendants, car une indépendance sans souveraineté n’a aucun sens.
Ce départ des troupes françaises s’inscrit-il selon vous dans la même dynamique que ce qui s’est opéré dans les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) ?
Oui, je crois que les trois pays de l’AES avaient donné le ton. C’est pourquoi je voudrais saluer le courage des présidents du Burkina Faso, du Mali et du Niger qui ont pris cette décision courageuse. Personne ne croyait au départ que ces pays allaient réussir. D’aucuns les tournaient en dérision comme étant des aventuriers, mais aujourd’hui, même la CEDEAO qui considérait les 3 Chefs d’Etat de l’AES comme des ‘’petits Officiers trop culottés’’ commence à changer de langage et à respecter l’AES. Donc, oui, je crois que le moment est venu pour que l’Afrique se fasse respecter.
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Êtes-vous de ceux qui pensent que le Tchad devrait rejoindre ces trois pays et pourquoi ?
Sur ce point, je vais être sincère avec vous. Même si le Tchad devrait rejoindre l’AES, ce qui peut être souhaitable car ensemble on est plus fort, je crois que ça va prendre un peu de temps. Dans le principe, il n’y a aucun obstacle. Je pense aussi que le Tchad entretient de très bonnes relations bilatérales avec les pays de l’AES, mais humainement parlant, je pense qu’il y a deux choses qui font qu’une adhésion du Tchad à l’AES ne sera pas précipitée.
La première chose, c’est le départ, presqu’aux forceps des troupes tchadiennes du Mali. Vous savez qu’en 2013, lorsque l’armée française avait décidé d’intervenir au Mali, le seul pays qui avait accepté de manière tout à fait volontariste de l’appuyer dans cette lutte antiterroriste, c’était le Tchad. Et à ce niveau, le Tchad avait payé un lourd tribut au Mali. Le Tchad a perdu plus de 48 soldats au nord du Mali, sans compter plusieurs soldats blessés et handicapés à vie. Cependant, dans la foulée du renvoi de l’armée française du Mali, l’armée tchadienne avait aussi été priée de quitter le Mali et je pense, pas de la très bonne manière. Ce qui fait que pour être honnête avec vous, même si le sujet n’a pas été officiellement abordé par les autorités tchadiennes, j’ai le sentiment que le départ peu glorieux du Mali de l’armée tchadienne qui avait tout donné n’a pas été très bien apprécié côté tchadien.
La deuxième chose, c’est le retrait unilatéral du ‘’G5 Sahel’’ par les 3 pays de l’AES, abandonnant entre les seules mains du Tchad et de la Mauritanie cet instrument de lutte contre le terrorisme dans le Sahel. Et le Tchad avait à titre personnel fait beaucoup d’effort diplomatique pour que le Mali, le Burkina et le Niger reviennent dans le ‘’G5 Sahel’’, mais ceux-ci ont opposé un refus catégorique. Aujourd’hui, le G5 Sahel est, il faut le dire, mort, après le retrait des pays de l’AES. Donc vous voyez, il n’y a aucun problème de fond entre le Tchad et les Etats de l’AES, mais je pense honnêtement que ces deux situations que j’ai citées sont des mauvais exemples qui ne peuvent pas favoriser une entrée rapide du Tchad à l’AES, mais rien n’empêche que dans les années à venir, avec des efforts diplomatiques supplémentaires, de part et d’autre, le Tchad adhère à cette jeune organisation ambitieuse, qui, il faut le dire est très prometteuse. Je tiens aussi à dire que c’est un point de vue personnel que j’exprime sur cette question précise et non la position officielle du gouvernement tchadien.
Comment appréhendez-vous la lutte contre le terrorisme de Boko haram chez vous et les autres groupes comme le Groupe de soutien à l’islam et aux Musulmans (GSIM) ou l’Etat islamique au grand Sahara ?
