Crise sécuritaire et enseignement au Burkina : le secrétariat technique de l’Education en situation d’urgence en ordre de bataille

Lorsque les PDI affluent dans une zone de replis, il faut leur apporter des vivres mais aussi permettre à leurs enfants de se scolariser. Lorsque les équipes du Secrétariat technique de l’Education en situation d’urgence (ST-ESU) sont alertés, elles apportent des tentes, des classes mobiles, elles forment des enseignants, elles sensibilisent les autochtones qui accueillent les PDI, elles font en sorte que les parents d’élèves qui sont à la fois bénéficiaires et partenaires encouragent les enfants à être assidus aux cours. Nous sommes allés ce 6 mars 2025 à la découverte de ceux qui coordonnent dans l’ombre les actions qui permettent à l’école Burkinabè d’être on ne peut plus résiliente.
En 2015, le Burkina Faso a connu les premières attaques terroristes, mais c’est deux ans après que les premières menaces contre le système éducatif ont été enregistrées. L’élément déclencheur de la fermeture des établissements scolaires, faut-il le rappeler, reste l’assassinat d’un directeur d’école dans la commune de Djibo en mars 2017. De 10 écoles primaires fermées en 2016-2017, la situation s’est détériorée crescendo pour atteindre environ 400 établissements scolaires fermés en 2017-2018 et 2388 établissements fermés en 2018-2019.
Le gouvernement a pris la mesure de cette menace sur le système éducatif et de nombreuses actions ont été entreprises afin d’accompagner les acteurs de l’éducation en 2017 et 2018, telles la création d’un Secrétariat technique de l’éducation en situation d’urgence (ST- ESU) en avril 2020. Cette stratégie de scolarisation qui n’avait pas été pensée pour assurer la continuité éducative dans les 13 régions a été élargie afin de couvrir les zones touchées par l’insécurité et également des localités qui accueillent les PDI. Pour offrir une réponse holistique et cohérente à tous les risques qui peuvent affecter notre l’éducation, les questions liées aux catastrophes naturelles et sanitaires n’ont pas été occultés.
Le ST- ESU ne pouvant faire face seul à ces nouveaux défis, s’est fait aider par un regroupement d’ONG appelé le Cluster qui intervient dans une région précise. Le cluster national est piloté par le ST ESU et le lead des ONG est un assuré par l’UNICEF. Dans chaque région la même organisation existe sept sous cluster qui sont dirigés par chaque directeur régional en concertation avec les ONG présentes dans la région.
De l’avis du directeur général du ST-ESU, Paulin Zombré, lorsque les populations se déplacent d’une zone A à une zone B elle abandonne tout. « Souvent elles n’arrivent pas à cultiver ou n’ont pas le temps de récolter. Lorsque les enfants sont en situation de détresse, il y a la nécessite de payer des vivres sur place. C’est à ce moment que la cantine d’urgence se met en branle. Nous ne suivons plus la procédure d’appel de marché, mais recherchons rapidement dans le cluster, le partenaire le plus opérationnelle qui peut apporter en urgence des vivres, des tables-bancs et collecter les vivres sur place, en attendant que l’Etat ne s’active. Celui qui dispose du nécessaire nous informe pour que l’on organise l’acheminement. Nous collaborons avec une dizaine d’ONG comme le PAM, l’Unicef, Catholique Relief services, Educo, Plan international, Save de Children, Éducation Believe, Enfants du monde plus les associations et organisations nationales comme FDC, Andal Pinal », a-t-il cité.

Selon le chef du département Etudes et prospective du ST- ESU, Sawadogo Moussa, le secrétariat technique a élaboré des curricula ESU en collaboration avec la Direction de la qualité de l’Education. « Il s’agit d’extraire du programme officiel 89-90 du Burkina Faso ce qui est essentiel pour l’apprenant. En temps normal, le programme doit se dérouler sur 9 mois mais, nous le condensons en 5 mois. Ces curricula ne peuvent être utilisés que si la structure a été fermée durant au moins 4 mois. En dehors de ce cas de figure, le directeur régional en charge de l’Education adresse une correspondance au ministre demandant l’autorisation d’utiliser ces curricula pour que les enfants puissent se rattraper », a-t-il précisé. N’est-ce pas une éducation au rabais ? Et le chef du département Etudes et prospective du ST- ESU de préciser que dans les curricula, il existe des matières fondamentales. « Le focus y est mis avec un réaménagement du programme horaire journalier. Les scolaires sont réceptifs et ne parviennent pas à faire la différence entre les deux systèmes. L’accent est mis plutôt sur la formation des enseignants. Ils sont formés à l’usage des curricula de l’ESU. En plus de certains FDS qui interviennent à Toéni, nous avons des animateurs communautaires, des fils de la localité qui sont plus résilients. Après quelques mois de formation, ils sont opérationnels ».
L’éducation par la radio est une composante du grand ensemble qui est logé dans le paquet de l’enseignement à distance, a précisé M. Sawadogo. « Il est composé de l’enseignement par la radio, les clubs d’écoute, la mise à disposition de ressources numériques et les annales pour l’auto-formation des enseignants et des élèves. Dans les zones de choc ou on ne peut pas se rendre on a développé l’éducation par la radio, il s’agit d’émissions éducatives qui sont diffusés sur les ondes à travers la radio nationale, les radios communautaires. Avec la COVID 19, on a pu développer ce volet. L’une des difficultés de cette alternative est la couverture des localités par les ondes. Le maillage des radios ne permet pas de toucher toutes les cibles ».