Tous ces groupes que vous avez cités et d’autres groupes terroristes mènent une guerre asymétrique. Et c’est difficile de vaincre un ennemi qui vous mène une guerre non conventionnelle, parce qu’il peut vous frapper en dessous de la ceinture et au moment où vous ne vous y attendez pas. J’avais à l’époque écrit au Président François Hollande quand il était encore au pouvoir pour lui dire qu’il y a trois dimensions à considérer dans la lutte contre le terrorisme : l’éducation, l’emploi des jeunes et l’autonomisation des femmes. Le président Hollande m’avait répondu par le biais de son Directeur de Cabinet qu’il avait beaucoup apprécié ma proposition et ma démarche. C’était en 2013 quand j’étais encore journaliste. Aujourd’hui, je tiens le même raisonnement 12 ans après. Tant qu’on ne lutte pas contre la pauvreté en ayant comme préoccupation majeure l’emploi des jeunes et l’autonomisation des femmes, mais surtout l’éducation des enfants, le terrorisme ne reculera pas. J’estime que le terreau du terrorisme, c’est la pauvreté. La seule puissance militaire ne permettra pas de le vaincre. Ce que j’ai dit est valable pour le Tchad, le Mali, le Niger, le Burkina ou pour tout autre pays.
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Le journaliste en vous est-il mort ou va-t-il reprendre le dessus un jour ?
Très belle question mais ce n’est pas pour dire que les autres questions n’ont pas de sens. Beaucoup de mes auditeurs surtout me trouvent mieux en journalisme qu’en politique. Donc, pour tout vous dire, je n’ai pas encore perdu mes reflexes de journaliste et s’il arrive qu’un jour je prenne une retraite politique anticipée, je n’hésiterais pas à reprendre le micro. Je crois honnêtement que le journalisme est un métier très noble et je pense que l’avoir exercé facilite aujourd’hui mon travail de chef de parti politique ou de député dans les débats politiques.
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Dans les pays du Sahel notamment ceux de l’AES, les journalistes éprouvent quelques difficultés pour exercer leur métier. Maintenant que vous êtes de l’autre côté (avec les politiques) est-ce vous avez une autre perception du rôle des journalistes dans la situation de crise sécuritaire qui prévaut dans nos pays ?
Non, je n’ai pas une autre perception sur la pratique du journalisme dans nos pays. Mais je dois être sincère avec vous, en période de crise sécuritaire comme vous le dites, il y a beaucoup de nervosité surtout chez les dirigeants politiques. Certains sont simplement allergiques à certaines critiques des médias, mais d’autres peuvent exprimer des inquiétudes fondées et qui peuvent s’expliquer par des impératifs sécuritaires, car vous le savez très bien, l’information est un couteau à double tranchant. Quand elle est mal conduite, elle peut entrainer le pays dans le gouffre. C’est pourquoi certaines autorités donnent l’impression d’être des ‘’ prédateurs’’ de la presse dans leur pays, mais je crois que ce n’est pas fait de manière délibérée, c’est la situation de tension sécuritaire qui crée cette nervosité. La liberté de la presse doit continuer à s’exercer dans nos pays, mais pour autant, la responsabilité sociale ou sociétale du journaliste doit être pleinement engagée, pour ne pas, dans une certaine mesure, donner l’impression de faire l’apologie du terrorisme ou d’être complaisant avec des groupes terroristes. Pour finir, je voudrais encourager les pays du Sahel à accorder de l’importance à leurs propres médias. A titre d’exemples, la Voix de l’Amérique, c’est la diplomatie médiatique américaine dans le monde, la Voix de la Russie, c’est le rayonnement médiatique de la Russie dans le monde, France 24 et autres RFI, TV5Monde…c’est la voix de la France dans le monde, la BBC, la Deutsche Welle, Radio Chine internationale, sont des représentations médiatiques de ces pays dans le monde. Le seul continent où les médias sont négligés, c’est bien l’Afrique. Les dirigeants africains préfèrent accorder du crédit et la primeur de leur déclaration aux médias occidentaux, alors que je pense qu’on devrait agir autrement. Si nous avons des médias solides, crédibles, soutenus et défendus par nos Etats, on ne prendrait pas la moindre information des médias occidentaux comme parole d’évangile.
Interview réalisée par Camille Baki
Note
- Toumaï signifie « Espoir de vie » en gorane est le surnom d’un crâne fossile de primate découvert en 2001 dans le désert du Djourab, au Tchad.
Encadré: Bref aperçu du parcours professionnel de François Djèkombè
François Djékombé est un ancien journaliste de BBC Afrique, ancien Correspondant au Tchad de la Voix de l’Amérique, de l’Agence Inter Press Services (IPS), du journal Ouest-France. Il s’est engagé en politique en 2018, en créant le parti Union Sacrée Pour la République (USPR). Ancien membre du dernier Conseil National de Transition (CNT), l’organe législatif de la Transition. Il a été élu le 29 décembre 2024 député du département de la Pendé (Province du Logone Oriental). Il est le 6e vice-président de l’Assemblée nationale du Tchad.