Dans le cadre de la crise 5 modules de formation sur les thématiques de l’ESU ont été élaboré. Il s’agit de l’appui psychosociale, le save-school, la formation sur les dangers de mines, l’éducation à la paix et l’éducation inclusive. Le chef du département Etudes et prospective du ST- ESU a expliqué que l’appui psycho-social est une approche qui permet aux enseignants d’avoir des techniques de détections des enfants qui ont été traumatisés lors du déplacement ou victimes d’un choc. « Il ne s’agit pas d’une prise en charge psychosocial. Il s’agit d’un accompagnement. Un ensemble de paquets de jeux. Lorsque c’est un cas critique, nous orientons le malade vers les psychologues ».
Dans l’optique de réussir sa mission, le Secrétariat technique a élaboré un ensemble de techniques et de méthodes pour s’adapter au contexte sécuritaire. Nous avons à titre d’exemple le double flux. Il est utilisé dans les zones à fort défis sécuritaires ou les enseignants font face à des effectifs pléthoriques. Une classe de 120 élèves peut être scindée en deux. Un groupe est reçu le matin pour une matière quelconque, pendant que la seconde vague est occupée à autre chose en attendant de poursuivre avec le même enseignant. Quant au multigrade, il est implémenté lorsque le manque d’encadreurs se fait sentir. Le CP1 et le CP2 qui ont le même niveau à peu près sont enseignés dans la même classe par le même éducateur. Il peut s’organiser de sorte à ce que le groupe « A » s’occupe à la lecture, pendant que le groupe « B » qui fait face à l’autre tableau de la classe s’exerce en calcul.
Lorsque les fonctionnaires quittent une zone sous menace terroriste, abandonnant les élèves, il faut immédiatement agir. Qu’est ce qui est donc proposer comme mesure palliative d’urgence ? En attendant donc que les choses reviennent à la normal, le ST- ESU a recours à des volontaires, à l’image des VDP. « Nous cherchons des profils qui avaient par exemple une formation initiale en enseignement mais qui n’a pas été recruté par l’Etat, ou nous avons recours à une personne de niveau Bac ou même qui à l’amour de transmettre ses connaissances. Il s’agit de trouver quelqu’un qui va pallier l’urgence », a relaté M. le DG du ST- ESU. A partir du secondaire, certains élèves sont obligés de migrer d’une zone à l’autre pour pouvoir poursuivre le cursus. Au cas où ils ne disposent pas de tuteurs, ils deviennent leur propre chef de ménage. C’est à cette période que le ST- ESU intervient pour soutenir donc ses enfants pour qu’il puisse se loger, s’alimenter et retourner voir leurs parents. Il s’agit de faire en sorte que les élèves n’abandonnent pas les bancs.

Les acquis du ST-ESU en chiffres
Construction et équipement de plus de 750 salles de classes
167. 000 kits scolaires distribués
265 salles de classes préfabriquées déplaçables pour les zones de replis
160 classes semis finis
950 espaces temporaires d’apprentissage
Plus de 1000 enseignants communautaires formés
Un appui aux élèves chefs de ménages et filles vulnérables
30 000 scolaires ont bénéficié des cours de rattrapages
L’Organisation des cours de rattrapage fait également partie des actions phares pilotées par le ST-ESU. Ils s’adressent aux jeunes en situation de décrochage dont la scolarité a été perturbée. Les cours sont organisés pendant les vacances. 30 000 élèves ont déjà été bénéficiaires.
A en croire M. Zombré, grâce à l’appui du gouvernement et des partenaires ils soutiennent les cantines scolaires en vivres. « Nous offrons aussi les rations sèches à emporter aux EDI, des serviettes hygiéniques pour la gestion des menstrues et des kits scolaires. Nous sommes au stade de l’évaluation interne à mi-parcours de la stratégie. L’Élaboration de la prochaine stratégie est en cours également ».
Les cadres du ST-ESU sont revenus sur les nombreux défis auxquelles ils font face. Le DG Zombré a déploré l’absence de textes qui facilitent l’intervention urgente. « Nous sommes une structure d’urgence mais nous fonctionnons comme un établissement étatique. Au regard de la spécificité de notre secrétariat technique, on aurait dû bénéficier d’un allègement. Nous n’avons pas pu couvrir l’enveloppe nécessaire pour la stratégie qui s’achève. Pour la nouvelle qui est en écriture, les autorités nous invitent à compter sur des ressources endogènes, ce qui nous oblige à être sobres dans la planification. Nous rencontrons des difficultés pour acheminer le matériel dans certaines zones. Les convois sont gérés par les militaires et on doit se conformer. Des localités comme Djibo sont inaccessibles et quand les vivres trainent sur la route, cela impacte leur qualité », a-t-il dit. Que pensez-vous des militaires qui font office d’enseignant dans les zones à fort défis sécuritaires ? « Nous saluons la capacité de reconversion des militaires mais, dans le souci de respecter la déclaration sur la sécurité dans écoles, nous souhaitons ne pas voir les militaires habillés en tenue de guerre dans nos classes pour ne pas transformer les écoles en cibles pour les terroristes. On a trouvé la bonne formule avec les FDS afin de pouvoir respecter nos engagements nationaux et internationaux ».
W. Harold Alex Kaboré